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C'est par là que doit passer notre route reliant la province de Constantine à celle d'Alger. Au pied occidental des montagnes des Beni-Abbas, et sur la rive droite de l'Oued-Sahel, nous avons établi le poste de Tazemalt, destiné à surveiller la vallée et la tribu des Beni-Mellikech qui lui fait face.

Les révolutions qui se sont succédé dans ces contrées n'ont pas déplacé les Ouennour'a, qui occupent les mêmes montagnes depuis les temps anti-islamiques, ils appartiennent à la grande tribu berbère des Sanhadja.

Les Oulad-Khelouf, leurs voisins, qui ont aussi une origine sanhadjienne, s'étaient établis, auprès des Aïad et des Ouennoura, vers l'an 1313; ils formaient la milice du sultan de Bougie, Abou-Zakaria, au moment où leur chef, Yakoub-Ibn-Khelouf, était charabellan de ce prince. Du temps des Turcs, les Oulad-Khelouf payaient un impôt que l'on a bien rarement l'occasion de rencontrer en Algérie; c'était la capitation, le Kharadj-er-Rous ou Djezia. Il n'atteignait, en général, que les vaincus qui avaient refusé de se faire musulmans; quelquefois, cependant, il était établi par suite de conventions: il aurait ici cette dernière origine.

Les indigènes racontent que les Oulad-Khelouf habitaient une vallée dans laquelle ils ne voyaient pas le soleil avant midi, et qu'un marabout leur promit une autre contrée, où ils seraient réchauffés par ses rayons dès le matin, à la condition qu'ils s'engageraient à payer la capitation, ce qui fut accepté par les Ouled-Khelouf.

Une autre tribu berbère, qui n'a pas conservé le souvenir de son origine, habitait alors la plus grande partie du bassin de la Medjana: c'est celle des Sedráta, de la

branche cadette des Louata. Vers le septième siècle, la première invasion arabe la trouva aux environs du golfe de Gabès; un siècle et demi après, elle fournissait aux Zenata, aux Sanhadja et aux Haouara, qui assiégeaient Tobna en 770, un contingent de six mille hommes. En 1067, Bekri les place dans le Zab, aux environs de Biskra ; c'est là que les prit le flot arabe déchaîné par El-Moëz, en 1050, pour les pousser dans la partie septentrionale du Hodna, où ils étaient en 1153 du temps d'Edrici, au moment où finissait le règne des Hammadites. De là, ils durent fuir, en 1207, devant les Douaoudia, qui étaient chassés cux-mêmes du Zab, où ils s'étaient installés pendant les courses aventureuses d'Ibn-Ghania-el-Maïorki, dont ils avaient épousé la fortune.

En 1285, les Douaoudia, mêlés à d'autres Arabes hilaliens, étaient définitivement établis dans le Hodna et sur le plateau de Setif, où nous trouvons encore, sur le ruisseau de Khelil, près d'Aïn-Turc, la tribu noble par excellence des Douaouda, qui était maîtresse du cheffa avant notre arrivée. Les Sedrata avaient dû franchir la montagne qu'ils avaient devant eux, et camper dans la plaine et sur les coteaux qui s'étendent du Bou-Sellam au Mansoura.

Le village de Mansoura, qui donne son nom à une des fractions de Dréat, s'attribue aussi une origine berbère; il aurait été peuplé par les habitants de la Kalâa des Beni-Hammad, détruite en 1153 par Abd-Allah, un des fils d'Abd-el-Moumen, fondateur de l'empire almohade.

Ses habitants furent dispersés vers la fin du douzième siècle par Ibn-Ghania et les tribus arabes et berbères qui avaient partagé avec lui les dangers et les produits de ses excursions.

Dès cette époque, une fraction des Arabes hilaliens, sœur de celle des Douaoudia, était déjà fixée au DjebelKiana ou Djebel-Adjiça, du nom des Berbères qui l'avaient occupée jusqu'alors, aux environs de la Kalâa; et nous voyons que les Almohades, lors de la destruction de l'ancienne capitale des Hammadites, tuèrent Ibn-edDahak, chef de la tribu d'Ed-Dahak, descendue des Athbedj, ainsi que celle des Aïad. Cette dernière n'y vint que quelques années plus tard, lorsque Abd-Allah-benAbd-el-Moumen l'eut chassée de Sicca Veneria, où elle s'était établie un siècle auparavant, dès son entrée en Afrique. Dès lors, la montagne prit leur nom et le con

serve encore.

Les Aïad se divisaient en plusieurs fractions, parmi lesquelles on remarque celle de Mortafa, qui se subdivisait elle-même en trois branches : les Oulad-Tebban, appartenant aujourd'hui aux Rir'a-Dahara, du cercle de Setif; les Oulad-Hammech, qui avaient pour chefs les Beni-Abd-es-Selam et les Oulad-Gandouz (1). La position qu'Ibn-Khaldoun assigne à ces peuples, à la fin du quatorzième siècle, est la même de nos jours: elles s'étendent de Ras-el-Oued à l'Oued-el-Ksob, et sont connues sous la dénomination générale des Oulad-Haddad, tribu noble.

Zamora fut fondée par Hacen-Pacha, fils et successeur de Khaïr-ed-Din, vers l'an 1560, dans la lutte que ce prince eut à soutenir contre les Beni-Abbas. La colonie se réduisit d'abord à un petit fort construit à la hâte, dans lequel Hacen-Pacha laissa une garnison turque. Obligés de pourvoir à leur subsistance, les soldats mirent

(1) Ibn-Kaldoun, vol. 1, p. 55-56.

en culture les environs de leur camp; bientôt, ils contractèrent des alliances avec les tribus kabiles de leur voisinage, et ils adoptèrent leur régime de vie, conforme d'ailleurs aux exigences du sol. Aux ressources générales des montagnards, ils ajoutèrent une industrie spéciale, qui leur manquait. Il s'établit donc, entre les nouveaux hôtes et les habitants, des relations d'intérêt et de parenté. A la faveur de ces relations, l'établissement turc gagna du terrain; et c'est ainsi qu'avec l'aide du temps et les inspirations de la nécessité, une simple garnison parvint, sans subvention étrangère, à se transformer en une colonie, colonie dans laquelle le sang berbère domine assez pour communiquer sa couleur à tout le mélange (1).

(1) Études sur la Kabilie, par M. Carette, p. 132.

Les Mokrani

SEIGNEURS DE LA MEDJANA (1)

Depuis l'an 1500 de notre ère, la famille féodale des Mokrani joue un rôle important dans les affaires de l'Algérie et a eu, sur les destinées de la Medjana qu'elle habite encore, une influence considérable. Leur histoire. est féconde en grands souvenirs; leur nom, mêlé aux phases de la conquête turque, tire un nouveau lustre de la résistance qu'opposa, à cette époque, la race indigène défendant son indépendance. Sans être entièrement stériles, les efforts des Turcs ne produisirent pendant longtemps que des résultats insignifiants; et, plus tard, quand leur domination eut pris plus de consistance, ils ne réussirent encore qu'imparfaitement à neutraliser l'influence de l'aristocratie guerrière, qui ébranla souvent l'autorité des beys.

Le chef de la Medjana, Mokrani, nous disent les documents historiques, dépendait du gouvernement de Constantine; il recevait l'investiture des mains du bey, qui, moyennant un tribut annuel, le maintenait dans la famille régnante. Quant à l'administration intérieure du fief, le

(1) Les documents concernant la biographie de cette famille ont été pris aux meilleures sources, ou recueillis à la suite des fréquentes conversations que, dans mes relations de service, j'ai eues avec les représentants des diverses branches de cette famille féodale. J'ai pu contrôler ainsi leurs récits les uns par les autres, et les dégager de tout ce qui était exagéré ou rapporté avec passion.

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