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Distingue par ta faveur Corra [descendue] de Menaf, et toute sa race! que cetle tribu, guidée par tes conseils, soit toujours disposée à fournir de l'eau aux peuplades nomades.

On voit que ces poètes représentent les Corra comme descendants de Menaf, et cependant, il n'y a aucun Menaf dans la généalogie de la tribu de Hilal. Il y a bien un Abd-Menaf, et c'est sans doute lui qu'ils ont voulu désigner.

Lors du règne d'El-Hakem, la tribu de Corra eut pour-chef Mokhtar-Ibn-el-Cacem. Quand El-Hakem envoya Yahya-IbnAli-el-Andaloci à Tripoli pour secourir Felfoul-Ibn-Said-IbnKhazroun contre les Sanhadja (événement dont nous parlerons dans l'histoire des Beni-Khazroun), il transmit aux Corra l'ordre d'accompagner ce général. Ils se rendirent donc à Tripoli, mais plus tard, ils rentrèrent à Barca après avoir contribué à la défaite de Yahya-Ibn-Ali en l'abandonnant à l'heure du combat. El-Hakem somma alors leurs chefs de comparaître devant lui, et sur leur refus, il leur expédia des lettres de grâce. Par ce moyen il les attira à Alexandrie où il les fit tous mettre à mort. Ceci se passa en 394 (1003-4).

Il se trouvait alors dans cette tribu un homme qui enseignait le Coran et qui tirait son origine d'El-Moghaïra-Ibn-Abd-er-Rahman l'oméïade. Cet individu, qui se nommait El-Ouélid-IbnHicham [Abou-Racoua] prétendait savoir par inspiration qu'il remonterait sur le trône de ses ancêtres. Les tribus berbères de Mezata, Zenata et Louata ajoutèrent foi à ses paroles, et l'on s'entretint beaucoup à son sujet. Enfin, en l'an 395, les Beni-Corral le proclamèrent khalife et s'emparèrent de la ville de Barca. A cette nouvelle, El-Hakem envoya des troupes contre la tribu révoltée, mais El-Ouélîd-Ibn-Hicham les mit en déroute et tua leur commandant qui était turc de nation. S'étant ensuite dirigé contre l'Égypte, le vainqueur y essuya une défaite et dut chercher un refuge chez les Bédja, dans le pays des Noirs. Trahi par ceux dont il avait espéré la protection, il se vit emmener prison

Le pays habité par les Bédja est situé dans la Haute-Égypte, sur la frontière de l'Abyssinic. (Voyez les Mémoires sur l'Egypte, par M. Quatremère, tome 1, Mémoire sur les Blemmyes.)

nier au Caire où il subit la peine capitale. Plus tard, les BeniCorra parvinrent à obtenir leur grâce. En l'an 402 (1041-2) ils interceptèrent les présents que Badîs-Ibn-el-Mansour, roi des Sanhadja, envoyait en Égypte; puis ils allèrent s'emparer de Barca. Le gouverneur de cette ville prit la fuite, monta sur un navire et partit.

Telle était encore la position où ils se trouvaient quand leurs frères de la tribu de Hilal, les Zoghba, les Rîah et les Athbedj, pénétrèrent en Ifrikïa avec leurs dépendants. Ils se mirent en marche avec eux, ayant au nombre de leurs chefs ce Madi-IbnMocreb dont le nom se fait remarquer dans l'histoire de la tribu de Hilal.

eux,

On conserve chez les Hilaliens des récits fort étranges au sujet de leur entrée en Ifrikïa. Ainsi, ils prétendent que le chérif IbnHicham, prince de Hidjaz, et appelé, selon Chokr-Ibn-Abi l'-Fotouh, contracta une alliance avec [leur chef] Hacen-Ibn-Serhan, dont il épousa la sœur El-Djazia, et que de ce mariage naquit un fils appelé Mohammed. Des querelles et des dissentions s'étant ensuite élevées entre le chérif et les membres de la tribu, ceux-ci prirent la résolution de passer en Afrique. Mais, d'abord, ils usèrent de ruse afin de pouvoir emmener la femme du chérif. D'après leurs conseils, elle demanda à son mari la permission d'aller visiter ses parents. Il y donna son consentement et l'accompagna jusqu'au lieu où la tribu était campée. On partit alors, emmenant le chérif et son épouse, avec l'intention apparente de le conduire à un endroit où l'on se livrerait, le lendemain, au plaisir de la chasse, et de revenir au campement aussitôt que les tentes y seraient dressées de nouveau. Tant qu'ils se trouvèrent sur le territoire du chérif, ils lui cachèrent leur véritable projet, mais, lorsqu'ils eurent atteint les terres situées hors de la juridiction de ce chef, ils le renvoyèrent à la Mecque, le cœur rempli de douleur en se voyant enlever la personne qu'il aimait tant. Sa femme continua à ressentir pour lui un amour égal à celui qui le tourmentait, et elle mourut enfin, victime de sa passion.

Encore aujourd'hui, dans la tribu de Hilal, on raconte au sujet de ces deux amants des histoires à faire oublier celles de Caïs et

de Kotheïer. On rapporte aussi un grand nombre de vers attribués au chérif et à sa femme. Bien que ces morceaux ne manquent pas de régularité et de cadence, ainsi que d'une certaine facilité d'expression, on y remarque des interpolations, des altérations et des passages controuvés. Les règles de la syntaxe désinentielle y sont tout-à-fait négligées; mais, nous avons déjà établi, dans nos Prolégomènes, que l'absence des inflexions grammaticales n'influe nullement sur la juste expression de la pensée. Il est vrai que les gens instruits, habitants des villes, n'aiment pas à entendre réciter de tels poèmes, parce que les désinences grammaticales n'y sont pas toujours exactes; un tel défaut, selon leur idée, est radicalement subversif de la précision et de la clarté; mais je ne suis pas de leur avis.

Comme nous l'avons dit, ces poèmes renferment des interpolations nombreuses, et, dans l'absence des preuves qui pourraient attester qu'ils nous ont été transmis sans altération, on ne doit y mettre aucune confiance. Il en serait bien autrement si nous avions la certitude de leur authenticité et l'assurance que la tradition orale les eût conservés dans leur intégrité primitive: alors on y trouverait des passages propres à confirmer l'histoire des guerres de cette tribu avec les Zenata, à déterminer les noms de ses chefs et à établir bien des circonstances qui la regardent. Quant à nous, il nous est impossible d'admettre que le texte de ces poèmes se soit conservé intact; nous pensons même que tout esprit cultivé y reconnaîtra facilement des passages interpolés. Voilà tout ce que l'on peut dire à ce sujet.

Quoi qu'il en soit, les membres de la tribu de Hilal s'accordent depuis plusieurs générations, à regarder comme vrai l'histoire du chérif et d'El-Djazia; et quiconque serait assez hardi pour en contester l'authenticité ou même exprimer des doutes, s'exposerait à être accusé de folie ou d'ignorance: tant cette tradition est générale chez eux.

1 Les amours de Caïs et Leila, et de Kotheïer et Azza sont très-célèbres chez les poètes arabes. La vie de Kotheïer se trouve dans Ibn-Khallikan, traduction, vol. II, p. 529.

Voy. l'Anthologie grammaticale arabe, de M. de Sacy, p. 410.

Le chérif dont il s'agit, appartenait à la famille des Houachem. Il se nommait Chokr. On rapporte ainsi sa généalogie : Chokr, fils d'Abou-'l-Fotouh-El-Hacen, fils de Djâfer, fils d'AbouHachem-Mohammed, fils de Mouça, fils d'Abd-Allah-Abou-'l-Kiram, fils de Mouça-el-Djoun, fils d'Abd-Allah, fils d'Idris. Son père Abou-'l-Fotouh, fut le même qui, sous le règne d'El-Hakem, se proclama indépendant à la Mecque. Il reçut alors les hommages des Beni-'l-Djerrah, émirs de la tribu de Taï en Syrie, et cédant à leur invitation, il se rendit au milieu de leurs campements. Tous les Arabes nomades, s'empressèrent de lui prêter le serment de fidélité, mais ses partisans ayant été vaincus par les troupes d'El-Hakem, il rentra à la Mecque où il mourut en 430 (1038-9). Il eut pour successeur son fils Chokr, celui dont il vient d'être question. Chokr mourut en 453 (1061), et sa place fut remplie par son fils Mohammed, le même que les membres de la tribu de Hilal prétendent être né de leur parente El-Djazia. Du reste, nous avons parlé de tout cela dans l'histoire des Alides. Sa généalogie, telle que nous venons de la donner, est celle que lui assigne Ibn-Hazm; mais Ibn-Saîd le regarde comme descendant des Soleimanides, étant fils de Mohammed, fils de Soleiman, fils de Dawoud, fils de Hacen, fils d'El-Hacen-es-Sibt [petit fils de Mahomet par sa fille Fatema]. Ce fut lui qu'Abou-'s-Seraïa-s-Chaibani proclama khalife, lors de la mort d'Ibn-Tabataba. Il prit alors le surnom de Nahed (assurgens), et s'étant rendu à Médine, il s'empara de tout le Hidjaz, et transmit le gouvernement de la Mecque dans sa famille. Ses descendants furent détrônés par les Houachem.

[Tel est le récit d'Ibn-Said], mais les paroles d'Ibn-Hazm sont

1 Voy. son histoire dans les Druzes de M. de Sacy, t. 1, p. CCCLII, et dans la traduction d'Ibn-Khallikan, vol. 1, p. 452.

Le chapitre auquel notre auteur renvoie le lecteur se trouve dans une autre partie de son grand ouvrage., (Voy. man. de la Bib. nat.; n° d'entrée 2402°, fol. 43, 44.)

2 C'est-à-dire, Soleiman, fils de Dawoud.

La révolte d'Abou-'s-Seraïa eut lieu en l'an 199 de l'Hégire.

plus conformes à la vérité, puisque tout le monde s'accorde à désigner ce chérif comme fils de Hachem, afin de le distinguer de tous les autres chérifs; et une telle dénomination n'aurait pas été exacte à moins qu'il ne se trouvât un Hachem ou un Abou-Hachem au nombre de ses ancêtres, et plus rapproché de lui qu'ElHacen et Hocein [les deux aïeux de tous les chérifs]. Quant à Hachem, le plus ancien de tous [et l'arrière-grand père de Mahomet], il ne peut être question de lui dans ce cas, puisque tous les ché-rifs sont également ses descendants, et que le nom de fils de Hachem ne pourrait alors servir à les distinguer les uns des autres.

Un membre de la tribu de Hilal, homme dont la parole me paraît digne de foi, m'a informé qu'il visita le pays habité autrefois par le chérif Chokr: « C'est, dit-il, le plateau du Nedjd qui » avoisine l'Euphrate, et les descendants de cet émir s'y trou>> vent encore de nos jours. >>

Les membres de cette tribu prétendent qu'El-Djazia, après avoir été séparée du chérif, épousa, en Ifrikïa, un de leur chefs nommé Madi-Ibn-Mocreb, de la tribu de Doreid.

Quand El-Mostancer envoya les Hilal en Ifrîkïa, il investit leurs chefs du commandement des villes et des forteresses de ce

pays, ainsi que de l'administration des provinces qu'ils allaient conquérir. Ce fut alors qu'il nomma Mounès-Ibn-Yahya-el-Mirdaci, gouverneur de Cairouan et de Bedja; Hacen-Ibn-Serhan, gouverneur de Constantine, et rendit la tribu de Zoghba maîtresse de Tripoli et de Cabes.

Ces Arabes ayant enlevé au peuple sanhadjien toutes ses villes, établirent leur autorité sur les lieux que le khalife leur avait assignés, et firent subir, sans relâche, à leurs nouveaux sujets, toute espèce de vexations et de tyrannie. En effet, cette race arabe n'a jamais eu un chef capable de la diriger et de la contenir.

Expulsés bientôt après des grandes villes, dont ils avaient poussé à bout les habitants par leur insolence et leur injustice, ces bandits allèrent s'emparer des campagnes; et là, ils ont continué, jusqu'à nos jours, à opprimer les populations, à piller les voyageurs et à tourmenter le pays par leur esprit de rapine et de brigandage.

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