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» La-Abbès voyant le désordre de ses gens, il leur commanda de courir de toutes leurs forces sur la montagne pour s'y rallier, et se porta, avec quelques cavaliers, sur une petite colline pour les arrêter, où il combattit vaillamment de sa personne. Cependant le seigneur de Cuco était demeuré au fort, et le pacha, faisant réflexion que les Turcs avaient passé outre et qu'ils allaient s'engager dans la montagne, leur envoya dire qu'ils se retirassent, parce que les troupes étaient campées et qu'elles ne pouvaient plus les secourir. Mais, comme ils tournaient la tête pour faire leur retraite, Abdelasis les chargea en queue et les serra de si près, que la plupart jetèrent leurs armes pour mieux fuir, et en ayant tué soixante, il regagna le lieu et le fort.

» Le pacha fit ensuite monter ses gens sur une montagne où ces cheikhs ont leur sépulcre, et y combattit contre La-Abbès depuis le matin jusqu'à midi, que LaAbbès fit prendre à ses troupes le haut de la montagne. Pour lui, il fit tête en personne, avec deux drapeaux seulement et quelque cavalerie: il opiniâtra le combat longtemps contre les Turcs et les repoussa souvent; mais, à la fin, comme il s'avançait pour darder de sa lance dans leur bataillon, ils lui tirèrent tant de coups, qu'ils le tuèrent, lui et son cheval, puis ils chargèrent ses gens, pour qu'ils ne se saisissent de son corps; de sorte qu'ils l'emportèrent et lui coupèrent la tête. Ce brave Africain portait deux coltes de mailles l'une sur l'autre, avec une lance; un bouclier et un coutelas. Il était dispos et paraissait fort robuste. Après sa mort, les Turcs poursuivirent leur victoire, grimpèrent plus haut, jusqu'à un lieu où les Kabiles, pour les entretenir, leur envoyèrent dire qu'ils

leur donneraient les clefs de leur forteresse, à de certaines conditions. Cependant, ils élurent pour chef Mocoran (1), le frère du défunt, et retournèrent au combat. Mais les Turcs, songeant qu'ils avaient été là huit jours sans rien faire, et que leurs forces ne leur servaient de rien dans ces montagnes, où, tous les jours, ils perdaient quelques soldats, prirent la route d'Alger, et remportérent pour trophée la tête de leur ennemi (1559). >

La tradition locale, mêlant le merveilleux à l'historique, ajoute :

« La tête d'Abd-cl-Aziz resta exposée, pendant une journée, à la porte Bab-Azzoun. A l'heure de la fermeture des portes, le gardien de Bab-Azzoun était dans l'usage de faire une tournée le long des remparts, pour prévenir les retardataires et les inviter à rentrer.

» Quand il poussa son cri habituel :

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Ne reste-t-il personne dehors. >

» La tête prit la parole et répondit :

Il ne reste que la tête d'Abd-el-Aziz. »

› Le pacha, informé de ce prodige, ordonna d'enfermer la tête dans un coffret en argent, et la fit enterrer avec pompe.»

En terminant le récit du règne d'Abd-el-Aziz, il est opportun de relater ce qui nous a été raconté au sujet des fameux canons de la Kalâa. M. Chevarrier, qui, le premier, les a signalés, dit: Eu égard au site de la ville, ce fait serait traité de fabuleux, si les quatre pièces n'en attestaient encore, par leur présence, l'inexplicable vérité.

(1) Mocoran ou Mokran.

› Ces canons ne sont plus aujourd'hui à la Kalâa, mais à Boni, dans la cour d'un bordj, où ils ont été transportés, il y a quelques années, par une mesure administrative locale absurde, car il a fallu y atteler toute une population pour les trainer. Certes, les indigènes ne se sont jamais servis de canons contre nous (Abd-elKader excepté), et qu'auraient-ils fait de pièces sans affûts, égeulées, à moitié rongées par le temps, et pouvant, tout au plus, être utilisées à y amarrer des câbles sur un quai? Quelques-uns de ces canons, dit la tradition, auraient été fondus à la Kalâa du temps d'Abd-el-Aziz. Ces canons mêmes nous démontrent l'absurdité de cet anachronisme. L'un d'eux est orné de fleurs de lys sur toute la volée, et porte, près de la culasse, un L dans une couronne royale. Il provient évidemment de l'expédition du duc de Beaufort à Gigelli, en 1664. Elles auraient été amenées de la plage de Bougie, en remontant la vallée de l'Oued-Sahel, hissées à la Kalâa à grands renforts de bras et, au moyen d'une infinité de cordes, attachées aux arbres qui s'étageaient jadis sur la déclivité du rocher.

> Il existe, sur le mur d'enceinte de Bordj-bou-Areridj, quelques petits canons qui doivent remonter à l'époque des premières expéditions des Turcs. Deux de ces pièces, que nous nommerons fauconnaux, sont du modèle des engins de guerre du commencement du quinzième siècle; elles sont très-longues et d'un petit calibre. La culasse se termine par une tige ou sorte de manche qui n'a pas moins de soixante centimètres de long. Ces pièces, posées sur trépied, se chargeaient par la culasse, où existe une sorte de chambre comme celle du chassepot se fermant par un couvercle mobile. Leur forme est très-curieuse,

et comme leur volume en rend le transport facile, je suis surpris qu'on ne les ait pas placées déjà dans un musée d'artillerie, où elles souffriraient moins que sur un mur de l'action du temps. >

MOKRANI

Si-Ahmed, désigné par le titre de Mokran (Amokran, en kabile grand, chef), qui va servir désormais de nom patronymique à ses descendants, succéda à son frère Abd-el-Aziz. Mokran est, en effet, le grand chef dont parlent les légendes. D'un caractère plein d'humanité et de justice, il s'occupa, avec prudence et habileté, de l'administration de son petit royaume. Dans un moment devenu critique par suite du désastre éprouvé par son frère, il sut se concilier les esprits et raffermir son autorité.

En 1559, nous dit Gramaye, le chef des Beni-Abbas organisait une armée régulière et appelait chez lui des renégats d'Alger et des chrétiens, qu'il autorisait à vivre suivant leurs mœurs et leur religion.

Les populations montagnardes ne lui offrant pas assez de ressources, il voulut se ménager un appui et, au besoin, une retraite dans le Sud, pour mettre ses ennemis dans l'impossibilité de l'atteindre en cas de revers. Il se lança dans cette voie avec autant de succès que d'audace.

A la tête d'une armée forte de huit mille hommes d'infanterie et de trois mille chevaux, il parcourut les oasis du Zab, soumit à son autorité Tolga et Biskra, et poussa même jusqu'à Tougourt, où il laissa, avec le titre de cheïkh, un de ses fidèles cavaliers des Hachem, nommé El-Hadj-Khichan-el-Merbâï. Un parent de ce dernier,

nommé El-Hadj-Amar, avait déjà été investi comme cheïkh des oasis de Tolga et de Biskra; enfin, un autre individu, Abd-el-Kader-ben-Dïa, khalifa de Mokrani dans le Sahara, déploya un grand zèle pour les intérêts de son maître. Mokrani établit de nombreux postes dans lesquels il plaça de fortes garnisons, qui étaient fréquemment changées, pour empêcher les relations trop suivies entre ses soldats kabiles et les habitants du pays qu'il venait de soumettre.

Il créa aussi, sur les points culminants de la contrée, une série de postes-signaux, qui, à l'aide de fumée pendant le jour et de feux pendant la nuit, transmettaient rapidement à la Kalâa les nouvelles du Sud. Quelques-unes de ces stations télégraphiques, dont on voit, dit-on, encore les ruines, étaient situées :

1o A Agueba-es-Senadek, au sommet de la montagne de la Kalâa;

2o A Tafertast, sur le Drâ-Metennan; 30 A Ras-Djebel-Guettaf;

4o A Ras-Djebel-Salat, etc.

Le concours d'Abd-el-Kader-ben-Dia ne fit jamais défaut å Mokrani. Tant qu'il vécut, le Sud fut maintenu dans l'obéissance, et fournit de précieux auxiliaires au seigneur de la Kalàa, chaque fois qu'il eut à lutter contre ses voisins. Aussi, les Oulad-Mokran n'ont jamais exigé d'impôts de ses descendants, en reconnaissance des services qu'il rendit à leur ancêtre. Un chant de cette époque, que les Sahariens fredonnent encore de nos jours, dit, à son sujet :

Abd-el-Kader-ben-Dia

Nous a attaqués et nous a fait la guerre,

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