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c'est-à-dire sur une longueur de trente à quarante lienes et de vingt lieues de large, le pays était entièrement insoumis, et, depuis les débuts de notre occupation, ces montagnards fusillaient impunément les avant-postes de Gigelli et de Bougie. Il s'agissait d'abord de débloquer cette dernière place. Une grande expédition fut, dès lors, décidée en 1847. Deux colonnes, agissant sous les ordres du maréchal Bugeaud, partirent, l'une de la province d'Alger et l'autre de Setif. La première, passant par Hamza, descendit la vallée de l'Oued-Sahel. Parvenu devant les Beni-Abbas dans la journée du 15 mai, le maréchal apprit que la majeure partie de cette grande tribu, résistant aux conseils du khalifa Mokrani, était décidée à faire la guerre. Des renseignements exacts ajoutaient que les montagnards de la rive gauche de la rivière, faisant cause commune avec les Beni-Abbas, devaient attaquer la colonne le lendemain. On savait aussi qu'au temps des Turcs, ces Kabiles avaient fait essuyer plusieurs catastrophes à l'aide des attaques de nuit, lorsqu'ils avaient tenté de pénétrer dans la contrée. A huit heures du soir, en effet, l'attaque commença; les Kabiles poussaient de grands cris et faisaient un feu continu; mais tous leurs efforts échouérent devant l'attitude énergique des grand'gardes.

Le lendemain matin, 16, une colonne, composée de huit bataillons sans sacs, de l'artillerie et d'une partie de la cavalerie, s'élança immédiatement pour occuper les prcmières pentes des montagnes. De là, on découvrait les deux lignes de rochers sur lesquels étaient placés les rassemblements ennemis. En un instant, leurs positions furent enlevées. C'est alors qu'on aperçut les plus beaux villages des Beni-Abbas, celui d'Azerou, entre autres,

situés dans les positions les plus ardues de la montagne. Les troupes furent lancées à l'attaque de chacun d'eux, et trouvèrent partout une résistance opiniâtre. Maître de ces villages, le maréchal fit un exemple pour ôter aux autres toute idée de résistance. Il en ordonna la dévastation. La riche tribu des Beni-Abbas, qui domine cette contrée par sa force et son industrie, éprouva, dans cette circonstance, des pertes considérables: ses fabriques de poudre et d'armes furent détruites. Les résultats de cette action vigoureuse ne se firent pas attendre; à peine nos troupes avaient-elles enlevé la dernière position, que le chef le plus influent des Beni-Abbas se rendait auprès du maréchal, lui apportant la soumission de la tribu entière et le suppliant de faire cesser un châtiment que ses frères, disait-il, avaient si justement mérité par leurs folles attaques. - Le signal de la retraite se fit entendre, et aussitôt les troupes rentrèrent dans leur camp. Les BeniAbbas acceptèrent ensuite toutes les conditions qui leur furent imposées par le maréchal.

Pendant ce temps, la colonne de la province de Constantine, sous les ordres du général Bedeau, s'était engagée dans la région montagneuse qui sépare la vallée de l'Oued-Sahel de Setif.

Le 15 mai, au bivouac de Ma-ou-Aklan, le général Bedeau apprit que les R'eboula étaient décidés à défendre la montagne qui précède la vallée où se trouvent tous leurs villages. Il existait un bivouac près de la crète de cette montagne; la colonne y monta lestement. Lorsqu'elle fut arrivée à petite distance des contre-forts supérieurs, les Kabiles commencèrent leurs feux.

Malgré les embarras d'une chaleur étouffante, les trou

pes gravirent rapidement les contre-forts escarpés et boisés qu'occupaient les Kabiles. Ces derniers furent refoulés successivement, et, bientôt après, arrivant à la crète, on aperçut les beaux villages de la vallée des R'eboula. L'infanterie mit le feu à ceux qui étaient les plus rapprochés, et, entre autres, à celui qui, pendant plus d'une année, avait été le quartier-général du cherif Mouley-Mohammed.

Les Kabiles, effrayés par la vivacité de l'attaque, purent se réunir pendant que la troupe incendiait les villages. Un engagement assez acharné eut lieu d'abord, sur la gauche, avec le bataillon de tirailleurs indigènes, et, presque aussitôt, sur la droite, où se trouvait le 38. Les contingents s'augmentaient à vue d'œil. Un retour offensif devint nécessaire. Les escadrons de chasseurs sabrèrent, malgré les difficultés du terrain, les Kabiles les plus avancés, et le feu cessa immédiatement.

Le lendemain, 17, le bivouac était placé sur un col situé entre les R'eboula et les Beni-Brahim, au point nommé Aïn-Graïch. Deux mille Kabiles environ étaient réunis à une demi-lieue de la colonne.

La position du bivouac de nos troupes produisit un immédiat effet sur les R'eboula et les Beni-Brahim; leurs chefs vinrent au camp dans la matinée et demandèrent l'aman; mais ils ne furent pas maîtres d'empêcher les contingents des tribus voisines qu'ils avaient, la veille, appelés à leurs secours, de tirailler avec nos grand'gardes.

Le jour suivant, au point du jour, les contingents avaient disparu et la colonne se mit en marche pour aller occuper le bivouae des Beni-Chebana. Quand ce mouvement fut indiqué, quelques coups de fusil de signal annoncé.

rent le combat. Les Beni-Ourtilan et les Beni-lala, dissidents, se présentaient sur le territoire des Beni-Brahim, soumis de la veille, et qui, ainsi qu'ils l'avaient promis, prévenaient de leur arrivée et tentaient de s'opposer à leur passage. Les crètes de droite se garnirent des contingents des Beni-Afif, des Beni-Ondjan et autres tribus du nord. Quelques minutes après, la fusillade était activement engagée. La route, située en corniche, pouvait difficilement être flanquée à gauche et les Kabiles s'étaient embusqués en grand nombre dans les ravins qui l'avoisinaient. L'avant-garde fut lancée au pas de course sur la route pour culbuter les rassemblements qui l'occupaient. Ce mouvement s'exécuta avec un grand élan; la route fut bientôt dégagée; plusieurs Kabiles, tournés dans les ravins, restèrent entre nos mains tués ou prisonniers. A dix heures, le feu avait cessé partout; les Beni-Ourtilan demandaient l'aman, craignant que l'incendie, commencé à quelquesuns de leurs villages, ne s'étendit à tous les autres. Le soir, la colonne campait sur l'Oued-bou-Sellam, sans qu'aucun coup de fusil ait été tiré sur elle. Toutes les tribus situées au sud du Drâ-el-Arbâ avaient envoyées des députations pour traiter de la soumission.

Le général Bedeau se proposait, dans la journée du 19, de monter sur les crètes qui dominent le territoire des Beni-Afif et des Guifsar, qui, excités par Mouley-Mohammed, avaient fourni des rassemblements; mais, dès le point du jour, des députations de toutes ces tribus venaient solliciter leur pardon. Le même jour, le mara; bout Si-el-Mihoub, d'El-Arrach, et les Ou-Rabah, chefs des Djebabra, se présentaient au camp, assurant qu'il n'y aurait plus aucune hostilité jusqu'à l'arrivée de la colonne

dans la plaine de Bougie. Heureux de ce résultat, qui confirmait d'une manière avantageuse les espérances conçues, le général Bedean se décida à se faire suivre jusqu'au camp du maréchal par tous les principaux des tribus qui avaient demandé et obtenu l'aman. Cette réunion avait l'avantage de préparer, sous notre influence, l'oubli des haines réciproques qui existaient, depuis long temps, entre les différentes tribus kabiles, et qui causaient l'anarchie de la montagne.

Dans la journée du 20, quelques hommes isolés tentèrent de tirailler avec l'arrière-garde. Si-el-Mihoub reçut l'ordre de les faire chasser par les habitants des villages voisins de la route, ce qui fut aussitôt exécuté. Depuis lors, les populations, qui voyaient pour la première fois cependant des troupes françaises, restèrent confiantes dans les villages les plus rapprochés de la route que suivait la colonne, laquelle arriva en pleine paix jusqu'à la vallée de la Soumam.

Les deux colonnes du maréchal et du général Bedeau firent jonction à une journée de marche de Bougie. Le 23 mai, l'armée entière, formant un effectif d'environ quinze mille hommes, campa, en face de Bougie, sur le revers du col de Tizi.

Le 24 juin, eut lieu l'investiture solennelle d'environ soixante chefs Kabiles réunis devant la tente du maréchal, qui leur parla à peu près en ces termes :

« Je suis venu, rempli d'intentions pacifiques, vous offrir l'ordre et la prospérité. Quelques-uns d'entre vous m'ont accueilli de suite, d'autres ont voulu me repousser. A ceux-là, j'ai rendu guerre pour guerre; vous savez ce qui en est arrivé. Je serais en droit de les punir; mais

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