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Tlemcen et y remplir les fonctions de chambellan. Il lui recommanda en même temps d'amener avec lui tous les Arabes nomades qu'il lui serait possible de rallier à la cause des Abd-el-ouadites. Par suite de cette communication, Ibn-Khaldoun travailla avec tant de succès qu'il décida les principaux chefs arabes d'abandonner le parti d'Abou-'l-Abbas et embrasser celui du souverain de Tlemcen. Bien qu'il eût réussi dans cette mission au point de mériter toute la bienveillance de son nouveau maître, il ne s'en laissa point éblouir : agissant avec sa prudence ordinaire, il évita de se rendre auprès d'Abou-Hammou, et comme son frère Yahya venait d'obtenir sa liberté et d'arriver à Biskera, il l'envoya à la cour de Tlemcen pour y remplir les fonctions de chambellan en qualité de lieutenant. « D'ailleurs, dit-il, j'étais revenu des >> séductions du pouvoir, et comme j'avais négligé depuis long>> temps la culture des lettres, je m'abstins de m'immiscer dans » la politique afin de pouvoir diriger mon esprit vers l'étude et >> l'enseignement. >>

Malgré cette déclaration, nous savons de l'aveu de l'auteur lui-même qu'il ne cessa de travailler les Arabes en faveur d'Abou-Hammou et de servir d'intermédiaire dans une correspondance très-active qui se passa entre ce prince et Abou-Ishac, sultan de Tunis. Le souverain abd-el-ouadite avait pour but d'obtenir l'appui du monarque hafside contre Abou-'l-Abbas, devenu maintenant maître absolu de Constantine et de Bougie. Quant à Abou-Ishac, il se montra très-disposé à faire ce qu'on lui demandait, parce qu'il nourrissait contre Abou-'l-Abbas une haine extrême. « Et rien de plus naturel, dit notre auteur avec une >> naïveté tant soit peu maligne; Abou-'l-Abbas était non-seu>>lement son neveu, mais son rival. » Cette négociation avait déjà pris une excellente tournure quand la révolte des Hosein, tribu arabe qui habitait la province de Tîteri, vint tout déranger. Abou-Zian, membre de la famille royale de Tlemcen, avait conçu le projet d'enlever l'empire à Abou-Hammou, et était parvenu à soulever les Hosein, une des populations les plus turbulentes de l'Afrique septentrionale. Il fallait châtier les rebelles, et pendant que le sultan agissait contre eux du côté du Nord, Ibn-Khaldoun

à

se tint avec un corps d'Arabes à El-Guetfa1, afin de leur couper la retraite s'ils essayaient de s'enfuir vers le Désert. Il occupait encore cette position quand son camp fut attaqué par les Zoghba et les Oulad-Arif, tribus arabes qu'Abou-'l-Abbas était parvenu gagner. Les Douaouida, qui se trouvaient avec Ibn-Khaldoun, prirent aussitôt la fuite et le mirent dans la nécessité d'opérer sa retraite vers le Zab. Les Hosein, soutenus par les vainqueurs, enlevèrent d'assaut le camp d'Abou-Hammou, et obligèrent ce prince à reprendre la route de Tlemcen.

Pendant quelques années encore, Ibn Khaldoun travailla à lui assurer l'appui des Arabes; mais enfin, il apprit que le sultan mérinide, Abd-el-Azîz, avait formé le projet de marcher contre les Abd-el-ouadites. « Je vis alors, dit-il, qu'il me serait très» difficile de passer chez les Arabes rîahides où j'avais reçu » l'ordre de me rendre; reconnaissant aussi que la guerre était >> imminente et sachant que les insurgés avaient intercepté la >> route que je devais prendre, j'obtins l'autorisation de passer >>> en Espagne. Arrivé au port de Honein, j'appris l'entrée du >> sultan mérinide à Téza et la fuite d'Abou-Hammou qui s'était >> retiré vers le Désert. Ne trouvant pas de navire à Honein pour >> me transporter en Espagne, je cessai de m'en occuper, et ce >> fut alors qu'un misérable délateur eut la pensée d'écrire au » sultan Abd-el-Azîz que j'étais chargé d'un dépôt précieux >> qu'Abou-Hammou m'avait ordonné de porter au souverain de » l'Andalousie. Abd-el-Azîz fit aussitôt partir de Téza un déta>> chement de troupes pour m'enlever ce prétendu dépôt, et » comme on ne trouva rien sur moi, je fus conduit prisonnier >> auprès de ce sultan qui s'était avancé jusqu'aux environs de >> Tlemcen. Il m'interrogea au sujet de ma mission, et quand je » lui eus expliqué la vérité, il me reprocha d'avoir quitté le » service mérinide. Je m'en excusai en rejetant le blâme sur le

A Voy. ce nom dans le Dictionnaire géographique qui suit cette introduction.

2 Ces Arabes occupaient alors le pays, au Sud-Est de Tîteri, qui est habité maintenant par les Oulad-Naïl.

>> régent Omar-Ibn-Abd-Allah. »« Il me demanda, dans >> cette séance, des renseignements sur Bougie, et comme il laissait >> entrevoir le désir de s'en emparer, je lui montrai combien >> cela lui serait facile. Mes paroles lui firent un vif plaisir, et le >> lendemain il ordonna ma mise en liberté. Je me rendis aussi» tôt au couvent du cheikh Abou-Medin [à une demi-lieue de >> Tlemcen], heureux d'échapper au tracas des affaires mon>> daines et de pouvoir me consacrer à l'étude aussi longtemps >> qu'on me laisserait tranquille. >>

Le sultan Abd-el-Azîz ayant occupé Tlemcen, résolut de faire poursuivre Abou-Hammou jusque dans le Désert, et il donna l'ordre de réunir un corps de cavaliers arabes à cet effet. Se rappelant alors l'influence qu'exerçait Ibn-Khaldoun sur les tribus rîahides, il se décida à l'envoyer chez ces peuplades afin de les rallier au parti des Mérinides. Notre auteur était maintenant installé dans le ribat ou couvent d'Abou-Medîn, avec la résolution de renoncer au monde; il avait même commencé à enseigner les jeunes élèves de cet établissement, quand il reçut du sultan l'invitation de se rendre à la cour. Il y fut accueilli avec une telle bonté qu'il ne put refuser la mission dont le prince voulut le charger, et, dans le moisd'août 1370, il partit pour sa destination, muni de lettres de recommandation et de pleins pouvoirs.. Sans retracer ici ses démarches auprès des chefs arabes, nous dirons seulement qu'il les gagna complètement et que par ses renseignements et habiles dispositions, il procura au vizir mérinide, Abou-Bekr-Ibn-Ghazi, l'occasion de surprendre AbouHammou dans le Zab et de lui enlever ses bagages et ses trésors. Le prince abd-el-ouadite s'échappa à la faveur de la nuit pendant que ses fils et les dames de sa famille se dispersaient dans toutes les directions. Ce ne fut qu'aux bourgades de Mozab qu'il parvint à les rallier autour de lui, et bientôt après, il alla se réfugier à Tîgourarîn, un des oasis les plus réculés du Désert, Ibn-Khaldoun passa quelques jours à Biskera, au sein de sa famille, et rentra ensuite à Tlemcen où le sultan Abd-el-Azîz l'accueillit avec la plus grande distinction.

Nous avons déjà parlé des Hosein, tribu remuante qui se plai

sait dans le désordre. Vers cette époque elle céda de nouveau aux instances d'Abou-Zian; mais cette fois-ci elle se révolta contre l'autorité mérinide. Le sultan fit marcher son vizir pour la combattre, pendant qu'Ibn-Khaldoun alla encore rassembler les Arabes douaouida et occuper son ancienne position à El-Guetfa. Les Hosein furent attaqués avec tant d'impetuosité qu'ils perdirent tous leurs troupeaux et durent se jeter dans le Désert avec AbouZian. Ce prince passa alors dans le pays des Ghomert ou Ghomra, région occupée de nos jours par les Aulad-Naïl, et il parvint à les soulever contre le sultan. Ibn-Khaldoun reçut l'ordre de marcher avec ses Arabes contre les insurgés. Cette démonstration ayant suffi pour les faire rentrer dans le devoir, il envoya une dépêche au sultan pour l'instruire du résultat de l'expédition; puis il alla séjourner à Biskera en attendant les ordres de la

cour.

Pendant qu'il travaillait ainsi pour le service du sultan Abdel-Azîz, l'influence qu'il avait acquise sur les Arabes excita les appréhensions d'Ahmed-Ibn-Mozni, seigneur de Biskera. Ce chef, trompé par de faux rapports, céda à ses craintes et même à sa jalousie, de sorte qu'il écrivit au ministre mérinide une lettre dans laquelle il se plaignit amèrement de la conduite de son hôte. Il en résulta le rappel d'Ibn-Khaldoun qui partit de Biskera avec sa famille (septembre 1372), afin de se rendre auprès du sultan. Arrivé à Milîana, il prit le chemin du Désert qui suit le bord du Tell; mais, parvenu aux sources de la rivière Za, il fut attaqué par les Aulad-Yaghmor, peuplade arabe qu'Abou-Hammou, du fond de sa retraite à Tigourarîn, avait lancé contre la caravane. « Quelques-uns des nôtres, dit-il, échappèrent à cette embus» cade, grâce à la vitesse de leurs chevaux, et se réfugièrent » dans la montagne de Debdou, mais, le reste, et j'étais de ce »> nombre, fut réduit à s'enfuir à pied. Tous nos bagages nous >> furent enlevés. Nous marchâmes ensuite pendant deux jours » dans un désert aride, et je parvins enfin à rejoindre mes compagnons qui se tenaient encore sur le Debdou. » Arrivé, enfin, à Fez, il y trouva un excellent accueil; le vizir Abou-Bekr-IbnGhazi, devenu maintenant régent de l'empire par suite de la

D

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Ce prince l'accueillit avec une bonté extrême et le fit escorter au camp du sultan qui se dirigeait alors vers le Belad-el-Djerîd. Le monarque hafside reçut notre historien avec un empressement plein de bienveillance; il le consulta même sur des affaires d'état, et l'autorisa à partir pour la capitale, où le lieutenant-gouverneur venait de recevoir l'ordre de le traiter avec tous les égards possibles. Quand Ibn-Khaldoun fut installé dans son logement à Tunis, il y fit venir sa famille, et après la rentrée du sultan, il eut l'honneur d'être présenté à la cour. « Dès ce moment, dit-il, >> le sultan me témoigna les plus hauts égards et m'admit, non>> seulement à ses réceptions, mais à des entretiens secrets. Les >> courtisans virent de mauvais œil la confiance dont le prince >> m'honorait, et ils travaillèrent à me desservir auprès de lui. >> Il trouva encore un ennemi dans un ancien condisciple, le mufti Ibn-Arafa. Tous ces gens se mirent d'accord pour le calomnier et pour le perdre, mais le sultan ne fit d'abord aucune attention à leurs délations.

<< Comme ce prince désirait acquérir de nouvelles connais>>sances dans les sciences et l'histoire, il me chargea, dit Ibn» Khaldoun, de travailler à l'achèvement de mon grand ouvrage » sur les Berbères et les Zenata; aussi, quand je l'eus terminé >> et mis en ordre tous les renseignements qu'il m'avait été pos»sible de recueillir sur les Arabes et les Berbères, ainsi que » sur les temps antéislamiques, j'en fis une copie pour sa bibliothèque. »

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Dans cette intervalle, les courtisans, excités par Ibn-Arafa, réussirent à faire croire au sultan que son protégé était un homme dangereux dont il devait craindre les intrigues; aussi, ce monarque, qui était alors sur le point d'entreprendre une nouvelle expédition, préféra emmener Ibn-Khaldoun dans sa suite que de le laisser à Tunis. En l'an 784, il fit encore les préparatifs d'une expédition, et, comme notre historien craignait la répétition de ce qui lui était déjà arrivé, il demanda la permission de s'en aller à la Mecque. Ayant obtenu le consentement du monarque, il se rendit au port, suivi des personnages les plus éminents de l'empire et entouré d'une foule d'étudiants. Leur

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