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ville à Abd-er-Rahman-Ibn-Ocba-el-Ghaffari qui était alors grand cadi de l'Ifrîkïa. Ayant appris que Habib-Ibn-Abi-Obeida résistait toujours aux Berbères, il alla à leur rencontre et les trouva, au nombre de trente mille, sur le bord de la rivière de Tanger où Khaled-Ibn-Hamîd vint les rejoindre. Les deux armées se livrèrent alors une bataille terrible; Kolthoum y périt ainsi qu'Ibn-Abi-Obeida, Soleiman-Ibn-Abi-Mohadjer et les principaux chefs des Arabes. Le reste prit la fuite; les troupes syriennes passèrent en Espagne, pendant que celles de l'Egypte et de la province d'Afrique se réfugièrent en Ifrîkïa. Quand on sut à Cairouan que Kolthoum avait perdu la vie, le peuple de cette ville se révolta; et, en même temps, Okacha-Ibn-Aïoub-elFezari souleva les habitants de Cabes. Okacha était sofrite. Il avait commandé l'avant-garde des Syriens lors de leur entrée en Ifrîkïa avec Obeid-Allah-Ibn-Habhâb. Attaqué maintenant et défait par Abd-er-Rahman-Ibn-Ocba, qui s'était aussitôt mis en marche contre lui, il prit la fuite, laissant un grand nombre de ses partisans sur le champ de bataille. Quand Hicham-Ibn-Abdel-Mélek apprit l'état dans lequel se trouvait la province, il y envoya Handala, fils de Safouan, de la tribu de Kelb.

§ XXI.

GOUVERNEMENT DE HANDALA-IBN-SAFOUAN-EL-KELBI.

En l'an 119 (737), Handala fut nommé gouverneur de l'É gypte par Hicham, et il continua à remplir cette charge jusqu'au temps où ce khalife l'envoya en Ifrîkïa. Il y arriva au mois de Rebia second de l'an 124 (février-mars 742); mais à peine se fut-il installé à Cairouan, qu'Okacha le sofrite marcha contre lui avec une telle multitude de Berbères, que jamais pareil rassemblement ne s'était vu en Ifrîkïa. Ce fut après sa défaite qu'Okacha était parvenu à rassembler cette nombreuse armée dans laquelle [presque] toutes les tribus berbères se trouvèrent réunies. En même temps, un autre corps très-considérable s'avança sous les

1 Il s'agit du Sebou, la rivière qui coule près de Fez.

2 Cette bataille eut lieu en l'an 123, ou l'année suivante. Abd-el-Hakem. )

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ordres d'Abd-el-Ouahed-Ibn-Yezîd, de la tribu de Hoouara, pour attaquer Handala. Ces chefs rebelles partirent tous deux à la fois de la province du Zab; Okacha, en prenant la route de Meddjana, pour se rendre à El-Carn; et Abd-el-Ouahed, en suivant le chemin des montagnes, pour se porter à Tabînas. L'avant-garde de celui-ci était commandée par Abou-Aura-el-Atéki *. Handala sentit la nécessité d'attaquer Okacha avant que les autres troupes eussent pu le rejoindre, et il marcha contre lui avec un corps composé du peuple de Cairouan. Les deux partis en vinrent aux mains à El-Carn; le combat fut très-opiniâtre et le carnage immense. Enfin, Okacha et les siens prirent la fuite et les Berbères furent taillés en pièces. Handala revint alors à Cairouan, craignant qu'en son absence, Abd-el-Ouahed ne vînt occuper cette ville.

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On raconte qu'à l'arrivée de ce dernier à Bédja, Handala envoya contre lui quarante mille cavaliers sous le commandement d'un homme de la tribu de Lakhm. Ce corps ne cessa, pendant un mois, d'attaquer Abd-el-Ouahed dans les ravines et les terrains inégaux qui entourent la ville, mais il finit par être repoussé jusqu'à Cairouan après avoir perdu vingt mille hommes. Abdel-Ouahed à la tête de trois cent mille combattants, vint alors prendre position à El-Asnam, lieu [du canton] de Djeraoua, à trois milles de Cairouan . Handala, de son côté, tira des magasins de l'état toutes les armes qui s'y trouvaient, et ayant fait un appel au peuple, il donna à chaque individu une cotte-de-mailles et cinquante dinars. Ce moyen lui attira tant de volontaires qu'il diminua ensuite le don jusqu'à quarante dinars, puis jusqu'à trente, et il ne choisit plus que des hommes jeunes et robustes. Il passa tout la nuit à la lueur des flambeaux, occupé de l'arme

1 Variantes: Tabibas, Tabeniach.

* Dans l'ouvrage d'Ibn-Abd-el-Hakem on lit: Abou-Corra-el-Ocaïli. 3 L'on sait que d'après la religion musulmane, tout croyant est soldat.

Abd-el-Ouahed s'empara de Tunis et s'y fit proclamer khalife; ensuite il marcha sur Cairouan. · (Ibn-Abd-el-Hakem.)

5 A une journée de Cairouan, selon Ibn-Abd-el-Hakem.

ment de ses recrues, dont cinq mille reçurent des cottes-de-mailles et cinq mille des flèches. Le matin, de bonne heure, les Arabes marchèrent au combat, après avoir brisé les fourreaux de leurs épées. Les fantassins tinrent ferme et mirent le genou à terre; l'aile gauche des Berbères et celle des Arabes fléchirent en même temps, mais celle-ci revint à la charge et renversa l'aile droite des Berbères, dont la déroute fut complète. Abd-el-Quahed y perdit la vie, et sa tête fut portée à Handala, qui se prosterna pour remercier Dieu. On dit que jamais un conflit aussi sanglant n'eut lieu sur la terre, et que cent quatre-vingt mille Berbères restèrent sur le champ de bataille. Ces gens-là étaient sofrites; ils regardaient comme permis de répandre le sang [des musulmans] et de réduire [leurs] femmes en servitude. Okacha fut ensuite amené prisonnier devant Handala, qui le fit mettre à mort et écrivit à Hicham pour l'informer de sa victoire. El-Leith Ibn-Sâd disait de cette bataille : « Après le combat de Bedr2, il n'en est pas d'autre que j'eusse plus désiré voir que celui d'ElCarn et d'El-Asnam. >>

§ XXII.

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ABD-ER-RAHMAN-IBN-HABIB SE REND MAITRE DE
L'IFRIKIA.

Abd-er-Rahman était fils de Habib, fils d'Abou-Obeida, fils de Nafê, de la tribu de Fihr [Coreich]. Lors de la défaite de Kolthoum, il s'était réfugié en Espagne, où il avait essayé plusieurs fois, mais infructueusement, de s'emparer du pouvoir. Enfin, lorsqu'Abou-'l-Khattab-Ibn-Dirar-el-Kelbi eut été envoyé dans ce pays par Handala en qualité de gouverneur et que tout le monde eut reconnu son autorité, Abd-er-Rahman conçut des craintes pour sa sûreté personnelle, et quitta le pays. Débarqué à Tunis au mois de Djomada premier de l'an 127 (février-mars 745), il rallia les habitants autour de lui et alla camper à la

'Au rapport du traditioniste cité dans les notes précédentes, cette bataille se livra en l'an 124. Selon lui, Handala gagna d'abord une bataille à El-Asnam et ensuite une autre à El-Carn.

2 Ce fut à Bedr, près de Médine, que Mahomet remporta sa première victoire.

sibkha (marais salé) de Sidjoum. Les partisans de Handala voulurent marcher contre le 'rebelle, mais il les en empêcha, à cause de sa répugnance à laisser répandre le sang des musulmans. Pénétré de la crainte de Dieu, il passa sa vie dans la mortification des sens, et ne croyait pas qu'il fût permis de se servir de l'épée excepté contre les infidèles et les sofrites, secte qui enseignait que tout musulman méritait la mort. Toutefois, il fit partir une députation composée des principaux personnages de l'Ifrîkïa, et chargée de faire renoncer Abd-er-Rahman à sa tentative et de la ramener à l'obeissance. Quand ils se présentèrent pour remplir leur mission, Abd-er-Rahman les fit mettre aux fers et déclara qu'il les ferait tous mourir si quelqu'un de leur parti osait lui lancer même une pierre. Cette menace produisit une impression profonde sur le peuple [de Cairouan] et Handala, ayant remarqué leur découragement, appela le cadi et les hommes les plus distingués par leur piété et leur mérite pour l'accompagner au trésor public. Ayant ouvert ce dépôt, il prit mille dinars, sans toucher au reste, et dit aux assistants : « Je n'en prends que la somme que réclament mes besoins et qui m'est nécessaire pour parvenir à ma destination. » Il quitta ensuite l'Ifrîkïa dans le mois de Djomada second 127 (avril 745). Abder-Rahman entra à Cairouan et ordonna par la voix d'un héraut que personne n'allât auprès de Handala, pas même pour l'escorter hors de la ville. Alors Handala, dont le ciel exauçait toujours les prières, fit cette invocation: «< O mon Dieu! ne souffre pas qu'Abd-er-Rahman-Ibn-Habîb jouisse de son autorité usurpée ! Que sa famille ne tire aucun profit de cet attentat, et que ses partisans répandent le sang les uns des autres! Suscite, Seigneur, contre eux ce que tu as créé de plus méchant parmi les hommes ! » Il prononça aussi des imprécations contre le peuple de l'Ifrîkïa,et il survint une épidémie pestilentielle qui dura sept années consécutives, excepté pendant de courts intervalles en été et en hiver 1.

1 Voici comment Ibn-Abd-el-Hakem raconte le départ de Handala : « Abd-er-Rahman écrivit à Handala, lui ordonnant de quitter Cairouan sous trois jours; et dans une autre lettre adressée au chef du trésor

L'historien dit ensuite: Lorsqu'Abd-er-Rahman se trouva en possession du pouvoir, beaucoup d'Arabes et de Berbères prirent les armes contre lui, Oroua-Ibn-ez-Zobeir-es-Sedefi1 s'empara de Tunis; les Arabes des districts maritimes s'insurgèrent auзsi; Ibn-Attaf-el-Azdi vint prendre une position menaçante à Tabînas; les Berbères se soulevèrent dans les montagnes; Thabet le sanhadjien suscita une révolte à Bédja et se rendit maître de la ville; enfin, deux hommes, berbères de race et kharedjites de religion, l'un nommé Abd-el-Djebbar, et l'autre ElHareth, se montrèrent en armes aux environs de Tripoli. Abder-Rahman marcha successivement contre eux tous, les défit les uns après les autres, soumit le Maghreb entier et courba l'audace des tribus berbères. Son armée fut toujours victorieuse; rien n'arrêta le progrès de ses étendards, et la terreur qu'inspirait son nom remplit tout le pays. Il envoya ensuite des présents au khalife Merouan-Ibn-Mohammed, accompagnés d'une lettre dans laquelle il attribuait à Handala des méfaits dont il ne s'était jamais rendu coupable. En réponse il reçut sa nomination au gouvernement du Maghreb et de l'Espagne.

public, il enjoignit à cet officier de donner à Handala ce qui lui était dû sur son traitement, et pas un dirhem de plus. Handala ayant pris connaissance de cette lettre, pensa d'abord à faire de la résistance, mais cédant à l'esprit de piété dont il était animé, il partit, le mois de Djomada second de l'an 127, emmenant avec lui un petit corps des troupes Syriennes. » - Cette tradition ne fait aucune mention de l'imprécation de Handala. En-Noweiri aurait dû supprimer cette fable qu'il emprunta, sans doute, à Ibn-er-Rakîk. Un homme comme Handala, qui avait de la répugnance à laisser répandre le sang des musulmans, ainsi que notre auteur le dit plus haut, ne leur aurait pas souhaité la guerre civile et la pestilence.

Es-Sadefi, signifie membre de la tribu d'Es-Sadif, branche de celle de Kinda. On sait que Kinda était himyerite.

2 En l'an 135, il attaqua les Berbères aux environs de Tlemcen, et à son retour, il envoya une flotte en Sicile et une autre en Sardaigne. Elles ravagèrent les possessions des Francs, et les contraignirent à payer la capitation. (Ibn-Khaldoun.)

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