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hommes dans une seule rencontre. Leur cheikh, Taharben-Ali, avait, quelque temps auparavant, tué un parent d'Ahmed-ben-Mohammed pour être agréable à Ben-Abdes-Selam. Le bey, l'ayant pris les armes à la main, lui fit couper le nez et les oreilles; le lendemain, on lui arracha la langue, le troisième jour on lui creva les yeux et enfin, le quatrième, on mit un terme à ses souffrances en le faisant décapiter. Un autre individu, servant d'espion å Ben-Abd-es-Selam, également pris dans le combat, fut lié et couché par terre; dans cette position on lui ouvrit la poitrine et on en arracha le cœur. La plupart des rebelles, poursuivis avec outrance, durent se réfugier à l'OuadChaïr, chez les Oulad-Nail-Abd-es-Selam. C'est à cette époque que Ferhat-ben-Saïd, Ben-Abd-es-Selam et autres grands personnages rebelles, écrivirent au Gouverneur des possessions françaises à Alger, offrant leur soumission si on leur donnait les moyens de se soustraire à la tyrannie d'Ahmed-Bey. La demande resta sans réponse; on ne pouvait alors s'occuper des affaires de l'intérieur.

Ben-Abd-es-Selam et ses amis, voyant que les démarches auprès de l'autorité française ne réussissaient pas, s'adressèrent au bey de Tunis et lui promirent, comme à nous, l'appui de tous les dissidents, s'il voulait envahir la province de Constantine et s'en rendre maître.

El-Hadj-Ahmed intercepta cette lettre et mit alors tout en œuvre pour faire enlever Ben-Abd-es-Selam. Les individus auxquels cette dangereuse mission avait été confiée réussirent dans leur entreprise, et amenèrent Abd-es-Selam à Constantine, où on l'enferma aussitôt à la kasba. Le bey l'aurait fait décapiter, sans les prières et les pleurs de sa femme, Aïchouch, qui, comme nous l'avons déjà dit,

était fille d'Abd-es-Selam. Les Mokrani, appelés à la défense de Constantine, combattirent contre nos troupes. pendant les expéditions de 1836 et de 1837. Ils eurent de nombreux tués et blessés en attaquant, pendant la première retraite, l'arrière-garde du commandant Changarnier sur le plateau de Sidi-Mabrouk, et peu après, dans la charge de cavalerie foudroyante que le capitaine Morris, des chasseurs d'Afrique, poussa contre eux, auprès de Sidi-Tamtam.

Les événements qu'il nous reste à raconter sur les différentes branches des Mokrani, sous la domination française, font l'objet du chapitre suivant.

II.

La ville de Constantine prise d'assaut par l'armée française, tous les contingents des tribus appelés par le bey à la défense de sa capitale se dispersèrent aussitôt. Ahmed-ben-Mohammed, cheikh de la Medjana, après être resté encore quelques jours auprès du bey, auquel il offrit vainement la Kalaâ pour résidence, retourna dans son pays pour tâcher de s'y maintenir au milieu du bouleversement général qui devait infailliblement se produire à la chute du dernier chef Turc; mais il arriva trop tard. Dans le désordre occasionné par la prise de Constantine, Ben-Abd-es-Selam, qui étaît prisonnier à la kasba depuis plus d'un an, put s'échapper et regagner au plus vite la Medjana. Il profita si bien du séjour de son adversaire près du bey, pour se faire un parti puissant, que lorsque Ahmed-ben-Mohammed se présenta, il fut assez fort pour l'empêcher de pénétrer dans la Me

djana, et le forcer de se réfugier chez les Oulad-Mâdhi du Hodna, puis de là chez les Kabiles.

En décembre 1837, Abd-el-Kader vint dans l'Ouennour'a pour y faire reconnaître son autorité. Ahmed-benMohammed accourut au devant de lui, avec deux chevaux de gadâ, lui demander le commandement. Mais averti qu'El-Hadj-Messaoud-ben-Abd-es-Selam, mandé par l'émir, arrivait d'un autre côté, il craignit un piége et alla se retirer chez les Beni-Iadel. Le choix d'Abd-el-Kader tomba sur Ben-Abd-es-Selam, qui fut nommé son khalifa de la Medjana.

Ben-Abd-es-Selam, ayant réuni tous les Hachem autour de lui, fit une guerre acharnée à tous ceux qui appartenaient au sof de son rival. Il s'empara même un jour d'Ahmed-ben-Mohammed, et ne le relâcha qu'après lui avoir fait promettre, par serment solennel, de se retirer dans le Hodna, et de ne jamais chercher à rentrer dans la Medjana.

Ahmed-ben-Mohammed, réduit à ses propres ressources, songea alors à venir à nous. Il se rendit chez son amì, Bou-Akkaz-ben-Achour, cheikh du Ferdjioua, et de là, écrivit à notre khalifa, Ali-ben-ba-Ahmed, qui l'engagea à faire sa soumission à la France et à venir sans crainte à Constantine. C'est ce qu'il fit en juillet 1838. Le général Galbois, qui commandait alors la province, le nomma kaïd des Amer de Setif. Nous avions déjà investi Ben-Henni-ben-Illès khalifa de la Medjana. Au mois de septembre de la même année, Ben-Henni ayant été tué dans une rencontre, en se rendant à Constantine où tous nos grands chefs étaient convoqués, Ahmed-ben-Mohammed-el-Mokrani fut nommé khalifa de l'immense pays.

compris entre Setif et Hamza, la Kabilie et les Oulad-Naïl, qu'il s'engageait à soumettre à la France.

Nous donnions ainsi aux Mokrani un commandement bien plus étendu que celui qu'ils avaient en naguère. Du temps des Turcs, le cheïkhat des Oulad-Mokran s'appelait Abied-Oudnou, l'oreille blanche, par opposition au cheïkhat des Oulad-Bellit de la province d'Alger, qui s'étendait sur les croupes occidentale et septentrionale de l'Ouennour'a, appelé vulgairement Kahal-Oudnou, l'oreille noire, sans doute à cause de l'aspect que présente la montagne aux voyageurs venant de l'ouest.

Le cheïkhat des Oulad-Mokran embrassait jadis la partie orientale des massifs de l'Ouennour'a, le massif de Mezita, celui de Dréat, Oulad-Khelouf et enfin la vaste plaine de la Medjana.

Quelle que fut celle des branches rivales à laquelle échut le beurnous d'investiture, la jouissance du Chefâ et du Guergour était réservée en apanage aux branches que le choix du bey réduisait à la condition de cadettes.

La perception des impôts dans le cheïkhat, durant les dernières années de la domination turqué, se faisait avec le concours de quinze tentes de janissaires envoyés par le bey. Les Beni-Abbas et les Aïad n'en payaient aucun, ce qui s'explique parfaitement par l'histoire et l'origine des Oulad-Mokran.

Les Hachem en étaient également exemplés en leur qualité de tribu makhzen.

Nous avons vu plus haut qu'Abd-el-Kader avait nommé Abd-es-Selam khalifa de la Medjana. Au commencement de 1839, il tenta une razia sur le cheikh Messaoud, des Rira, partisan de son adversaire. Le cheikh Messaoud n'a

vait pas encore fait sa soumission à la France; mais il avait refusé de se joindre au parti d'Abd-el-Kader. La razia réussit en partie; une portion des serviteurs de Messaoud fut pillée, mais celui-ci, prévenu à temps, tomba sur Ben-Abd-es-Selam au moment où il était le plus embarrassé dans sa razia, et dans une affaire très-chaude, au pied du Djebel-foussef, lui tua vingt-cinq réguliers et lui prit soixante-quinze chevaux. A la suite de cet échec, Abd-es-Selam, en défaveur auprès d'Abd-el-Kader, fut rappelé par lui à Médéa et remplacé par un marabout du nom d'Ahmed-ben-Omar, originaire des Oulad-Sidi-Aïssa. L'intention de l'émir était de substituer l'influence des familles religieuses à celle des familles militaires; c'est pour cela qu'il donna le pouvoir à Ben-Omar, qui avait été khodja ou secrétaire de Ben-Abd-es-Selam lui-même.

Ce dernier, ne pouvant prendre d'autre parti que de subir la volonté de son maître, puisque son rival, Ahmedben-Mohammed, avait déjà été accepté par nous, continua à servir Abd-el-Kader sous les ordres directs de BenOmar, sans paraître froissé de cette dégradation. Le nouveau khalifa arriva dans la province protégé par ElHadj-Moustafa, beau-frère de l'émir, avec six cents fantassins réguliers et trois cent cinquante chevaux. Ils marchèrent ensemble sur Setif que nos troupes venaient d'occuper, et se firent battre complétement par la garnison, au ruisseau, près de Bouhira.

El-Hadj-Moustafa s'enfuit alors à Aïn-Rouâ; de là, il se rendit dans le Hodna en passant par les Sedrata, et se retira dans les Ziban. A la suite de ces événements, Abdel-Kader rendit à Abd-es-Selam le commandement de la Medjana et de l'Ouennour'à. Revenu au pouvoir, ce der

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