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cette tentative, les autres musulmans se hâtèrent de prendre part à une nouvelle expédition. Mouça fit alors venir son client, Tarec-Ibn-Ziad, chef de l'avant-garde musulmane, et l'envoya [en Espagne] avec sept mille musulmans, dont la plupart étaient Berbères et nouveaux convertis. La flotte se dirigea vers une montagne qui s'élève dans, la mer et touche, d'un côté, au continent. Ce fut là qu'ils abordèrent, et cette montagne fut nommée Djebel-Tarec (la montagne de Tarec, Gibraltar). Lors des conquêtes d'Abd-el-Moumen [le souverain almohade], ce prince y fit bâtir une ville, et changea le nom de la montagne en Djebel-el-Feth (Mont-Victoire ou montagne de l'entrée), mais cette nouvelle dénomination ne se maintint pas; l'ancienne seule s'est conservée. Le débarquement de Tarec s'effectua dans le mois de Redjeb de l'an 92 (mai 744). Ibn-el-Athîr rapporte que, dans la traversée, Tarec s'étant abandonné au sommeil, vit le saint Prophète, accompagné de ceux qui avaient émigré de la Mecque pendant la persécution, et des Médinois qui lui avaient accordé leur appui. Ils portaient l'épée au côté et l'arc en bandouillère. Le Prophète lui adressa ces paroles : «O Tarec! avance et accomplis ton entreprise; sois humain envers les musulmans et fidèle à tes engagements ». Tarec regarda alors et vit le Prophète béni et ceux qui l'accompagnaient entrer en Espagne devant lui. A son réveil, il annonça cette bonne nouvelle à ses compagnons, et sentant son cœur affermi, il se tint assuré du succès. Quand tout le monde fut débarqué à la montagne, il les mena dans la plaine et pénétra dans Algeciras où il rencontra une vieille femme qui lui adressa ces paroles : « J'avais un mari qui prévoyait l'avenir; il annonça au peuple qu'un chef entrerait dans leur ville et en prendrait possession; il leur décrivit la figure du conquérant, qui devait avoir, selon lui, une grosse tête et une tache velu sur l'épaule gauche ». Tarec se dépouilla aussitôt de ses vêtements et eut le plaisir d'apprendre que sur son épaule il se trouvait, en effet, une tache telle qu'elle l'avait décrite. Le même historien dit encore : lorsque Tarec eut quitté la forteresse de la montagne, et subjugué Algeciras, la nouvelle en fut portée à Roderic qui était alors engagé dans une ex

pédition militaire. Frappé de cet événement, Roderic renonça à son entreprise et rassembla une armée de cent mille hommes, à ce qu'on dit, pour s'opposer aux progrès de Tarec. Celui-ci écrivit alors à Mouça, pour l'instruire de son succès et lui demander des renforts. Il obtint un secours de cinq mille hommes, de sorte que le nombre des musulmans se trouva porté à douze mille. Yulian les accompagna, pour les diriger vers les endroits faibles du pays, et leur procurer des renseignements. Roderic vint avec son armée leur livrer bataille 1; la rencontre eut lieu sur le bord de la rivière Léka2, dans le district de Sidonia, le vingt-huitième jour du mois de Ramadan de l'an 92 (19 juillet 744 de J.-C.), et huit jours se passèrent en combats 3. Les deux fils de l'ancien roi commandaient chacun une aile de l'armée de Roderic, et comme ils le détestaient, ils résolurent, d'accord avec quelques autres princes, de prendre la fuite; «< car, disaientils, quand les musulmans auront les mains remplies de butin, ils s'en retourneront dans leur pays et le royaume nous restera.»> Ils se retirèrent alors en désordre, et Dieu ayant mis en déroute les troupes de Roderic, ce prince se noya dans le fleuve1. Tarec les poursuivit jusqu'à la ville d'Ecija, dont les habitants, ainsi qu'un grand nombre de fuyards qui s'étaient ralliés à eux, vinrent lui livrer bataille. Aprés un combat acharné, les Espagnols

1 Ibn-Abd-el-Hakem rapporte que Roderic vint à la rencontre de Tarec, et parut assis sur le trône du royaume qui était porté par deux mulets; îl avait la tête ceinte d'un diadême, et portait des gants (coffazan) et tous les autres ornements dont les rois ont l'habitude de se parer.

2 Nehr-Leka peut être la même rivière que le Quadi-Leka ou Guadelète. Ibn-el-Goutïa l'appelle Quadi-Béka. L'auteur anonyme de la conquête de l'Espagne, man. de la Bib. nat., no 706, dit que le combat ent lieu près du lac (el-boheira).

3 Les musulmans passèrent trois jours à tuer leurs ennemis. (Ibn-Abd-el-Hakem)

4 L'on n'entendit plus parler de Roderic, et personue n'a jamais su ce qu'il devint. Les musulmans trouvèrent le cheval gris qu'il avait monté ; l'animal portait une selle ornée d'or, de rubis et d'émeraudes, et l'on remarqua sur ses jambes les traces de la boue dans laquelle il était tombé. On trouva aussi dans la boue une des bottes de Roderic.{ Ibn-Abd-el-Hakem.)

furent défaits, et Tarec s'arrêta à quatre milles d'Ecija, près d'une source qui a été appelée depuis Aïn-Tarec (la source de Tarec).

Plus loin l'historien dit: La nouvelle de cette double défaite jeta la terreur parmi les Goths, et ils abandonnèrent leurs villes pour se réfugier dans Tolède. Yulian conseilla alors à Tarec de partager son armée en plusieurs corps, vu qu'il n'y avait plus rien à craindre de la part du peuple espagnol, et de marcher en personne sur Tolède. Tarec accueillit cet avis, et d'Ecija [où il était], il fit partir un corps de troupes pour Cordoue, un autre pour Grenade, un troisième pour Malaga, un quatrième pour Todmîr 1, et il marcha lui-même sur Tolède avec le corps le plus considérable. En y arrivant, il trouva la ville déserte; les habitants s'en étant retirés pour se réfugier dans une autre ville nommée Maïa, qui était située derrière la montagne. L'historien ajoute que les autres détachements prirent les villes contre lesquelles on les avait envoyées, et que Tarec établit dans Tolède les juifs avec quelques-uns de ses compagnons, et se dirigea vers Ouadi'l-Hidjara (Guadalaxara). Traversant alors la montagne, en suivant un défilé qui porte depuis le nom de défilé de Tarec (FedjTarec), il arriva à une ville appelée Medina-t-el-Maïda (ville de la table) 3,où se trouvait la table de Salomon, fils de David. Cette table était en émeraude verte, ayant les bords garnis de perles, de corail, de rubis et d'autres pierres précieuses, ainsi que les pieds, qui étaient trois cent soixante en nombre. De là Tarec

3

↑ Par le nom de pays de Todmir, ou Theodomir, les historiens arabes veulent désigner la province de Murcie.

2 Cette montagne se nomme Somosierra, mais l'emplacement et la synonymie de Maïa sont encore inconnus. (Gayangos.)

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3 La position de cette ville est inconnue; mais le défilé de Tarec est dominé par une bourgade qui porte encore le nom de Buitrago, une altération de Bèb Tarec (porte de Tarec). — (Gayangos.)

D'après une tradition rapportée par Ibn-Abd-el-Hakem, cette table nerveilleuse aurait éte trouvée à Narbonne. Dans l'ouvrage d'ElMaccari, vol. 1, p. 286, se trouve un extrait de l'histoire de l'Espagne d'Ibn-Haiyan; cet auteur nous apprend que la table dite de Salomon avait été faite par les chrétiens et qu'elle servait à porter les évangiles. On la trouva sur le grand autel de l'église principale de Tolède.

passa par Maïa d'ou il enleva quelque butin, puis il revint à Tolède en l'an 93 (714-2 de J.-C). On dit aussi qu'il fit une incursion en Galice et pénétra jusqu'à Astorga, et qu'ensuite il rentra à Tolède, où les détachements qu'il avait fait partir d'Ecija vinrent le rejoindre, après s'être rendus maîtres de toutes les villes contre lesquelles il les avait envoyées.

Dans le mois de Ramadan de l'an 93 (juin-juillet,742 de J.-C.), Mouça-Ibn-Noceir conduisit en Espagne une armée nombreuse, et il apprit avec dépit les hauts faits de Tarec. En débarquant à Algésiras, il rejeta le conseil qu'on lui donna de suivre la route que Tarec avait prise. Ses guides lui dirent alors: « Nous vous mènerons par un chemin où il y aura plus d'honneur à acquérir que dans celui que votre devancier a choisi, et vous y trouverez des villes qui n'ont pas encore été subjuguées. » Yulian lui prédisait aussi une grande victoire, ce qui le remplit de joie, et ils partirent tous pour la ville [nommée depuis] Ibn-es-Selîm1 qu'ils emportèrent d'assaut. De là il se rendit à Carmona, la ville la plus forte d'Espagne, et Yulîan s'y fit admettre avec ses officiers, en se donnant pour des vaincus qui fuyaient les musulmans. Mouça envoya alors de la cavalerie contre Carmona, et les affidés de Yulîan leur ouvrirent les portes pendant la nuit.

Mouça se dirigea alors vers Séville, l'une des villes les plus considérables et les plus célèbres de l'Espagne, et s'en empara après un siége de quelques mois. Comme les habitants s'étaient enfuis, Mouça y établit des juifs, et il partit pour aller assiéger Mérida. La garnison de cette place ayant fait plusieurs sorties vigoureuses, Mouça plaça des troupes en embuscade dans des carrières où les infidèles ne pouvaient les apercevoir, et, aussitôt que le jour commençait à poindre, il marcha à l'assaut. Les assiégés étant sortis, comme de coutume, pour combattre les musulmans, furent enveloppés par les soldats embusqués qui se jetèrent entre eux et la ville; le combat fut long et sanglant, et ceux qui parvinrent à se soustraire à la mort rentrèrent dans la ville, qui était très

1 Cette ville était située dans la territoire de Medina-Sidonia, (Ibn-Haiyan apud Gayangos.)

forte. Après un siége de plusieurs mois, Mouça s'avança pour faire pratiquer une brêche aux murailles, mais la garnison opéra une nouvelle sortie et tailla en pièces un nombre considérable de musulmans au pied de la tour nommée depuis la Tour des Martyrs (Bordi-es-Choheda). Mérida se rendit, enfin, le dernier jour du mois de Ramadan de l'an 94 (30 juin 713 de J.-C.). La capitulation porta que les musulmans se mettraient en possession des biens de ceux qui périrent lors de l'embuscade, de ceux qui avaient abandonné la ville pour fuir en Galice, et des propriétés des églises, ainsi que de l'église principale.

Plus tard, le peuple de Séville s'êtant assemblé, courut sur les musulmans et extermina tous ceux qui se trouvaient dans la ville. Mouça y envoya son fils, Abd-el-Azîz,à la tête d'une armée, pour en faire le siége, et celui-ci fit périr tous les habitants. Puis, il alla s'emparer de Lebla (Niebla) et Béja, après quoi il retourna à Séville.

Le même auteur dit plus loin:

Mouça partit de Merida dans le mois de Choual, pour se rendre à Tolède. Tarec alla au-devant de lui et descendit de cheval sitôt qu'il le vit, mais Mouça lui porta à la tête un coup de fouet, parce qu'il avait outrepassé ses ordres. Arrivé à Tolède, Mouça exigea de Tarec la remise du butin et de la table. Un des pieds de cette table avait été enlevé par Tarec, et Mouça l'ayant interrogé sur ce sujet, reçut pour réponse qu'on l'avait trouvée ainsi. Il y fit mettre un nouveau pied en or, et marcha ensuite contre Saragosse, dont il s'empara ainsi que des villes voisines. Alors il envahit le pays des Francs, et arrivé dans un vaste désert et une plaine où étaient des puits, il trouva une statue [ou piédestal] debout et portant cette inscription : « Enfants d'Ismail! c'est »icile terme de votre marche; ainsi, rebroussez chemin ! » Désirez-vous savoir le sort qui vous attend? Je vous le » dirai: Il y aura des dissentions dans lesquelles vous vous » couperez les tétes les uns aux autres.»

Mouça revint alors sur ses pas, et, chemin faisant, il rencontra un messager qui lui porta l'ordre de quitter l'Espagne et de l'accompagner auprès d'El-Ouélîd. Ce contre-temps le facha beau

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