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pes et des munitions; on prit immédiatement l'offensive. et l'ennemi, chassé de ses positions, fut mis dans une déroute complète. Le 9, les Kabiles reparurent encore; mais leur audace avait sensiblement diminué. Il suffit d'une vigoureuse charge de cavalerie, dirigée par le commandant Richepanse, pour les dissiper; on les poursuivit, pendant plus d'une lieue, en leur faisant éprouver des pertes considérables.

On devait croire que tant d'échecs successifs avaient plongé les Kabiles dans le découragement, et qu'ils renonceraient à de nouvelles tentatives, dont l'impuissance leur était si bien démontrée. Cependant, le 11, un millier de fantassins et trois cents cavaliers vinrent attaquer avec vigueur un mamelon occupé par une compagnie de tirailleurs indigènes, sous les ordres du lieutenant Bourbaki. Les habiles dispositions prises aussitôt déjouèrent tous leurs efforts. On chassa, après un feu très-vif, les Kabiles du ravin où ils étaient embusqués. Un peloton de chasseurs d'Afrique exécuta une charge brillante, qui força l'ennemi à prendre la fuite en toute hâte, après avoir laissé cent cinquante hommes tués sur le carreau. Dans les journées des 12 et 13, ils ne reparurent plus.

Sur l'avis qu'il reçut d'un rassemblement considérable, manœuvrant dans la direction du camp, le colonel Lafontaine se rendit de nouveau à Ain-Turc, dans la nuit du 14, avec une partie des troupes formant la garnison de Setif. Une reconnaissance, qu'il exécuta dans la matinée du 15, sur la route de Zamora, avec trois bataillons et deux escadrons, lui révéla la présence de l'ennemi, en position sur les hauteurs. Il les fit attaquer sur-le-champ. D'habiles manœuvres permirent au colonel Lafontaine de

l'attirer sur un terrain favorable et de le faire charger par sa cavalerie. Là encore, les contingents de Ben-Abdcs-Selam furent enfoncés après une énergique résistance, et disparurent entièrement, laissant le terrain jonché de leurs morts. Une grande quantité de fusils et d'autres objets tombèrent entre les mains de nos soldats (1). Pour perpétuer le souvenir de la belle conduite du bataillon du 62e de ligne, on donna au poste d'Aïn-Turc le nom de Redoute du 62c.

Cependant, ces attaques réitérées avaient donné une nouvelle force aux agents d'Abd-el-Kader, contre lesquels on voulait agir énergiquement. Elles nécessitaient la présence d'une grande partie des troupes disponibles de la province pour se maintenir dans une position d'observation. On se borna à une seule opération sur les Rir'aGuebala qui obéissaient à Ahmed-Cherif. Ce personnage était l'un des plus ardents partisans d'Abd-el-Kader, et il était parvenu à réunir à lui plusieurs tribus habitant à une dizaine de lieues au sud de Setif. Ils attaquaient et pillaient nos alliés, et s'étaient joints aux Kabiles qui avaient combattu contre nous avec tant d'acharnement à Ain-Turc. I devenait urgent de les punir et de leur infliger une leçon sérieuse. A cet effet, le colonel Levasseur partit de Setif le 19 mai, et, le lendemain, à la pointe du

(1) Les officiers qui, sous les ordres du colonel Lafontaine, se distinguèrent le plus pendant cette série de combats acharnés, furent :

Le commandant Delpi de la Cipière, du 62e; le commandant Mollière, des tirailleurs indigènes; le lieutenant Bourbaki, des tirailleurs indigènes; le commandant Richepanse, des chasseurs d'Afrique; le capitaine Dambry, des chasseurs d'Afrique, et le lieutenant Verillon, des chasseurs d'Afrique aussi, qui tua sept Arabes de sa main dans les différentes charges de son peloton.

jour, atteignit l'ennemi, qui prit d'abord la fuite pour sauver ses troupeaux et mettre en sûreté ses femmes et ses enfants; mais il fut bientôt joint par notre cavalerie et celle des tribus alliées. Ces dernières, qui avaient précédemment éprouvé des pertes, saisirent l'occasion de se venger, pillèrent impitoyablement plusieurs douars et ramenèrent de nombreux troupeaux. Ahmed-Cherif essaya de prendre l'offensive et présenta au combat un millier d'hommes, tant à pied qu'à cheval, occupant des défilés et des ravins difficiles qu'il fallait traverser pour aller plus avant. Le but de l'expédition étant rempli, la colonne rentra à Setif. Ce coup de main amena la soumission d'une partie de la tribu razée et celle de MohammedSer'ir-ben-Cheikh, frère d'Ahmed-Cherif, Mohammed-Ser'ir fut nommé kaïd des Rir'a à la place de son frère; mais une semblable rivalité n'avait rien de sérieux, et on pensa généralement que, par cette soumission, les Rir'a avaient pour but de se mettre à l'abri d'un plus rude châtiment. de la part des Français, et d'éviter en même temps la colère d'Abd-el-Kader, dont les intérêts étaient toujours défendus par Ahmed-Cherif.

Pendant que ces événements se passaient à quelques lieues de Setif, le bruit des affaires d'Aïn-Turc s'était répandu dans les montagnes de la Kabilie des environs de Philippeville, et amplifié à notre désavantage par la richesse de l'imagination arabe. Les prétendus revers que nous avions éprouvés, poussaient ces populations à attaquer le camp d'El-Arrouch et à inquiéter les communications entre Constantine et la mer. Cette situation, peu rassurante, nécessita le rappel d'une partie des troupes de Setif pour les porter sur les points menacés. Le camp d'Aïn

Turc fut évacué. Outre les inconvénients qui résultaient du choix défectueux de cette position, il en résultait d'autres provenant de l'inexactitude des renseignements qu'on possédait alors sur le pays. Le chemin de Setif à cette redoute passait par une gorge profonde et assez difficile à surveiller; de lå, des escortes fréquentes pour les convois et pour les évacuations de blessés ou de malades; de telle sorte qu'après deux mois de simple observation, les troupes avaient éprouvé presque autant de fatigues qu'après une campagne sérieuse. Il est permis de penser que si, au lieu d'établir un camp à Aïn-Turc, le général Galbois avait conservé toutes les forces alors rassemblées à Setif, parcouru la plaine de la Medjana jusqu'au pied des montagnes des Mâdid et des Rir'a, et détruit toutes les récoltes de ces tribus, en les faisant manger par la nombreuse cavalerie dont il pouvait disposer et par les goums des tribus alliées, il aurait produit plus d'impression sur les esprits, donné de la force morale à notre khalifa Mokrani, et peut-être ruiné, sans combattre, les affaires d'Abd-el-Kader car il est certain que les Kabiles seraient restés dans leurs montagnes, et qu'aucune tribu de la plaine n'aurait osé rien entreprendre contre des forces aussi considérables.

La nomination de Mohammed-Ser'ir comme kaïd des Rir'a-Guebala fut un acte impolitique dont on ne mesura peut-être pas assez les conséquences. En effet, Msaoud, chef des Rir'a-Dabara, avait fait sa soumission lors de l'occupation de Setif. Cet homme énergique, mais d'une grande duplicité, nous servait d'une manière non équivoque, et nous avait parfaitement secondé au commencement de notre établissement sur ce point. Quoique pa

rent d'Ahmed-Cherif, il était son ennemi. De tout temps, comme nous l'avons dit plus haut dans les notices biographiques des familles féodales, la dignité de cheikh des Rir'a avait été donnée, soit à un membre de sa famille, soit à un de celle de son rival, qui était de la branche ainée. A la razia des Rir'a-Guebala, Msaoud avait reçu ordre de coopérer avec nos troupes; il ne vint que trèstard. On ne pouvait cependant douter de lui en cette circonstance; car, initié au secret de l'opération, il aurait pu l'empêcher, s'il l'avait voulu, par une indiscrétion. Ayant été l'objet de l'attention particulière du prince royal, lors de l'expédition des Biban, et n'ayant pas démérité depuis, on peut dire qu'il s'y attendait; et il est probable que la nomination du frère de son compétiteur fut une des causes de sa défection pendant les événements qui suivirent.

Depuis quelque temps, Bon-Abd-es-Selam se tenait éloigné, et les populations des environs de Setif jouissaient d'une espèce de paix, lorsque El-Hadj-Moustafa, beaufrère d'Abd-el-Kader, déboucha tout à coup du Hodna par les Aïad, entraînant toutes les populations jusque sous les murs de Setif, qui se trouva bloqué pendant plusieurs jours. Abd-el-Kader avait envoyé à Moustafa trois cents cavaliers réguliers. Celui-ci avait fait venir auprès de lui le bataillon de réguliers de Ben-Azouz, khalifa des Ziban, qui, malgré son désastre du Djebel-Salsou, s'était promptement refait et comptait déjà cinq cents fantassins.

El-Hadj-Moustafa arriva d'abord à Aïn-R'edir, chez les Rir'a-Guebala. Ahmed-Cherif, à ce moment, faisait tous ses efforts pour agiter les tribus nouvellement soumises à la France et les empêcher de payer la contribu

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