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changèrent à l'égard de son chef et il commença à comploter contre lui. Ibrahîm s'établit enfin dans son château, et, quelque temps après, Emran se révolta à la tête des troupes qu'il avait sous ses ordres, s'empara de Cairouan et obtint bientôt l'appui d'une foule de partisans. La guerre continua entre eux pendant une année entière; la cavalerie d'Ibrahîm faisait des incursions jusque sous les murs de Cairouan et massacrait tout ce qu'elle rencontrait, pendant que celle d'Emran faisait de même dans le pays occupé par Ibrahim. Ces démêlés duraient encore, qnand Ibrahîm apprit que le Commandant des croyants venait d'expédier en Ifrîkïa un messager porteur de la solde des troupes. Il envoya aussitôt son fils Abd-Allah à Tripoli pour s'emparer de ces fonds et les lui apporter. Lorsque cet argent fut entre ses mains, les troupes d'Emran, qui soupiraient après leur solde, conçurent la pensée de livrer leur chef. Informé de leurs sentiments, Ibrahîm mit son armée en campagne et marcha sur Cairouan à la tête de la cavalerie, l'infanterie et le corps d'esclaves nègres. Arrivé près de la ville, il fit proclamer par un héraut que tous ceux dont le nom était inscrit sur le registre du Commandant des croyants devaient se présenter pour toucher leur solde, puis il' rentra à son château sans avoir fait aucune démonstration hostile. Vers le soir, Emran acquit la certitude que ses troupes voulaient le trahir, et la même nuit, il partit à cheval pour se rendre dans le Zab, accompagné d'Amer-bn-Moaouïa et d'AmerIbn-el-Motamer. Ibrahim s'empressa alors d'enlever les portes de Cairouan et de pratiquer des brêches dans les murailles. Voyant son autorité raffermie par ces événements, il agrandit le Casr-elCadîm et accorda aux membres de sa famille et à ses clients des logements dans l'enceinte de cette forteresse. Quant à Emran, il resta dans le Zab jusqu'à la mort d'lbrahîm, et, lors de l'avènement d'Abou-'l-Abbas, fils de celui-ci, il lui écrivit pour demander grace. Ce prince se rendit à sa prière et lui assigna pour demeure le Casr-el-Cadîm, mais plus tard, ayant appris qu'il ourdissait des trames contre lui, il le fit mettre à mort 1.

En l'an 196, la garnison de Tripoli se révolta contre le gouverneur, Abd-Allah fils d'Ibrahim-Ibn-el-Aghleb, et le força de s'éloigner. Abd

Le règne d'lbrahîm dora jusqu'en l'an 196: il mourut le 24 du mois de Choual (juillet 812), à l'âge de cinquante-six ans, après avoir gouverné pendant douze ans, quatre mois et dix jours. Il était jurisconsulte, orateur et poète; il se distinguait par sa prévoyance, sa vigueur et sa résolution; habile dans l'art et les ruses de la guerre, doué d'un courage à toute épreuve, il se faisait obéir jusque dans les pays de son empire les plus éloignés, pendant qu'il s'illustrait par l'excellence de son administration. << Jusqu'alors, dit Ibn-er-Rakîk, l'Ifrikïa n'avait jamais possédé de gouverneur plus juste, plus habile, plus humain envers ses sujets, et plus ferme dans l'exercice du pouvoir. Il avait beaucoup étudié, et fréquenté assidûment les leçons d'El-Leith-Ibn-Sâd. » L'histoire nous a conservé de lui une foule de traits et de souvenirs admirables.

§ XXXIX. REGNE D'ABOU-'L-ABBAS-ABD-ALLAH, FILS D'IBRAHIM,

FILS D'EL-AGILEB.

L'historien dit: Comme Abou- 'l- Abbas-Abd-Allah, fils d'Ibrahim, se trouvait à Tripoli lors de la mort de son père, ce fut son frère, Ziadet-Allah, qui administra le serment de fidélité aux membres de sa famille et à tous les grands officiers de l'em

Allah rassembla d'autres troupes, et ayant attiré, par ses largesses, une foule de Berbères sous ses drapeaux, il mit le rebelles en déroute el reprit la ville. Bientôt après, Ibrahim le remplaça par Sofyan-Ibn-el-Medå, mais celui-ci eut à soutenir les attaques de la tribu de Hooura et il fallut qu'Abd-Allah marchât à son secours. Arrivé à l'improviste avec une armée de treize mille hommes, Abd-Allah défit les Berbères et occupa la ville dont il s'empressa de réparer les fortifications. Abd-el-Ouehhab-IbnAbd-er-Rahman-Ibn-Rosten n'eut pas plutôt appris la nouvelle de cet evénement qu'il rassembla une armée de Berbères et vint assiéger Tripoli, qu'il fit bloquer du côté de la porte de Zenata, pendant qu'il dirigeait ses attaques contre la porte de Hoouara. Le siége durait encore quand Abd-Allah apprit la mort de son père. Il fit aussitôt la paix avec Abd-elOuetthab, en lui cé·lant la province de Tripoli, tout en se reservant la possession de la ville et la souveraineté de la mer. (Ibn-Khaldoun.)

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pire. Abd-Allah arriva de Tripoli en l'an 1972 et Ziadet-Allah se rendit au-devant de lui pour le saluer comme son souverain. L'historien ajoute que, pendant son règne, Abd-Allah traita son frère Ziadet-Allah avec beaucoup de dureté et de mépris, allant même jusqu'à faire mettre en liberté les personnes que ce prince retenait en prison. Malgré ces mauvais procédés, dit notre auteur, Ziadet-Allah ne cessa de lui témoigner le plus grand respect. Abd-Allah se disposait ensuite à commettre un acte d'injustice inouie envers ses sujets, mais Dieu le fit mourir avant l'exécution de son projet : il avait ordonné au directeur des impôts (Saheb-el-Kharadj) de ne plus recevoir la dîme en nature, mais d'imposer un droit annuel de huit dinars sur chaque paire de bœufs employés à la culture des terres, que les récoltes fussent bonnes ou mauvaises 3. Cet impôt devint tellement onéreux que le peuple lui adressa des remontrances, mais il ne put se faire écouter. Les choses étaient encore en cet état, quand Hafs-IbnHomeid-el-Djézeri arriva avec une bande de saints personnages venant de la presqu'île [de Cherîk] et d'autres lieux. Ils obtinrent la permission de se présenter devant le prince, qui était un des plus beaux hommes du siècle, et Hafs lui tint un discours dans lequel il lui dit, entre autres choses « Crains Dieu, ô émir! à cause de ta jeunesse ; aie pitié de ta beauté et évites à ton corps le feu de l'enfer! Tu as imposé huit dinars sur chaque paire de bœufs employés au labourage; délivre tes sujets de cet impôt et gouverne-les selon le Livre de Dieu et les traditions du Prophète. Pense que ce monde passera pour toi comme il a passé

1 En agissant ainsi, Zîadet-Allah obéissait aux dernières injonctions de son père. (Ibn-Khaldoun; Ibn-el-Athir.)

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Dans le mois de Safer, ajoute Ibn-Khaldoun. Ainsi, Abd-Allah entra à Cairouan dans le mois d'octobre ou de novembre, 812 de J.-C.

3 Selon Ibn-el- Athîr, Abou'l-Abbas fit prélever sur chaque feddan de terre cultivée dans ses états un impôt de dix-huit dinars, ce qui excita des plaintes uuiverselles. Le mot feddan signifie charrue, paire de bœufs, ou la quantité de terre qu'une paire de bœufs peut labourer dans une saison. En Algérie cela s'appelle maintenant zouidja (paire, couple.)

pour les autres ! » Abd-Allah ayant manifesté l'intention de persévérer dans cette mauvaise voie et témoigné beaucoup de mépris ponr cette députation, Hafs-Ibn-Homéid sortit avec ses compagnons et se dirigea vers Cairouan. Arrivé à Ouadi-'l-Cassarîn, il leur adressa ces paroles : « Nous n'avons plus rien à espérer des hommes; mettons notre confiance en celui qui les a créés. » Ils se mirent alors à invoquer Dieu, en s'humiliant devant lui et en le suppliant d'empêcher Abou-'l-Abbas-AbdAllah d'accomplir ses volontés et ses projets tyranniques à l'égard des musulmans. Ils entrèrent ensuite à Cairouan, et un furoncle qui se déclara sur l'oreille d'Abd-Allah causa sa mort, six jours après cette prière. Son corps en était devenu entièrement noir. Il mourut la nuit du jeudi au vendredi, le 6 du mois de Dou-'l-Hiddja de l'an 201 (juin 817), après un règne de cinq ans, un mois et quatorze jours.

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REGNE D'ABOU-MOHAMMED-ZIADET-ALLAH, FILS D'IBRAHIM,
FILS D'EL-Aghleb.

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L'historien dit Après la mort d'Abou-'l-Abbas-Abd-Allah, l'autorité passa entre les mains de son frère Ziadet-Allah, premier homme qui porta ce nom. C'est encore ainsi que le nom de Hibet-Allah fut porté pour la première fois par le fils d'IbrahîmIbn-el-Mehdi '. Dès son avènement, Ziadet-Allah témoigna peu de considération pour les milices; il sévit même contre elles et répandit leur sang à grands flots. Ces mesures rigoureuses eurent pour motif les préventions que lui avaient inspirées leur révolte sous Emran-Ibn-Mokhaled. Son père Ibrahîm avait presque toujours fermé les yeux sur leurs désordres; il leur pardonnait même les attentats dont elles se rendaient coupables; mais Ziadet-Allah se conduisit tout autrement à leur égard, et ce fut surtout dans ses moments d'ivresse qu'il leur fit subir les traitements les plus cruels et qu'il répandit leur sang. Elles prirent,

1 Ibrahim-Ibn-el-Mehdi était frère de Haroun-er-Rechid.

enfin, la résolution de s'insurger, et elles trouvèrent bientôt une occasion favorable pour l'accomplissement de leur projet : ZiadetAllah avait donné le commandement d'El-Casrein et les cantons voisins à Omar-Ibn-Moaouïa-el-Caïsi, l'un des plus braves membres de la milice, homme distingué par son rang et par sa naissance. Cet officier commença par occuper les environs d'ElCasrein et se mit alors en rebellion ouverte. Ziadet-Allah envoya contre lui un client de son père, nommé Abou-Haroun-Mouça auquel il venait de confier le gouvernement de Cairouan. Mouça assiégea Omar pendant quelques jours, le contraignit de se rendre à discrétion et l'envoya avec ses deux fils, Habbab et Soknan, à Ziadet-Allah. Ce prince les fit enfermer dans la maison de son cousin Ghalboun et, le même jour, il les fit enfermer dans la prison d'état où ils furent mis à mort par son ordre.

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Mansour-Ibn-Nasr-et-Tonbodi, descendant de Doreid Ibn-es~ Simma et gouverneur de Tripoli, apprit cette nouvelle avec la plus vive indignation et s'écria: «O enfants de Temîm I si vous me soutenez, j'aurai pour appui une colonne inébranlable. » Le chef des espions écrivit ces paroles à Zîadet-Allah qui destitua le gouverneur et le rappela. Mansour ne dut sa liberté qu'à l'intercession de Ghalboun qui lui portait un vif intérêt et qui parvint même à le raccommoder avec le prince. Mansour passa ensuite quelques jours à la cour de Zîadet-Allah et, ayant réussi à dissiper les justes préventions que ce souverain nourissait contre lui, il obtint la permission d'aller à Tunis. Arrivé à Tonboda, château qu'il possédait dans la province d'El-Mohammedïa et auquel il devait son titre de Tonbodi, il s'y arrêta et ouvrit une correspondance avec les chefs de la milice. Leur rappelant les

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1 Doreid-Ibn-es-Simma, célébre poète arabe, fut tué à la bataille de Honain, en combattant contre Mahomet. (Voyez l'histoire de sa vie dans l'Essai de M. C. de Perceval.)

2 Le chef des espions; en arabe: Saheb-el-Khaber (le chef des nouvelles). Les Abbacides tenaient un de ces officiers dans tous leurs chefs-lieux d'arrondissement. El-Hariri, l'auteur des célébres Macama, remplit ces fonctions à Mechan. --- (Voyez ma traduction d'Ibn-Khallikan, tom. II. page 496.)

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