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Le Kabile tire sa principale richesse des oliviers et des arbres fruitiers qui abondent dans certains cantons; ses villages, placés d'habitude sur des points élevés et faciles à défendre, sont très-peuplés. Ceux qui bordent le cours du Bou-Sellam sont considérables, bien construits, couverts en tuile, et jouissent d'une aisance relative. Si l'industrie est nulle dans le pays de plaine, elle est trèsdéveloppée, au contraire, dans la montagne. On y confectionne beaucoup de beurnous, de tapis et autres étoffes en laine, des instruments en fer, des ustensiles en bois, de la poterie, des ouvrages en sparterie, du savon; autrefois, ils fabriquaient des armes, de la poudre et de la fausse monnaie. L'exploitation des forêts et des mines de fer par des compagnies européennes, sont aujourd'hui, pour eux, une nouvelle source de prospérité.

La population indigène de tout le cercle est estimée au chiffre de cent trente mille âmes environ. Dans la plaine, on parle arabe; dans la montagne, c'est la langue kabile qui est la plus répandue; certaines tribus éloignées n'en connaissent même pas d'autre.

Deux éléments bien distincts ont concouru à la formation de la population de toutes ces tribus; ce sont : 1o l'élément autochtone ou berbère, auquel se seraient mélangés les débris des conquérants romains et vandales; et 2o l'élément arabe amené par l'invasion bilalienne.

En remontant le cours des àges et consultant les auteurs grecs, latins et musulmans, nous voyons que les premiers habitants de cette région furent des peuples autochtones, enfants du pays, auxquels vinrent se mélanger plus tard, mais bien avant les temps historiques, d'immenses migra

tions venues toutes de l'Orient. Salluste parle des Gétules el des Libyens, parmi lesquels arrivèrent des Mèdes, des Perses et des Arméniens. Les auteurs arabes rattachent les Africains à la race de Cham; d'autres ramènent l'origine des Berbères à Djalout ou Goliath, c'est-à-dire aux Philistins, chassés par David de la Palestine. A l'époque romaine, les montagnes au nord de Setif étaient habitées par de grandes peuplades connues sous le nom de Banioures et de Kedamousiens (Ketama). Aux Banioures, succédèrent les Bavares ou Babares, desquels vient évidemment le nom de Babor donné à leur pays.

Les Quinquegentiens, bandes puissantes, soumettent la peuplade des Nababes qui habitaient le Mons-Ferratus ou Jurjura; ils se fractionnent ensuite en tribus indépen dantes dont les plus connues sont, entre autres, les Massinissenses qui se trouvent, de nos jours, aux mêmes lieux où Théodore les combattit lors de la guerre de Firmus ; ce sont les Msisna ou Imsissen, de la rive droite de l'Oued-Sahel. Sur le territoire des Msisna, s'élève une haute montagne appelée aujourd'hui Nagmous et qui, vraisemblablement, doit être le Nagmus, figuré exactement à la même place par la carte romaine de Peutinger.

D'après Ibn-Khaldoun, la grande tribu des Ketama habitait, lors de l'invasion arabe, la région montagneuse comprise dans le quadrilatère de Setif à Bougie et de Constantine à Collo. Parmi les nombreuses ramifications de cette tribu, figuraient quelques groupes que nous retrouvons encore à peu près à la même place et dont le nom primitif ne s'est pas beaucoup altéré. Ce sont les Silin, les Guescha, les Maàd, les Beni-Zoundaï, les Djemila, les Talha.

Au quatrième siècle de l'hégire, les Sanhadja, race berbère qui habitait la région centrale de la province d'Alger, se rendit maîtresse de la majeure partie de la subdivision de Setif. Les Zenata, autre tribu berbère, parvinrent à se faire faire place.

En résumé, pendant la période romaine, le plateau de Setif était très-peuplé, comme l'indiquent les ruines que l'on trouve, pour ainsi dire, à chaque pas. Que, pendant cette période, la population ait été autochtone d'origine, quoique romaine par les mœurs, c'est ce qui semble certain; mais la domination sanhadjienne et la quatrième invasion arabe ont amené des bouleversements tels, qu'on ne trouve pas, dans la région des plaines, une fraction entière, même très-petite, pouvant sûrement faire remonter son origine aux habitants de la période romaine.

L'invasion vandale ruinà le pays; mais elle ne semble pas avoir déplacé la population; celle-ci dut momentanément subir la loi du vainqueur, pour redevenir romaine aprés l'expédition de Bélisaire.

Longtemps déjà avant les premiers temps islamiques, les Romains avaient été obligés de se retirer dans les villes du littoral, et leur domination sur le pays était plus nominale que réelle. La population qui habitait alors le plateau de Setif, tout en payant tribut aux souverains de Constantinople, était directement administrée par des chefs indigènes. Elle ne se ressentit pas des deux premières invasions arabes, lesquelles ne dépassèrent pas la régence de Tunis. La troisième invasion, celle à la tête de laquelle était Okba, ne produisit, au début, que peu d'effet sur le pays qu'elle laissa au nord; mais, quelques années après, les principes de l'islam se propagèrent partout avec rapi

dité. Les indigènes finirent par subir la domination des émirs arabes qui résidaient à Kaïrouan. Tout le pays fut, jusqu'en 895, sous la verge de fer des princes arabes installés à Belezma et à Setif. Les Ketama prirent part å la grande révolte qui, en 909, renversa les émirs de Kaïrouan, et les remplaça par Obéïd-Allah, premier khalife fatimite. C'est vers 905, que les Ketama révoltés détruisirent, de fond en comble, ce qui restait de l'ancienne cité de Setif, qui tenait pour les émirs.

Pendant tout ce temps et jusqu'en 989, il ne semble pas que la population ait été obligée de céder, même en partie, son territoire à des envahisseurs. Mais, en 989, El-Mansour, deuxième prince de la dynastie zirite, gouverneur de toute l'Ifrikia au nom des Fatimites, brisa pour jamais, dans la plaine même de Setif, la nation ketamienne, et les meilleures terres de la contrée passérent alors en des mains sanhadjiennes, qui les firent cultiver par les anciens habitants devenus tributaires.

La quatrième invasion arabe (Hilal), lancée vers 1050 de la Haute-Égypte contre les princes berbères Hammadites, qui s'étaient déclarés indépendants, triompha d'abord de toutes les résistances, et s'établit en dominatrice dans les plaines. Le plateau de Setif fut occupé par elle vers 1065; mais, peu après, là comme ailleurs, les souverains berbères parvinrent à ressaisir le pouvoir en semant la discorde parmi les envahisseurs, qui furent envahis à leur tour.

Pendant la période des guerres entre les Mérinites du Maroc, les Zeianites de Tlemsen et les Hafsites de Tunis, il est probable qu'il se produisit encore, parmi les habi

tants du pays, des fluctuations qui nous sont restées. inconnues.

Les familles dispersées qui, dans le commencement d'une nouvelle conquête, ne reconnaissaient point le pouvoir du dominateur, préféraient, plus tard, jouir des priviléges accordés à ceux qui se ralliaient à lui, et s'installaient sur les terres de la plaine, au milieu des derniers occupants. De là, des enchevêtrements inextricables. Enfin, la première année du seizième siècle fut marquée par l'une des migrations les plus considérables dont l'histoire fasse mention. Les Zouar'a, que Marmol, avec les autres historiens espagnols, appelle Azuagues, se révoltérent contre le sultan de Tunis, partirent du Sahara tunisien du Bled-el-Djerid, et se répandireut dans l'Algérie; ils saccagèrent Constantine, dont ils tuèrent le gouverneur, Moula-Nacer, fils du dernier sultan Hafsite de Tunis, Moula-Abou-Abd-Allah-Mohammed, qui régnait depuis le 26 mai 1494. Ils se divisèrent ensuite en deux fractions, dont l'une forma la confédération aristocratique du Zouar'a au confluent de l'Oued-Deheb et du Roumel, au nord de Mila. L'autre, grossie par diverses peuplades, se répandit dans les campagnes de Setif, puis, poursuivant sa marche, alla se fondre dans la confédération démocratique des Zouaoua et dans les tribus riveraines de l'OuedSahel.

Ainsi donc, toutes les migrations qui se sont produites successivement, ont mis une extrême confusion sur l'origine de chacune des familles du pays de plaine, où les deux éléments arabe et berbère se sont intimement mélangés. Ce mélange se produit encore de nos jours: on sait que de temps immémorial beaucoup de tribus arabes.

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