Images de page
PDF
ePub

les autres chefs; mais, pendant qu'il marcha sur cette ville, il rencontra Ibn-el-Djaroud, qui en était sorti pour aller au-devant de Yahya-Ibn-Mouça, lieutenant de Herthema-Ibn-Aïen.

Voici ce qui motiva l'arrivée de ce dernier en Ifrîkïa : le khalife Er-Rechid, ayant appris la révolte d'Ibn-el-Djaroud et le bouleversement que cet événement avait produit dans la province, y envoya Yactin-Ibn-Mouça pour rétablir l'ordre. Il avait choisi ce général d'abord à cause des eminents services qu'il avait rendus à la cause des Abbaçides, et du haut rang qu'il occupait sous cette dynastie; ensuite en raison de son grand âge et de la haute estime dont il était l'objet parmi les troupes de Khoraçan 1. Après lui avoir recommandé d'user d'adresse pour déterminer Ibn-elDjaroud à quitter le pays, il le congédia en le faisant accompagner par El-Mohelleb-Ibn-Rafé, et ensuite il envoya après lui MansourIbn-Ziad et Herthema-Ibn-Aïen. Ce dernier devait même prendre le gouvernement du Maghreb, mais il s'arrêta à Barca. Quant à Yactîn, il se rendit à Cairouan, où il eut une longue entrevue avec Ibn-el-Djaroud, auquel il communiqua les lettres du khalife. Après en avoir pris connaissance, Ibn-el-Djaroud parla ainsi : « Je suis entièrement soumis à la volonté du Commandant des croyants; ce papier m'informe qu'il a nommé Herthema- IbnAïen gouverneur de la province; il est maintenant à Barca, et il va bientôt arriver. [Je dois cependant vous faire observer] qu'ElAlâ est à la tête des Berbères et que, si je quitte la forteresse [de Cairouan], ils en prendront possession et finiront par ôter la vie à celui qui les commande aujourd'hui. Alors jamais aucun officier du khalife n'y mettra le pied; de sorte que je me trouverai, moi, avoir frappé la ville de la plus grande calamité qui puisse l'atteindre. Je vous offre donc d'aller à la rencontre d'El-Ala, et si je succombe, la forteresse vous restera; si, au contraire, je gagne la bataille, j'attendrai l'arrivée de Herthema, et je me rendrai ensuite auprès du Commandant des croyants. » Alors Yactin [désespérant de l'amener à un arrangement] eut

↑ On a déjà vu que les khalifes abbacides avaient fait passer en Afrique une grande quantité de troupes arabes, tirées de la province de Khoracan,

une entrevue avec Mohammed - Ibn-Yezid-el-Farci partisan d'Ibn-el-Djaroud, et lui promit un poste éminent, le commandement de mille cavaliers, un riche présent et un apanage1 dans tel lieu qu'il voudrait, à la condition d'entraver les entreprises de son chef. Mohammed accepta cette proposition, et se mit, sur le champ, à indisposer les esprits contre Ibn-el-Djaroud et à engager les troupes à se mettre sous l'autorité du khalife. Une partie d'entre elles céda, en effet, à ses exhortations, et abandonna son chef. Celui-ci marcha contre elles pour les combattre, et lorsque les deux armées se trouvèrent en présence, il dit à son adversaire : « Venez me parler, et soyons seuls, afin que personne ne nous entende. » Mohammed-Ibn-Yezid s'avanca et pendant qu'Ibn-el-Djaroud s'entretenait avec lui pour détourner son attention, un nommé Abou-Taleb, qui avait été aposté par Ibn-el-Djaroud, se jeta sur lui et lui porta, par derrière, un coup mortel dans les reins, au moment où il s'y attendait le moins. Saisis de terreur, ses partisans prirent la fuite.

Yahya-Ibn-Mouça, étant arrivé à Tripoli sur ces entrefaites, présida à la prière de la Fête des victimes, et prononça le prône. Il vit alors un grand nombre de chefs se ranger sous son autorité et sa puissance s'affermir rapidement. El-Alâ se porta sur Cairouan, et Ibn-el-Djaroud, ne pouvant lui resister, écrivit à Yahya de venir prendre possession de la ville. Il lui annonça en même temps, qu'il était disposé à faire sa soumission. Yahya partit de Tripoli avec ses troupes, en Moharrem, 179 (mars-avril 795), pour se rendre à Cairouan dont presque tous les miliciens s'étaient ralliés sous ses drapeaux lorsqu'il fut arrivé à Cabes. Ibn-elDjaroud, après avoir gouverné Cairouan pendant sept mois, en sortit au commencement du mois de Safer, y laissant pour commandant Abd-el-Mélek-Ibn-Abbas. En même temps, El-Alâ-IbnSaid et Yahya-Ibn-Mouça marchèrent sur cette ville, chacun d'eux voulant y devancer l'autre. El-Alâ y étant entré le premier, massacra un grand nombre des partisans d'Ibn-el-Djaroud, mais

4 Le mot arabe employé ici est catiya. l'équivalent d'ictá. - (Voyez ci-devant, page 417, note.)

Yahya lui fit dire que s'il reconnaissait l'autorité du khalife, il devait congédier ses troupes. En conséquence de cette observation, El-Alâ renvoya ses soldats et partit pour Tripoli à la tête de trois cents de ses partisans les plus dévoués. Ibn-el-Djaroud, qui venait d'arriver en cette ville, se mit en route pour l'Orient, accompagné de Yactin-Ibn-Mouça et alla se présenter devant Haroun-er-Rechîd.

L'historien ajoute qu'El-Alâ écrivit à Mansour [-Ibn-Zîad] et à Herthema pour s'attribuer l'honneur d'avoir expulsé de l'Ifrîkïa Ibn-el-Djaroud. Herthema, dans sa réponse, l'invita à se rendre auprès de lui, et il lui donna alors une forte gratification. Haroun, ayant entendu parler de ses services, lui envoya une lettre de crédit de cent mille dirhems, et cela independamment des robes d'honneur dont on lui avait fait cadeau. Il mourut en Egypte, peu de temps après.

§ XXXV.

GOUVERNEMENT DE HERTHEMA, FILS D'AÏEN.

Au commencement du mois de Rebiâ second 179 (juin-795), dit l'historien, Herthema arriva à Cairouan où il proclama une amnistie générale, et il traita le peuple avec une extrême douceur. Il bâtit, en l'année 180, le Grand Château (El-Casr-el-Kebir) à Monestir; il éleva aussi la muraille de Tripoli du côté de la mer. Comme la province continuait toujours à être travaillée par l'esprit de faction et d'insubordination, il écrivit à Er-Rechid pour lui demander un successeur, et ayant reçu son rappel, il partit pour l'Orient dans le mois de Ramadan +81 (novembre 797).

§ XXXVI.

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED, FILS DE MOCATEL, FILS DE HAKIM, DE LA TRIBU D'AKK 2.

Lorsque Herthema eut sollicité son rappel, dit l'historien, le khalife Haroun choisit pour gouverner le Moghreb son frère de lait, Mohammed-Ibn-Mocatel. Ce fonctionnaire arriva à Cairouan

1 Cent mille dirbems valaient soixante mille francs.

2 La tribu d'Akk appartenait à la grande famille des arabes yéménites.

dans le mois de Ramadan 181. Par sa mauvaise administration, il jeta la perturbation dans les affaires, et indisposa contre lui la milice en faisant des retenues sur la solde et en la tyrannisant ainsi que le peuple. Il en résulta que le général Felah se mit en révolte avec les troupes syriennes et khoraçanites, lesquelles voulurent se donner pour chef Morra-Ibn-Makhled, de la tribu d'Azd1. En même temps, Temmam fils de Temîm, de la tribu de Temîm et lieutenant d'Ibn-Mocatel à Tunis, se révolta contre lui, et obtint des chefs et soldats, tant syriens que khoraçanites, le serment d'obeissance. Vers le milieu du mois de Ramadan de l'an 183 (octobre 799), Temmam marcha sur Cairouan, et IbnMocatel sortit afin de lai livrer bataille aux environs de Monïa-tel-Kheil. Après un combat acharné, Ibn-Mocatel fut défait, et étant rentré à Cairouan, le mercredi 25 Ramadan, il obtint de Temmam la promesse que sa vie et ses biens seraient respectés, à la condition, toutefois, de quitter le pays. Il partit la même nuit pour Tripoli, d'où il se rendit à Sort; puis il revint à Tripoli sur l'invitation écrite de quelques khoraçanites. En même temps Ibn-el-Aghleb, mécontent de la conduite de Temmam envers IbnMocatel, partit du Zab pour le combattre. A la nouvelle de son approche, Temmam évacua Cairouan et lui permit à d'y faire son entrée. Ibn-el-Aghleb monta alors en chaire, dans la grande mosquée, et déclara au peuple qu'Ibn-Mocatel était encore leur maître. Il écrivit ensuite à cet officier et le ramena dans la ville.

Temmam se mit alors en correspondance avec les gens [de guerre], afin de les indisposer contre Ibn-Mocatel, et étant parvenu à réunir une troupe nombreuse, il se flatta de pouvoir renverser de nouveau ce gouverneur. Sous l'influence de cette idée, il lui adressa la lettre suivante : « Ibrahim-Ibn-el-Aghleb ne t'a pas rétabli au pouvoir par reconnaissance pour les bienfaits dont tu l'as comblé, ni par cet esprit de fidélité dont il fait parade; mais bien dans la crainte qu'en apprennant qu'il est maître du pays,

1 Ibn-Mocatel dirigea un corps de troupes contre ce rebelle qui, voyant ses partisans prendre la fuite, se réfugia dans un mesdjid, ou oratoire, d'où il fut arraché et mis à mort. (Ibn-Khaldoun; Ibn-elAthir.)

[ocr errors]

tu ne viennes lui réclamer le commandement et le mettre ainsi dans la nécessité, soit de te le refuser, ce qui serait un acte de rébellion, soit de te le céder, ce qu'il ferait alors contre son gré. Il t'a done invité à venir, dans l'intention de t'exposer à des périls où tu dois trouver la mort; car demain tu recevras de nouveau une leçon semblable à celle que tu as déjà eue hier en te mesurant avec moi. >> Sa lettre était terminée par ces deux vers :

En te remettant la forteresse, Ibrahim n'agissait pas par esprit de fidélité, mais bien dans le but de te faire périr. Fils d'Akk ! s'il te reste assez d'intelligence pour comprendre ses desseins perfides, tun'accepteras pas.

de

Après avoir lu cette missive, Ibn-Mocatel la communiqua à Ibnel-Aghleb, qui dit en riant: « Que Dieu le maudisse! il faut être imbécille pour écrire de telles choses! » Ibn-Mocatel répondit en ces termes à la lettre : « De la part d'Ibn-Mocatel au traître Temmam: j'ai reçu ta lettre, et son contenu m'a prouvé ton pen jugement. J'ai compris ce que tu as voulu dire d'Ibn-el-Aghleb. Dans le cas même ou ton avertissement serait sincère [je ne pourrais en tirer profit], car celui qui a trahi Dieu et son Prophète, et qui est du nombre des reprouvés n'est pas de ceux que l'on prend pour conseillers; si, au contraire, ce que tu me dis est une sache que c'est une bien mauvaise ruse que celle dont on s'aperçoit. Quant à tes insinuations au sujet des motifs qui auraient porté Ibrahîm à reconnaitre mon autorité lorsque nous nous sommes rencontrés, vive Dieu ! tu les connaîtras bientôt, ces motifs, car c'est à Ibrahîm lui-même que tu auras affaire! Tu me dis que j'éprouverai, demain, en te rencontrant, ce que j'ai éprouvé hier; sache que la guerre n'est qu'une suite de vicissitudes, et qu'avec l'aide de Dieu, ce sera, demain, mon tour de remporter la victoire. » Cette lettre finissait par les deux vers

ruse,

suivants :

Si tu oses affronter Ibn-el-Aghleb au jour du carnage, je m'attendrai à ta défaite et à ta mort.

Car tu auras rencontré un héros qui s'élance dans la mêlée, escorté par la mort, et qui soutient avec sa lance une gloire héréditaire.

« PrécédentContinuer »