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» a payé de ses trésors la vertu de vos femmies.

» Il a enrôlé vos enfants dans ses abominables colortes. » Il a affranchi les esclaves que Dieu vous permet de posséder.

» s'est arrogé le droit de vous rendre la justice. » Il a persécuté vos plus nobles familles.

» Il a changé vos chefs par d'infàmes musulmans qu'il a achetés.

» Vos nobles et vos marabouts qui avaient été assez insensés pour le servir avec fidélité, ont eu pour récom-. pense une prison éternelle dans le pays des chrétiens.

» Vous êtes maintenant commandés par des Roumi, jugés par des Roumi, administrés par des Roumi.

» Et pour vous rendre plus visibles ses perfides intentions, voyez-le, qui vient compter vos guerriers, vos femmes et vos enfants, ainsi qu'un maître compte les moutons qu'il veut aller vendre au marché!

» Malgré la mission que Dieu m'a donnée de combattre l'infidèle jusqu'à la dernière goutte de mon sang, je lui ai laissé quelque repos; je me suis éloigné du théâtre de la guerre, bien certain que le chrétien se perdrait par ses propres œuvres.

» Le jour du réveil est arrivé. Levez-vous à ma voix, ô musulmans! Dieu a remis entre mes mains son épée flamboyante, et nous allons fertiliser les plaines de votre pays avec le sang de l'infidèle. »

Mouley-Mohammed, le plus important des agents d'Abdel-Kader, s'était établi chez les Beni-lala, et avait été rejoint par Abd-es-Selam. I annonçait que le temps était venu de chasser les Français du territoire musulman, et il se donnait aux populations comme chargé d'une mis

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sion divine et muni de pouvoirs surnaturels. Ses principaux khalifas étaient Si-Saad, surnommé El-Tebbani, parce qu'il était originaire de la tribu des Oulad-Tebban du Bou-Taleb, et Sidi-Salah, natif de l'oasis de Sidi-Okba, surnommé Bou-Derbala, parce qu'il faisait ses prédications dans les tribus avec un petit tambourin, appelé en arabe derbala. Si-Saâd-el-Tebbani avait fait ses études dans une des mosquées de Constantine, où il était parfaitement connu. Malgré cette circonstance, il était parvenu à en imposer aux populations qui l'entouraient, à leur faire croire qu'il avait des visions merveilleuses et que la mission divine dont il était chargé se dévoilerait à eux par la manifestation de pouvoirs surnaturels. C'est par des mensonges semblables que ces énergumènes entraînèrent toutes les populations du Hodna et du Bou-Taleb jusqu'aux environs de Msila. Tels étaient les personnages qui intriguaient contre nous vers le Sud.

Dans la partie kabile, se trouvait aussi un autre prétendu cherif du nom de Si-Moussa, qui arriva dans le pays, venant d'El-Aghouat. Il s'y établit et fonda une zaouïa à Tagma, chez les Beni-lala. Sa réputation de sainteté lui attira bientôt une foule de visiteurs, et en moins d'une année, il s'était acquis une influence énorme sur toute cette partie de la Kabilie. Excité par l'exemple de Si-Saâd, qui insurgeait le Bou-Taleb, et d'un autre marabout, dont nous parlerons plus loin, qui bouleversait le Babor, Si-Moussa se leva à son tour et prêcha la guerre sainte contre les Français. Ses prédications, appuyées de divers miracles obligés en ces sortes de circonstances, soulevèrent rapidement tout le pays environnant, et, à la tête d'un contingent formidable recruté

dans toute la Kabilie, il se mit en route vers Setif. A peine était-il arrivé chez les Sebtia, que la neige, sans égard pour la promesse qu'il avait faite aux siens que l'été se prolongerait jusqu'à ce qu'ils fussent entrés à Setif, commença à tomber avec une violence inouïe. Les Kabiles, un peu calmés par le froid, rentrèrent chez eux. C'est alors que la colonne du général Levasseur, dirigée contre Si-Saâd et Tebbani, eut tant à souffrir dans le Bou-Taleb. Cet épisode mérite d'être rapporté en détail.

Après un rude châtiment infligé aux Oulad-Sellam, qui avaient pris parti pour Si-Saâd, les colonnes de Batna, de Constantine et de Setif observaient les populations du Hodna, qui avaient également prêté leur appui au cherif. Le Hodna est entièrement dépourvu de bois, il était impossible d'y pénétrer en janvier, pendant la saison rigoureuse qui règne à cette époque de l'année. Le général Levasseur quitta son camp pour se porter à Aïn-Azel. Cette marche rétrograde avait pour but de chercher unc route facile pour pénétrer dans les montagnes des Mouassa et des Oulad-Tebban. Toute cette chaîne présente des pentes suffisamment accessibles par le Nord et se termine. vers le sud par des versants très-escarpés, très-pierreux et d'un accès presque impossible. Le mouvement de nos troupes vers Aïn-Azel avait fait supposer aux montagnards et à Si-Saâd qu'elles rentraient à Constantine. Celui-ci, en cette circonstance, exploita la crédulité des Arabes, et leur persuada que cette retraite était occasionnée par les pouvoirs surnaturels, dont il se disait doué en sa qualité de marabout. Au moyen de ces déclamations, il était parvenu à former en deux jours un petit rassemblement destiné à observer la marche de la colonne,

et peut-être aussi à punir les fractions qui avaient fait acte de soumission.

Le général, prévenu, partit le 28 d'Aïn-Azel et, le lendemain, arrivait à Ras-Oued-Sisli, sur le versant nord du Bou-Taleb, où était Si-Saâd avec son rassemblement. Il avait à peu près cent cavaliers et quatre à cinq cents fantassins. Il fut immédiatement chassé de toutes les positions et perdit son drapeau, qui fut enlevé par le goum du kaïd Mohammed-Ser'ir-ben-Cheikh-Saâd, des Rir'aDahara.

Le 30, le général, laissant son camp à Ras-Oued-Sisli, alla incendier tous les villages des Oulad-Tebban et faire vider leurs silos. Le village de Guedil, appartenant à SiSaåd, fut également détruit. Malheureusement la maison. de Si-Saâd, située dans une position très-élevée et abritée par des rochers, n'avait pas été aperçue et, par suite, non comprise dans l'incendie. Le goum, de son côté, n'avait pas eu le temps de vider tous les silos. Il fallait cependant détruire tout ce qui appartenait à cet intrigant et ruiner entièrement les gens qui lui avaient fourni son principal appui. Le général retourna donc sur ce point le 1er janvier 1846, et compléta l'opération. Le 2, la neige commença à tomber et atteignit, pendant la nuit, une hauteur assez considérable. Dans la matinée, elle ccssa un instant, et le général crut prudent de quitter immédiatement la montagne. Pour descendre dans la plaine, il n'y avait qu'un petit défilé de mille cinq cents mètres à traverser; mais ce passage, déjà difficile, menaçait de devenir impraticable si la neige recommençait. Vers sept heures du matin, la colonne, profitant de l'embellie, se mit en mouvement. Déjà, la moitié du

convoi avait gagué la plaine à la suite de l'avant-garde, lorsque, vers les dix heures du matin, des raffales de neige poussées par un vent glacial, vinrent arrêter le dégel et rendre le défilé infranchissable. En un instant, les points les plus difficiles se couvrirent de glace, et rendirent extrêmement laborieux le passage des bêtes de somme. La violence du vent et l'intensité de la neige étaient telles, qu'il était absolument impossible d'entretenir des feux allumés; l'horizon était entièrement obscurci à une distance de vingt-cinq pas. Dans cette situation, il était impossible de faire remonter le convoi pour reprendre le bivouac de la veille; il eût été d'ailleurs très-dangereux de rester plus longtemps dans une position où la neige s'amoncelait avec une rapidité extrême, et où le soldat ne pouvait pas espérer se chauffer aux feux de bivouac. On continua donc le passage du défilé, malgré les difficultés qui augmentaient à chaque instant, et le général résolut de diriger sa colonne sur Setif, dont il n'était séparé que par une distance d'une quinzaine de lieues. La tête de colonne, commandée par le colonel Bouscaren, marcha vers cette destination. Il était à peu près cinq. heures, lorsque l'opération du passage se termina. L'avant-garde était arrivée au milieu des douars de la tribu des Rir'a. Le général, appréciant la difficulté de voyager dans une atmosphère entièrement obscurcie par les raffales, et jugeant d'ailleurs combien il était dangereux de continuer à marcher avec des soldats affaiblis par la tourmente qui durait depuis dix heures consécutives, fit abriter les plus souffrants sous les tentes. Mais ce qui restait de soldats valides n'aurait pas pu supporter longtemps une aussi rude épreuve. On ne s'était pas reposé

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