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poste, et avaient échangé quelques coups de fusil avec les grand'gardes. Vers cinq heures du soir, ils se portaient en masse, avec la plus grande rapidité, sur les grand'gardes, et les forçaient, après un combat de plus d'une heure, à rentrer dans le bordj pour s'y mettre à Couvert. L'attaque continua toute la nuit et nous coûta neuf hommes tués. Le colonel Zentz arriva bientôt et força les Kabiles à se retirer.

Au mois d'avril, les Beni-Sliman faisaient défection, et les rebelles, 'se dirigeant vers le nord, allaient attaquer le camp de travailleurs du cap Aoukaz, sur la plage de Bougic. On connaît la rude réception que leur fit le colonel Bonvalet. Toute la montagne était de nouveau en insurrection, et nous apprimes plus tard, par ceux qui nous faisaient l'aveu de leur faute, qu'ils avaient été entraînés par les conseils des agents de la famille féodale des Ben-Achour, et par quelques énergumènes fanatiques qui espéraient profiter de la situation. L'un des principaux meneurs parcourait les villages, et, dans les réunions publiques, il avait l'habitude de frapper sur la platine de son fusil en disant : « Faut-il que je paie l'impôt au chrétien? Après avoir ainsi consulté son arme, il affectait sérieusement d'écouter sa réponse en avançant l'oreille, et s'écriait, en bondissant: Mon fusil répond qu'il vaut mieux se révolter. ›

Livré plus tard comme otage, il assistait un jour, dans notre camp, au paiement de l'impôt de guerre de sa tribu. Ses frères, indignés en l'apercevant, s'écrièrent : « Ohé! consulte donc ton fusil pour savoir s'il faut ou non payer?

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un tel

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Le prétendu augure, baissant les yeux, comprit le

reproche des siens et ramena le capuchon de son burnous sur sa figure, pour ne pas s'exposer à de nouveaux

sarcasmes.

Cependant, la révolte du Babor et des tribus voisines devait être réprimée. Deux colonnes se mirent en mouvement. La première, sous les ordres du colonel Augeraud, commandant la subdivision de Setif, commença à brûler les Beni-Imaïl, puis monta à Sidi-Tallout, après avoir éprouvé une sérieuse résistance de la part des Kabiles défendant les hauteurs. L'autre colonne, sous les ordres directs du général Périgot, abordait en même temps le Babor, en l'escaladant par le versant oriental. Après avoir sévèrement châtié les Richia des environs de Serdj-el-R'oul, les troupes pénétraient dans le col d'AinSeran, qui sépare le Babor du Talabort; les Kabiles, perchés sur les hauteurs, essaient de défendre le passage à coups de fusil ou en faisant rouler des quartiers de rochers sur les chemins; mais le passage s'effectue sans encombre, et, le 25 mai au soir, le camp s'établissait à Ras-el-Bahari, en vue de celui du colonel Augeraud, dressé, dans la même journée, à Sidi-Tallout.

Les pertes éprouvées par les Kabiles, les nombreuses razias effectuées par nos goums et nos contingents venus de Gigelli ou de Setif, et enfin l'arrestation des hommes qui s'étaient le plus compromis pendant cette révolte, hâtèrent les offres de soumission. Une fois de plus, ces populations indociles étaient forcées de reconnaître qu'elles avaient été trompées par les fausses promesses des meneurs et des marabouts; ces derniers surtout n'avaient pas plus été préservés de nos coups que les autres.

Au sommet de l'Adrar-Amellal, un des pics rocheux

qui dominent la gorge du Chabet, existe un sanctuaire qui a une grande réputation dans le pays. Là, était déposé un drapeau en soie, fabriqué à Tunis, orné de nombreuses amulettes infaillibles, que l'on n'arborait que dans les grandes occasions. En 1864, lorsqu'éclata la révolte du Sud, un nommé Bakir, d'Ir'zer-ou-Fetis, prétendit s'être trouvé en songe au milieu d'une réunion de saints personnages rassemblés au sanctuaire d'Adrar-Amellal. Ceux-ci lui avaient dit : « Prends le drapeau, et parcours la montagne pour soulever la population contre les chrétiens.» C'est ce qu'il fit, en effet, et la révolte commença à éclater à cette époque. Bakir était à la tête du mouvement; mais celui qui en était le bras était Amer-ou-Tahrount, des Oulad-Salah; c'était lui qui, conduisant les contingents, avait ravagé tout le pays, depuis les Dehemcha jusqu'aux Beni Sliman, qui avait dirigé toutes les attaques de nuit sur nos camps, et le combat livré au chantier du cap Aoukaz. Le drapeau d'Adrar-Amellal fut pris par la colonne Augeraud, et figure aujourd'hui parmi les trophées de la division (1).

Quant à Tahrount, il tomba également entre nos mains, et, lorsqu'on lui demanda ce qu'il pensait de son insuccès, il répondit philosophiquement: « Nous nous sommes trompés; notre échec tient à ce que le moment n'est pas encore venu.» Paroles d'une grande portée, que je livre aux commentaires de ceux qui croient aveuglément à la pacification définitive du pays.

Le 2 juin, les troupes expéditionnaires reçurent l'or

(1) J'ai eu la curiosité de découdre les sachets en soie contenant les amulettes tant renommées; je n'y ai trouvé que quelques morceaux de carton ordinaire sans nulle inscription.

dre de descendre dans la plaine de Bougie, où l'empereur Napoléon III les passa en revue. Quelques jours après, elles remontaient dans les Babor, et y séjournaient encore près d'un mois pour achever la réorganisation du pays. Depuis cette époque, et jusqu'en 1870, aucun événement politique ou de guerre ne s'est produit dans le cercle de Setif. Nous signalerons cependant les calamités amenées par la sécheresse, l'invasion des sauterelles, la disette, le choléra et le typhus, qui, pendant une période de trois ans, se sont appesanties sur le pays. Les populations commençaient à se relever de ces désastres, contre lesquels l'humanité est impuissante, les cultures entreprises partout, sur une vaste échelle, par l'initiative européenne, annonçaient une récolte abondante, quand a éclaté la douloureuse et épouvantable révolte indigène qui, à cette heure encore, est menaçante autour de nous.

Bordj-bou-Areridj

برج بوعريريج

Lorsqu'à la fin d'octobre 1839, le duc d'Orléans, avec l'armée que commandait le maréchal Valée, pénétra dans la Medjana pour effectuer le passage des Biban ou Portes de fer, le bivouac fut établi aux sources appelées Aïnbou-Areridj. L'obscurité naissante, car la journée avait été très-longue, permettait à peine de distinguer, à mille deux cents mètres au sud, un rocher abrupte, presque conique, s'élevant au milieu de la plaine. De hautes murailles, en mauvais état, le surmontaicnt; quelques échancrures, à la partie supérieure, en accusaient l'état d'abandon et de vétusté. Ce rocher, ces murs, étaient le Bordj-bou-Areridj, élevé par les Turcs sur des restes de constructions romaines.

Bordj-bou-Areridj, brûlé à deux reprises par les Mokrani, abandonné dès lors par les Turcs, se dégrada lentement et devint une vigie sinistre, d'où les coupeurs de route, embrassant d'un coup d'œil la plaine et les défilés qui y débouchent, guettaient incessamment les voyageurs et les caravanes.

L'occupation de Setif fit sentir la nécessité de soutenir,

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