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leurs compatriotes à passer du côté d'Acem. Aussitôt, la majeure partie des troupes d'Abou-Koreib l'abandonna, et le mit ainsi dans la nécessité de rentrer dans la ville. Il y fit une vigoureuse résistance à l'aide d'environ mille combattants qui lui étaient restés fidèles, tous gens d'un rang élevé et qui se distinguaient par leur prudence et leur piété. Les Ourfeddjouma les attaquèrent avec vigueur; Abou-Koreib fut tué dans un assaut, et ses compagnons succombèrent tous, les armes à la main. Les Berbères pénétrèrent alors dans la ville où ils violèrent la sainteté des harems et se portèrent aux excès les plus horribles. Après Icette victoire, Acem s'établit dans l'endroit qu'on appelle le Mosalla de Rouh1, et ayant confié le gouvernement de Cairouan à Abd-el-Mélek-Ibn-Abi-Djâda de la tribu de Nefzaoua, il alla à Cabes pour combattre Habîb. Celui-ci essuya une nouvelle dé-faite et fut contraint de se réfugier dans le Mont-Auras, où demeuraient les parents de sa grand'mère. Acem le poursuivit jusqu'à la montagne où il l'attaqua encore une fois; mais son armée fut mise en déroute et il perdit lui-même la vie ainsi que la plupart de ses compagnons. Habib marcha aussitôt sur Cairouan, et il trouva la mort en combattant Ibn-Abi-Djâda qui était sorti pour le repousser. Cet événement arriva dans le mois de Moharrem de l'an 140 (mai-juin 757). Ainsi s'éteignit la branche de la famille de Fihr 2 établie dans le Maghreb.

Abd-er-Rahman-Ibn-Habib gouverna dix ans et quelques mois; son frère El-Yas exerça l'autorité dix mois. Quant à Habib, son règne ne fut que d'un an et six mois. Ce fut ainsi que Dieu accomplit la prière de son pieux serviteur, Handala-elKelbi.

1 Le Mosalla (oratoire) est une grande place en plein air et située en dehors de la ville, où le peuple se réunit, en temps de sécheresse, pour demander à Dieu de lui envoyer de la pluie. On y célèbre aussi la prière des deux fêtes consacrées par la religion musulmane.

2 Fihr était l'ancêtre de la tribu de Coreich. A l'époque dont il s'agit ici, la haute noblesse de l'Afrique, c'est-à-dire, les chefs arabes, se composait de Coreichides et d'autres descendants de Moder.

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L'historien dit Les Ourfeddjouma, devenus maîtres de Cairouan, livrèrent aux plus cruelles tortures et à la mort tous les membres de la tribu de Coreich qui y étaient restés; ils logèrent leurs montures dans la grande mosquée, ét [par leur conduite abominable] ils firent éprouver à leurs alliés de vifs regrets d'avoir coopéré à leur succès.

Quelque temps après, ajoute l'historien, un eibadite, que ses affaires avaient appelé à Cairouan, vit quelques hommes de la tribu d'Ourfeddjouma faire, en public, violence à une femme. Frappé d'horreur à ce forfait, il oublia le motif qui l'avait amené là et s'en alla trouver Abou-'l-Khattab-Abd-el - Alâ -Ibn-esSamh-el-Mâferi auquel il raconta le fait dont il venait d'être témoin. Abou-'l-Khattab s'élança aussitôt hors de sa tente en invoquant Dieu : « Me voici, s'écria-t-il, prêt à te servir, ô mon Dieu! je réponds à ton appel!» Des amis lui étant arrivés de tous côtés, il marcha sur Tripoli et s'en empara après en avoir expulsé Omer-Ibn-Othman de la tribu de Coreich. De là, il se porta sur Cairouan, et ayant rencontré Abd-el-Mélek-Ibn-AbiDjâda qui venait avec un corps des Ourfeddjouma pour s'opposer à ses progrès, il lui livra bataille, le tua ainsi qu'un grand nombre de ses partisans, extermina les fuyards et prit possession de Cairouan. Ceci eut lieu dans le mois de Safer de l'an 141 (juin-juillet 758). Les Ourfeddjouma étaient restés maîtres de cette ville pendant quatre mois. Après avoir confié le commandement de Cairouan au cadi Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem, Abou'l-Khattab se rendit à Tripoli et établit son autorité dans toute l'Ifrîkïa. Les choses demeurèrent en cet état jusqu'à l'an 144. Alors [le khalife] Abou-Djâfer-el-Mansour fit partir Mohammed, fils d'El-Achâth, de la tribu de Khozâa, ponr prendre le gouvernement du pays. Abou-'l-Khattab et ses partisans étaient kharedjites; ils suivaient, les uns, la doctrine des sofrites, et, les autres, celle des eibadites.

§ XXVI.

GOUVERNEMENT DE MOHAMMED-IBN-EL-ACHATH-
EL-KHOZAÏ.

L'historien dit: Après la destruction des Ourfeddjouma par les sofrites, plusieurs [notables arabes partirent pour l'Orient et se] rendirent auprès d'Abou-Djâfer-el-Mansour dont ils espéraient obtenir des secours contre les Berbères. Dans cette députation se trouvaient Abd-er-Rahman-Ibn-Ziad-Ibn-Anâm, [grand cadi de l'Ifrîkïa, ] Nafê-Ibn-Abd-er-Rahman-es-Sélémi, Abou-'l-Behloul-Ibn-Obeida et Abou-'l-Eirbad. Touché du récit des malheurs qu'ils avaient éprouvés, le khalife nomma Mohammed-Ibn-el-Achâth gouverneur de l'Egypte, et celui-ci envoya en Ifrîkïa Abou-'l-Ahouès-Amr-Ibn-el-Ahouès de la tribu d'Idjl. Ce général fut battu par Abou-'l-Khattab, en l'an 142, et Ibn-el-Achâth reçut alors d'El-Mansour un corps de troupes et l'ordre écrit de les conduire en Ifrîkïa. Il se mit donc en marche avec quarante mille cavaliers, dont trente mille Khoracanites et dix mille Syriens'. El-Mansour le fit accompagner par ElAghleb-Ibn-Salem de la tribu de Temîm 2, El-Mohareb-IbnHilal-el-Farsi [de la province de Fars] et El-Mokharec-IbnGhifar de la tribu de Taï. Il enjoignit aux troupes d'obeir en toutes choses à Ibn-el-Achâth; puis, si quelque malheur arrivait à ce chef, elles devaient reconnaître El-Aghleb pour général; si elles perdaient celui-ci, elles auraient à se mettre sous le commandement d'El-Mokharec, et, à son défaut, elles prendraient les ordres d'El-Mohareb. Ce dernier mourut avant leur arrivée en Ifrîkïa. A la nouvelle de l'approche d'Ibn-el-Achâth, Abou-'lKhattab rassembla ses partisans et sortit contre lui à la tête d'une grande multitude de combattants. Arrivé à Sort, il envoya chercher à Cairouan le corps de troupes qu'Abd-er-Rahman-Ibn

1 Par Khoraçamites et Syriens l'historien entend les Arabes tirés des colonies militaires établies en Khoraçan et en Syrie.

Voici le premier Aghlebide qui arrive en Afrique. La généalogie de cette famille se trouve dans Ibn-Khallikan, vol 1, page 265 de ma traduction de cet ouvrage biographique.

1

Rostem avait sous ses ordres. Se trouvant ainsi maître d'une force immense, il mit Ibn-el-Achâth dans l'impossibilité de rien entreprendre. Bientôt, cependant, la désunion se mit parmi les troupes berbères de Zenata et de Hoouara : quelques membres de cette dernière tribu ayant tué un homme d'entre les Zenata, un nombre considérable de ceux-ci abandonnèrent Abou-'l-Khattab qu'ils soupçonnaient de partialité à l'égard des Hoouara. Ibnel-Achâth apprit cet événement avec une satisfaction extrême et fit garder les alentours du camp afin d'empêcher Abou-'l-Khattab de prendre connaissance de ses opérations. Celui-ci revint alors à Tripoli, et, de là, il se dirigea vers Ourdaça afin de combattre Ibn-el-Achâth qui venait d'occuper la ville de Sort. Quand les deux armées furent en présence, Ibn-el-Achâth dit à ses officiers d'un air très-joyeux, qu'il venait de recevoir d'ElMansour l'ordre de rentrer en Egypte. Cette nouvelle ne tarda pas à se répandre dans l'armée qui, effectivement, rétrograda d'un mille. Abou-'l-Khattab en fut bientôt informé, et un grand nombre de ses soldats s'en allèrent [pensant que leur présence ne serait plus nécessaire]. Le lendemain, Ibn-el-Acháth rétrograda encore de quelques milles, feignant d'être retardé dans sa marche par ses bagages. Il en fit autant le troisième jour; mais, alors, il choisit parmi ses troupes les hommes les plus robustes, et ayant marché toute la nuit avec eux, il tomba au lever de l'aurore sur Abou-'l-Khattab dont l'armée était déja désorganisée. Au commencement de l'action une partie des cavaliers d'Ibn-elAchâth mit pied à terre pour mieux combattre. Les Berbères furent mis en déroute, et Abou-'l-Khattab périt avec presque tous les siens. Cette rencontre eut lieu dans le mois de Rebiâ premier de l'an 144 (juin-juillet 764). Quarante mille Berbères restèrent sur le champ de bataille.

Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem se réfugia alors à Tèhert où il jeta les fondements d'une [nouvelle] ville 1. Quand les habitants de Cairouan eurent appris la chute d'Abou-'l-Khattab, ils jetè

1 On a déjà vu, pag. 332, que Téhert existait du temps d'Ocba. L'auteur du Baian dit : « En l'an 461, Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem rebâtit et repeupla Tèhert, ville très-ancienne, qui était restée abandonnée. »>

rent dans les fers le lieutenant qu'Ibn-Rostem avait laissé chez eux, et, en attendant l'arrivée d'Ibn-el-Achâth, ils mirent à leur tête Amr-Ibn-Othman, de la tribu de Coreich. Entré à Tripoli, Ibn-el-Achâth confia le commandement de cette ville à ElMokharec-Ibn-Ghifar de la tribu de Taï, et il envoya IsmailIbn-Ikrima-el-Khozaï prendre possession de la ville et du territoire de Zouîla. Ikrima se rendit maître de ce pays et en extermina tous les kharidjites. Ibn-el-Achâth fit son entrée à Cairouan le samedi 1er du mois de Dou'l-Câda, et donna l'ordre de relever les murailles de cette ville. Ce travail, commencé le samedi, 10 du mois de Djomada premier, fut terminé dans le mois de Redjeb 146 (septembre-octobre 763). Ibn-el-Achâth réduisit alors toute l'Ifrikïa sous sa domination et s'attacha à exterminer les Berbères qui osaient encore lui résister. Cette sévérité frappa les autres d'une telle épouvante qu'ils s'empressèrent de faire leur soumission. Quelque temps après, le bruit se répandit dans la milice que son chef, Ibn-el-Achâth, avait reçu une lettre de rappel du khalife El-Mansour, et qu'il refusait d'y obéir; aussi, ce corps prit la résolution de le renvoyer et de lui substituer un nommé Eïça-Ibn-Mouça, natif de Khoraçan. Convaincu que toute résistance serait inutile, Ibn-el-Achâth quitta le pays dans le mois de Rebiâ premier de l'an 148 (mai 765). Eïça-Ibn-Mouça prit alors le commandement, sans l'antorisation du khalife et contrairement au vœu du peuple, car il n'avait reçu son pouvoir que des seuls chefs moderites 1.

§ XXVII.

GOUVERNEMENT D'EL-AGHLEB, FILS DE SALEM,
D'EICAL, FILS DE KHAFADJA, DE LA TRIBU DE TEMÎM 2.

FILS.

L'hisitorien rapporte qu'El-Mansour, ayant appris la conduite des Moderites, fit porter à El-Aghleb, qui se tenait alors dans la

1 C'est-à-dire des chefs arabes qui tiraient leur origine de Moder, l'ancêtre des tribus de Coreich, Temîm, Kinana, etc.

2 Ibn-el-Abbar donne à El-Aghleb le surnom d'Abou-Djâfer. Le même historien rapporte, comme un on-dit, que ce fut lui qui tua Abou-Moslem, le célèbre général des Abbacides.

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