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ville de Tobna, un acte par lequel il le constituait gouverneur de l'Ifrîkïa. Dans le mois de Djomada second de l'an 148, ElAghleb se rendit à Cairouan d'où il expulsa Eïça-Ibn-Mouça ainsi que plusieurs chefs moderites, et fit tout rentrer dans l'ordre. Plus tard Abou-Corra se révolta, à la tête d'une multitude de Berbères, mais il prit la fuite en apprennant qu'El-Aghleb s'était mis en marche avec tous ses généraux pour l'aller combattre. El-Aghleb pénétra alors dans le Zab et voulut même pousser jusqu'à Tlemcen et à Tanger; mais ses troupes, ne s'accommodant pas d'une telle entreprise, le quittèrent pendant la nuit, et prirent la route de Cairouan; de sorte qu'il ne lui resta plus qu'un petit nombre d'officiers. Sur ces entrefaites, El-Hacen-Ibn-Harb-elKindi 2, qui se trouvait à Tunis lors de l'expédition contre AbouCorra, écrivit à plusieurs chefs sous les ordres d'El-Aghleb [dans l'espoir de les séduire]. Un certain nombre de ceux qui avaient abandonné leur chef dans le Zab vinrent se joindre à El-Hacen qui, se voyant soutenu par Bistam-Ibn-el-Hodeil, El-Fadl-IbnMohammed et d'antres chefs, marcha sur Cairouan et l'occupa sans éprouver la moindre résistance. Il fit aussitôt emprisonner SalemIbn-Souada de la tribu du Temîm, qui commandait la ville en l'absence d'El-Aghleb. Celui-ci se porta aussitôt sur Cairouan avec le petit nombre de troupes qui lui était resté fidèle, et il écrivit, en même temps, à El-Hacen pour lui exposer les avantages de l'obéissance et les dangers de l'insoumission. A cette lettre il reçut une réponse qui se terminait par ces vers :

Porte à El-Aghleb, de la part de Hacen, une parole qui retentira au loin.

Dis-lui que le champ de la tyrannie offre un pâturage malsain, et malheur à lui s'il ose s'en approcher I

S'il refuse de me demander la paix, qu'il vienne affronter ma lance et mon épée !

↑ Ibn-el-Achàth avait confié à El-Aghleb le gouvernement du Zab et de la ville de Tobna. — (Ibn-Khaldoun.)

* Le surnom d'El-Kindi montre que cet officier appartenait à la grande famille des Arabes yéménites, ennemis héréditaires des Arabes sortis de la souche de Moder.

El-Aghleb se porta contre lui à marches forcées, mais ensuite il se dirigea vers Cabes, d'après le conseil de ses officiers, et tâcha d'amener une défection parmi les troupes de son adversaire. Sur ces entrefaites, il vit arriver un agent d'El-Mansour, chargé de se rendre auprès d'El-Hacen-Ibn-Harb, pour l'exhorter à rentrer dans le devoir, et comme cette tentative n'eut aucun succès, il se décida à marcher contre le rebelle. Un combat acharné en résulta qui amena la défaite d'El-Hacen et la mort d'un grand nombre de ses partisans. Pendant qu'El-Aghleb s'empressait de prendre possession de Cairouan, El-Hacen rentra à Tunis, où il fit des levées considérables, et bientôt, après, il vint, à la tête d'une nombreuse armée, attaquer son adversaire. El-Aghleb réunit alors ses amis et les gens de sa maison pour leur annoncer qu'il allait se mesurer avec El-Hacen en combat singulier. Effectivement, quand l'ennemi se montra, El-Aghleb fondit sur El-Hacen pendant que ses partisans chargèrent l'aile droite des insurgés. Tout ploya devant eux, et El-Aghleb chargea de nouveau, en prononçant ces mots :

Il ne me reste qu'à enfoncer le centre, ou à mourir.

Que la guerre s'échauffe autour de moi, elle ne fait qu'exciter mon ardeur !

Je veux mourir plutôt que fuir!

Il dit et se porta sur le centre de l'ennemi avec une impétuosité que rien n'arrêta; mais il succomba à la fin, frappé à mort par une flêche. Cet événement eut lieu dans le mois de Châban, 450 (septembre 767). L'historien rapporte qu'à la chute d'ElAghleb on s'écria: «<l'émir est mort!» et que mille voix répéterent ces paroles. Il dit ailleurs: Salem-Ibn-Souada, qui commandait l'aile droite, dit à Abou-'l-Anbès: « Je ne veux pas survivre à ce jour ! » et qu'aussitôt il se précipita sur l'ennemi dont il fit un carnage affreux : El-Hacen lui-même perdit la vie dans cette bataille acharné 1.

Après la mort d'El-Aghleb, ses troupes prirent pour chef MokharecIbn-Ghifar, gouverneur de Tripoli, et forcèrent El-Hacen de s'enfuir à Tunis. De là, le chef insurgé passa dans le territoire des Ketama où son adversaire n'osa pas le poursuivre. Deux mois plus tard, il revint à

§ XXVIII.

GOUVERNEMENT D'ABOU-DJAFER -OMAR-IBN-HAFS

HEZARMERD.

Hezarmerd est un mot persan qui signifie mille hommes . Quand El-Mansour apprit la mort d'El-Aghleb, il confia le gouvernement de l'Ifrikïa à Omer-Ibn-Hafs, homme distingué par sa bravoure, qui tirait son origine de Cabîça, fils d'Abou-Sofra, et frère d'El-Mohelleb1. Il arriva dans cette province au mois de Safer de l'an 151 (mars 768), suivi de cinq cents cavaliers. Les principaux personnages du pays étant venus se joindre à lui, il leur fit des présents et les traita avec tant d'égards que les affaires se rétablirent promptement, et que la paix régna pendant trois ans et quelques mois. Il reçut alors une lettre par laquelle El-Mansour lui ordonna de passer dans le Zab, et de reconstruire la ville de Tobna. Avant de s'y rendre, il confia le gouvernement de Cairouan à Habib-Ibn-Habib-Ibn-Yezid-Ibn-Mohelleb. Comme l'Ifrîkïa se trouvait ainsi dégarnie de troupes, les Berbères se révoltèrent, et Habib, qui sortit pour les combattre, perdit la la vie. Les insurgés se rassemblèrent alors aux environs de Tripoli et prirent pour chef Abou-Hatem-Yacoub-Ibn-Habib, client de la tribu Kinda, et surnommé Abou-Cadem. L'officier qui commandait à Tripoli au nom d'Omar et qui s'appelait ElDjoneid-Ibn-Yessar, de la tribu d'Azd, envoya contre les Berbères un corps de cavalerie sous les ordres de Hazem-1bn Soleiman; mais ce général essuya une défaite et rentra à Tripoli, auprès du gouverneur. Alors, El-Djoneid écrivit à Omar-IbnHafs et s'en fit donner un renfort de quatre cents cavaliers, commandé par Khaled-Ibn-Yezîd-el-Mohellebi. Encouragé par l'arrivée de cette troupe, il alla livrer bataille aux rebelles, mais il fut obligé, ainsi que Khaled, de se refugier dans Cabes. OmarIbn-Hafs leur envoya alors Soleiman-Ibn-Abbâd-el-Mohellebi à la tête d'une troupe de milices. Soleiman rencontra Abou-Hatem

Tunis où il fut tué par la milice. Selon un autre récit, les troupes d'Ibnel-Aghleb le tuèrent dans le combat qui coûta la vie à leur général. Dès lors, El-Mokharec resta maître de l'Ifrikïa. (Ibn-Khaldoun.)

Voyez ci-devant, pag. 221.

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près de Cabes, mais il fut battu et obligé de replier sur Cairouan où son adversaire vint le bloquer. Pendant que le feu de la guerre se propageait par toute l'Ifrîkïa, Omar se tenait à Tobna, où bientôt douze armées de Berbères arrivèrent de différents côtés pour l'assiéger. Abou-Corra, le chef sofrite, y vint à la tête de quarante mille cavaliers; Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem l'eibadite, avec quinze mille; Abou-Hatem, autre chef eibadite, à la tête d'un nombre considérable; Acem-es-Sedrati l'eibadite vint avec six mille cavaliers; El-Misouer, chef eibadite et membre de la tribu de Zenata, y arriva avec dix mille; Abd-el-Mélek Ibn-Sekerdîd 1, le sofrite, de la tribu de Sanhadja, y arriva aussi avec deux mille cavaliers, suivis d'un grand nombre d'autres. Omar n'avait à leur opposer qu'un corps de cinq mille cinq cents hommes. A la vue du danger qui le menaçait, il assembla ses officiers en conseil et leur demanda s'il fallait sortir à la rencontre de l'ennemi. Ils lui répondirent tous qu'il ferait mieux de se tenir dans la ville. Alors, il eut recours à l'intrigue dans l'espoir de pouvoir détacher les sofrites de la coalition, et il leur envoya un miknacien, nommé Ismail-Ibn-Yacoub, auquel il avait remis quarante mille dirhems (pièces d'argent) et un grand nombre de robes d'honneur, avec ordre de les offrir à AbouCorra pour le déterminer à quitter ses alliés. A la vue de ce présent, Abou-Corra s'écria: «Pensez-vous que moi qui suis honoré du titre d'imam [chef spirituel et temporel] depuis quarante ans, je puisse sacrifier à un misérable intérêt matériel, dont on ne retire aucun avantage, le devoir sacré qui m'est imposé de vous faire la guerre ? » Frustré dans sa tentative, l'envoyé se rendit auprès du fils d'Abou-Corra, ou, d'après une autre version, auprès de son frère, auquel il donna quatre mille dirhems et plusieurs robes, à condition qu'il engagerait son père à se retirer, et qu'il amènerait les sofrites à retourner dans leur pays. Cette même nuit le fils Abou-Corra prit si bien ses mesures, que le lendemain son père vit partir l'armée qu'il commandait et se trouva dans la nécessité de la suivre. Immédiatement après la

1 Variante: Sekrouïd.

retraite des sofrites, Omar envoya quinze cents hommes sous le commandement de Mâmer-Ibn-Eïça de la tribu de Sâd, pour combattre Ibn-Rostem qui se trouvait à Tehouda avec quinze mille cavaliers. Ibn-Rostem essuya une défaite et prit la route de Tèhert. Omar confia alors le commandement de Tobna à ElMohenna-Ibn-el-Mokharec-Ibn-Ghifar, de la tribu de Taï, et se mit en marche afin de dégager Cairouan. Abou-Corra, ayant appris le départ d'Omar, rassembla ses troupes, et alla bloquer El-Mohenna dans Tobna; mais celui-ci fit une sortie, le culbuta et pilla son camp.

Il y avait déja huit mois qu'Abou-Hatem assiégeait Cairouan; aussi le trésor de cette ville, et même les magasins de vivres, se trouvaient totalement épuisés. Pendant tout ce temps le garnison était obligée de combattre les Berbères chaque jour, du matin au soir; et, pressée par la faim, elle avait fini par manger tous ses chevaux et même ses chiens. Dans cette extrêmité, les habitants commencèrent à quitter la ville pour se réfugier dans le camp ennemi. Omar ayant su cet état de choses, partit pour Cairouan à la tête de sept cents hommes de la milice. Lorsqu'il fut arrivé à Laribus, les Berbères levèrent le siége et avancèrent tous à sa rencontre. Informé de leur approche, Omar se porta rapidement aux environs de Tunis, et quand l'ennemi fut venu prendre position à Semindja, il se rendit à Bîr-es-Selama où il effectua sa jonction avec [son frère utérin] Djemîl-Ibn-Sakhr, qui arrivait de Cairouan. De Bîr-es-Selama il se dirigea sur Cairouan, et arrivé dans cette ville, il ordonna à sa cavalerie de parcourir les environs de la place et lui rapporter des approvisionnements en vivres, en bois et autres choses nécessaires. Il fit ainsi des dispositions pour soutenir un siége, et il forma un camp retranché à la porte d'Abou-'r-Rebiâ dans lequel il établit ses milices. Bientôt Abou-Hatem y parut à la tête de cent trente mille hommes. Omar lui livra bataille, mais, après un combat opiniâtre, il fut obligé de rentrer au camp où il soutint encore un assaut; et accablé enfin par le nombre, il fut contraint de se jeter dans les retranchements de la porte d'Abou-'r-Rebiâ. Tous les jours il sortit pour combattre l'ennemi, jusqu'à ce qu'il vit la

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