Images de page
PDF
ePub

§ XLIV. RÈGNE D'ABOU-MOHAMMED-ZIADET-ALLAH, FILS DE MOHAMMED, FILS D'EL-AGHleb.

Abou-Ibrahîm eut pour successeur son frère Ziadet-Allah. Ce prince mourut le vendredi soir, 20 de Dou-'l-Câda 250 (décembre 864); n'ayant régné qu'un an et sept jours. Il était beau de figure et se distinguait par son savoir, son intelligence, sa prudence et sa bravoure.

§ XLV.

RÈGNE D'ABOU-ABD-ALLAH-MOHAMMED, FILS D'AHMED, FILS DE MOHAMMED, FILS D'BL - AGHLEB, SURNOMMÉ ABOU - 'L GHARANÎC.

L'autorité suprême passa ensuite entre les mains d'Abou-AbdAllah-Mohammed-Ibn-Ahmed, neveu de Ziadet-Allah. On donna à ce prince le sobriquet d'Abou-'l-Gharanic (l'homme aux grues) parce qu'il aimait avec passion la chasse à ces oiseaux et qu'il avait dépensé trente mille dinars à bâtir un château dans Es-Sehlein afin de pouvoir se livrer plus commodément à son amusement favori. Vers la fin de ces jours, on l'appelait El-Méït (le mort) parce qu'il avait été longtemps malade et qu'à plusieurs reprises on avait répandu le bruit de sa mort. La province du Zab, une des frontières de l'empire, se révolta pendant son règne, et il fut obligé d'y envoyer une armée, sous le commandement d'Abou-Khafadja-Mohammed-Ibn-Ismail, pour rétablir l'ordre. Ce général remporta tant de victoires pendant son expédition que les Berbères en furent remplis d'épouvante et qu'aucun d'entre eux n'osa plus lui résister. En passant par les villes de Tehouda et de Biskera, il reçut des habitants une prompte soumission. De là il se dirigea sur Tobna, et ayant

1 Ibn-Khaldoun dit que Ziadet-Allah était fils d'Abou-Ibrahim-Ahmed, mais En-Noweiri se trouve ici d'accord avec Ibn-el-Athîr et l'auteur Baian.

2 Selon Ibn-Khaldoun, Abou-Abd-Allah-Mohammed était frère de son prédécesseur, mais la déclaration d'En-Noweiri est confirmée par le texte du Baian.

effectué sa jonction aveo Haï-Ibn-Malek-el-Béloui qui lui amenait la cavalerie de Belezma, il alla faire le siége d'Obba. Cette ville se rendit sur-le-champ, tant était grande la crainte qu'il avait inspirée aux Berbères. On offrit même de lui remettre des ôtages, en s'engageant à payer l'impôt territorial (kharadj), la dîme (achour) et les aumônes légales (sadacat), mais il refusa d'accepter cette proposition et partit pour attaquer les BeniKemlan, branche de la tribu de Hoouara. Cette peuplade avait alors pour chef Mohelleb-Ibn-Soulat, mais l'approche d'AbouKhafadja les avait tellement découragés qu'ils envoyèrent une députation auprès de lui pour demander grâce à telles conditions qu'il lui plairait. Abou-Khafadja repoussa leur prière et s'avança pour les attaquer. Au plus fort de l'action, Haï-IbnMalek abandonna le champ de bataille, emmenant avec lui les troupes de Belezma, de sorte que le général aghlebite succomba avec plusieurs de ses principaux officiers et un grand nombre de ses soldats. Les débris de l'armée se réfugièrent dans Tobna.

La prise de l'île de Malte eut lieu sous le règne de ce prince. Cette conquête fut effectuée par Ahmed-Ibn-Abd-Allah-Ibn-elAghleb.

Abou-Abd-Allah-Mohammed mourut le mercredi, 7 du mois de Djomada premier, 261 (février 875), âgé seulement de vingt quatre ans. Il avait régné dix ans, cinq mois et seize jours. C'était un prince généreux jusqu'à là prodigalité, rempli de bonté et d'humanité envers ses sujets, mais aimant les amusements frivoles, la chasse, le vin et les plaisirs. Il buvait avec si peu de retenue qu'un jour, pendant qu'il était à Souça, il s'enivra à une promenade sur mer, et le bâtiment qu'il montait était déjà arrivé à l'île de Cossura avant qu'il eut repris sa raison. Saisi de frayeur, il se hâta de revenir à Souça, mais malgré le danger qu'il avait couru, il continua à vivre dans la débauche jusqu'à la fin de ses jours. Il avait si peu envie de thésauriser qu'à sa mort, ses frères trouvèrent le trésor public entièrement vide.

§ XLVI. REGNE D'ABOU-ISHAC-IBRAHIM, FILS D'ARMED, FILS DE MOHAMMED, FILS D'EL-aghleb.

Ibn-er-Rakîk raconte ce qui suit. Avant de mourir, Abou'lGharanic fit publiquement reconnaître son fils Abou-l'Eical comme successeur au trône, et il obligea son frère Ibrahîm-IbnAhmed de se rendre à la grande mosquée de Cairouan et d'y faire cinquante fois de suite le serment de ne rien entreprendre contre l'autorité du jeune prince. Cette cérémonie eut lieu en présence des cheikhs de la famille Aghleb, des cadis et des docteurs de Cairouan. A la mort d'Abou-Gharanic, le peuple alla trouver Ibrahîm qui était alors gouverneur, et l'invita à se rendre au château [d'El-Casr-el-Cadîm] et monter sur le trône. L'excellente conduite d'Ibrahîm dans son administration lui avait valu cet hommage. Il leur répondit par ces paroles : « Vous savez que mon frère a déclaré son fils successeur au trône par un acte solennel, et qu'il m'a fait jurer cinquante fois que je ne chercherais pas à arracher le pouvoir au jeune prince, et que même je ne mettrais pas le pied au château. » — « Eh bien! lui dirent-ils, nous ne lui permettrons pas de régner; nous ne le voulons pas pour souverain et nous l'empêcherons bien de l'être ! d'ailleurs, aucun engagement ne nous lie envers lui. » Alors Ibrahim monta à cheval et sortit de Cairouan, accompagné par la majeure partie des habitants. Arrivé au château, il y pénétra de vive force et reçut sur le champ les hommages des cheikhs de Cairouan, des notables et de plusieurs membres de la famille Aghleb. Aussitôt revêtu du pouvoir, il fit écrire à tous les gouverneurs provinciaux et aux collecteurs d'impôts, leur ordonnant de bien s'acquitter de leurs devoirs et de traiter ses sujets avec douceur. Il confia la place de chambellan à Mohammed-Ibn-Corhob.

Au mois de Safer de l'an 263, Ibrahîm fit commencer la construction [du château] de Raccada, (la dormeuse) et il s'y installa avant que l'année fut écoulée. L'historien déja cité nous apprend que ce château avait quatorze mille coudées de tour et qu'il n'y avait pas en Ifrîkïa de lieu où l'air fût plus pur, le climat plus

tempéré et les champs mieux fleuris. Il rapporta anssi qu'il avait entendu dire à un investigateur curieux de la signification des noms, qu'à Raccada l'on souriait sans motif et l'on était gai sans

cause.

La ville de Syracuse en Sicile fut prise sous son règne. Cette conquête fut achevée dans le mois de Ramadan, 264 (mai-juin 878) par une armée expéditionnaire sous les ordres d'AhmedIbn-el-Aghleb. La garnison, qui était composé de plus de quatre mille infidèles, fut passée au fil de l'épée, et on y fit un butin comme on n'en trouva jamais dans aucune des villes des polythéistes. La place fut emportée après un siége de neuf mois ; les musulmans y restèrent encore deux mois, puis ils la détruisirent et s'en allèrent.

En l'an 264, les moulas qui se trouvaient dans El-CasrCadîm se révoltèrent contre Ibrahîm et interceptèrent toute communication entre Raccada et Cairouan. Il avait ordonné la mort d'un de leurs camarades appelé Matrouh-Ibn-Omm-Badir, et cela avait suffi pour les précipiter dans la rébellion. Aussitôt après, une foule immense sortit de Cairouan pour les attaquer. En face de cette démonstration, les insurgés cédèrent à la crainte et demandèrent grâce, ce qu'on ne leur refusa pas. A quelque temps de là, vint l'époque de distribuer la solde aux troupes, et comme Ibrahîm devait tenir une séance au Château d'Abou'lFeth, tous les moulas allèrent recevoir ce qui leur revenait. Au moment où chacun d'eux se présentait à son tour, Ibrahim lui enlevait son épée, et les ayant ainsi tous désarmés, il fit fouetter les uns et mettre en croix les autres. Plusieurs de ces malheureux furent enfermés dans la prison de Cairouan où on les garda jusqu'à leur mort; mais un certain nombre d'entre eux parvint à se réfugier en Sicile. Après cette exécution, Ibrahîm donna l'ordre d'acheter un grand nombre de nègres auxquels

2

+ Ces moulas ou affranchis étaient probablement les descendants des esclaves nègres que le premier souverain aghlebide avait installés dans le Vieux-Château.

2 Le mot arabe est abid.

il fournit des habillements et des montures, et qu'il employait dorénavant dans ses guerres. Ces nouvelles troupes se distinguèrent par leur bravoure et leur force physique.

En l'an 265 (878-879), El-Abbâs, fils d'Ahmed-Ibn-Touloun, [souverain de l'Egypte] se révolta contre son père et passa à Barca où il réunit autour de lui beaucoup de partisans. Ibrahîm fit partir son chambellan, Mohammed-Ibn-Corhob, pour chasser l'intrus, mais les troupes de ce général furent mises en déroute à Ouadi-Ourdaça, et il se trouva obligé de battre en retraite. El-Abbas vint alors s'emparer de Lebida et, de là, il s'avança jusqu'à Tripoli qu'il assiégea pendant quelques jours. Ibrahîm se décida alors à marcher en personne contre cet aventurier, et il avait déjà atteint la ville de Cabes quand Ibn-Corhob vint lui apporter la nouvelle d'une défaite sanglante qu'El-Abbas avait éprouvée et dans laquelle il avait perdu une grande partie de ses trésors.

En l'an 268 la disette fut extrême, et le blé se vendait à raison de huit pièces d'or (dinars) le cafiz, mesure qui équivaut à un ardeb et quart, mesure égyptienne 1. Le peuple mourait de faim, et tel fut le manque de vivres que quelques-uns d'entre eux se nourrirent de chair humaine.

Sous le règne d'Ibrahîm, la tribu d'Ouzdadja refusa d'acquitter ses impôts et défit les troupes que son gouverneur, ElHacen-Ibn-Sofyan, avait amené contre eux. El-Hacen fut contraint de se réfugier dans Bédja, et Ibrahîm dut faire marcher son chambellan, Ibn-Corhob, contre les révoltés. Ce chef alla se poster à El-Mechar, montagne qui s'élève sur le territoire des Ouzdadja, et, de ce lieu, il envoya sa cavalerie les harasser, matin et soir, jusqu'à ce qu'ils se soumirent et donnèrent des ôtages.

Il marcha ensuite contre les Hoouara qui s'étaient mis, depuis quelque temps, à dévaster les pays voisins et à intercepter les communications. Malgré la promesse de pardon qu'il s'empressa

4 L'ardeb ou boisseau, varie beaucoup suivant les lieux; ainsi au Caire il pèse 146 kilogrammes, et, à Rosette, 220 kilogrammes.

« PrécédentContinuer »