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§ VIII.

GOUVERNEMENT DE ZOHEIR-IBN-CAÏS, ET MORT DE
KOCEILA LE BERBÈRE.

L'historien dit qu'Abd-el-Mélek accueillit le conseil d'envoyer des troupes en Ifrîkïa et déclara que pour venger sur les polythéites la mort d'Ocba, il faudrait trouver un homme qui ressemblât à ce chef par la piété. Alors, d'un accord unanime, on lui désigna Zoheir-Ibn-Caïs. « C'est le compagnon d'Ocba, lui dit-on; c'est lui qui est le mieux au courant de ses habitudes, et qui est le plus digne de venger sa mort. >> Zoheir était en garnison à Barca quand il reçut d'Abd-el-Mélek une dépêche qui lui prescrivit de partir en toute hâte pour l'Ifrîkïa. Il répondit au khalife qu'il lui fallait des hommes et de l'argent : ces secours lui furent envoyés. Parmi les nouveaux venus se trouvèrent les principaux personnages de la Syrie 1.

En l'an 67 (686-687), quand ces renforts furent arrivés, il marcha vers l'Ifrîkïa, à la tête d'une armée nombreuse. Koceila, averti de son approche, partit de Cairouan avec les Berbères et se rendit à Mems. Zoheir vint alors prendre position aux environs de Cairouan, et, après avoir donné à ses troupes trois jours de repos, il marcha contre l'ennemi. La rencontre fut terrible; de chaque côté ont fit des pertes énormes; mais la journée se termina par la mort de Koceila et d'un grand nombre de ses partisans. Les musulmans poursuivirent les fuyards et tuèrent tous ceux qu'ils purent atteindre les chefs d'entre les Roum et les Berbères, leurs nobles et leurs princes, tous y succombèrent.

Zoheir revint à Cairouan, et voyant que l'Ifrîkïa pourrait former un vaste empire [il sentit remuer son ambition]; mais ensuite, comme il était rempli de dévotion et de l'esprit de mortification, il se dit : « Je veux combattre pour la cause de Dieu, car je crains de périr si je cède à mon penchant pour le monde. » Laissant alors quelques troupes à Cairouan, il partit avec un

1 Probablement quelques chefs des tribus que l'on avait établies en Syrie, comme colonies militaires.

corps nombreux pour l'Orient. Les Grecs de Constantinople, sachant qu'il était entré en Ifrîkïa après avoir laissé Barca sans défenseurs, sortirent de l'île de Sicile avec une grande flotte, attaquèrent cette ville et y portèrent le massacre et le pillage. Zoheir, qui venait de quitter l'Ifrikïa, et qui arrivait à Barca pendant que les Grecs y étaient encore, fit aussitôt mettre pied à terre et attaqua l'ennemi avec une ardeur extrême. La bataille fut terrible; mais, accablé par le nombre des Grecs, il succomba avec tous les siens. Pas un seul n'échappa, et les Grecs emportèrent leur butin à Constantinople.

Abd-el-Mélek fut très-affligé de la mort de Zoheir; mort qui avait tant d'analogie avec celle d'Ocba; mais la révolte d'AbdAllah-Ibn-ez-Zobeir l'empêcha de s'occuper des affaires de Cairouan. Ce ne fut qu'après la mort d'Ibn-ez-Zobeir qu'il y envoya comme gouverneur Hassan-Ibn-en-Noman, de la tribu de Ghassan.

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L'historien dit : Abd-el-Mélek donna ordre à Hassan-Ibn-enNoman de se tenir en Egypte avec une armée de quarante mille hommes, afin d'être prêt à tout événement. Ensuite il lui écrivit de se mettre en marche pour l'Ifrîkïa : « Je te laisse les mains libres, disait-il; puise dans les trésors de l'Egypte et distribue des gratifications à tes compagnons et à ceux qui se joindront à toi. Ensuite va faire la guerre sainte dans l'Ifrîkïa, et que la

1 En l'an 76 (695), les Grecs firent une descente à Antabolos (Barca) et occupèrent cette ville pendant quarante jours. Ibn-en-Nasrani, le commandant, parvint à s'échapper. Zoheir, auquel El-Aziz, gouverneur de l'Egypte, envoya l'ordre de chasser l'ennemi, les attaqua avec soixante-dix hommes et périt, lui et tous ses compagnons. Un arabe de la tribu de Medhedj qui s'était retiré dans le Désert pour éviter la peste dont on souffrait depuis quelque temps à Antabolos, rassembla alors un corps de sept cents musulmans et força les Grecs à se rembarquer. La mort de Zoheir eut lieu en 76. (Ibn-Abd-elHakem.) — La comparaison de ce récit avec celui d'En-Noweiri démontre l'extrême incertitude de l'histoire de l'Afrique dans le premier siècle de l'hégire.

bénédiction de Dieu soit sur toi! » Ibn-el-Athîr dit, dans son ouvrage historique intitulé le Kamel, qu'Abd-el- Mélek nomma Hassan gouverneur en l'an 74 (693-694 de J.-C.), quelque temps après la mort d'Ibn-ez-Zobeir; mais selon Ibn-er-Rakîk, le khalife envoya Hassan en Afrique avec des troupes en l'an 691. L'historien dit que cet émir entra en Ifrîkïa avec la plus forte armée qui y eut jamais mis le pied.

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PRISE ET DESTRUCTION DE CARTHAGE.

Aussitôt entré à Cairouan, dit l'historien, Hassan demanda s'il restait encore des princes en Ifrîkïa. On lui désigna le commandant de Carthage, grande ville qui n'avait pas encore été prise, et contre laquelle Ocba avait échoué. Hassan se mit en marche et livra un assaut si furieux à la ville qu'il força les Grecs qui s'y trouvaient à prendre la fuite et à s'embarquer. Les uns passèrent en Sicile, les autres en Espagne. Hassan, ayant pénétré de vive force dans la place, ne fit que piller, tuer et faire des captifs 2. 11 expédia alors des détachements dans les environs et donna l'ordre de mettre la ville en ruines. Les musulmans en détruisaient tout ce qu'il leur était possible de faire, quand leur général apprit que les Grecs et les Berbères s'étaient rassemblés à Satfoura et Benzert. Il alla aussitôt les y atttaquer, et il en tua un grand nombre. Les musulmans s'emparèrent de ce territoire et réduisirent toutes les places fortes auxquelles ils mirent le siége. Les habitants de l'Ifrîkïa en furent consternés ; les Roum, mis en déroute, se refugièrent dans la ville de Bédja, et les Berbères dans celle de Bône. Hassan retourna ensuite à Cairouan pour prendre du repos et en donner à ses troupes.

↑ En l'an 78, selon l'auteur du Baïan qui avoue qu'on ignore les véritables dates de l'expédition de Hassan-Ibn-en-Noman, de la prise de Carthage et de la mort de la Kahena. Il aurait pu ajouter, de presque tous les faits qui se sont passés en Afrique sous les premiers émirs arabes; même, dans le récit de ces faits, les historiens et traditionistes se contredisent.

2 Selon Ibn-Abd-el-Hakem, il ne se trouva dans la ville qu'un petit nombre de Roum, tous de la classe pauvre. Le reste s'était embarqué avec leur gouverneur.

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§ XI.

GUERRE DE HASSAN AVEC LA KAHENA; DEVASTATION DE
L'IFRIKIA, ET MORT DE LA KAHEN▲.

L'historien dit Hassan demanda alors quel était le prince le plus puissant qui restait encore en Ifrîkïa, et on lui désigna une femme qui gouvernait les Berbères, et qui était généralement connue sous le nom d'El-Kahena . « Elle demeure, dirent-ils, au Mont-Auras; elle est d'origine berbère, et depuis la mort de Koceila, les Berbères se sont ralliés à elle. » Cette femme prédisait l'avenir, et tout ce qu'elle annonça ne manqua pas d'arriver. On lui parla encore de la puissance qu'elle exerçait, en l'assurant que la mort d'une personne aussi redoutable pourrait seule mettre un terme aux révoltes des Berbères. La Kahena, avertie que Hassan s'était mis en marche pour l'attaquer, fit démolir la forteresse de Baghaïa, dans la pensée que c'était à la possession des places fortes que visait le général musulman. Hassan s'avança pourtant contre elle sans se soucier de ce qu'elle venait de faire, et il lui livra bataille sur le bord de la rivière Nîni. Après un combat acharné, les musulmans furent mis en déroute; un grand nombre d'entre eux perdit la vie, et plusieurs des compagnons de de Hassan furent faits prisonniers. La Kahena les traita avec bonté, et les renvoya tous, à l'exception de Khaled-Ibn-Yezîd de la tribu de Caïs, homme distingué par son rang et par sa bravoure, qu'elle adopta pour fils 2. Hassan évacua alors l'Ifrîkïa, et écrivit à Abd-el-Mélek pour l'informer de sa position. Le khalife répondit à sa lettre en lui enjoignant de rester où il était jusqu'à nouvel ordre; aussi Hassan demeura dans la province de Barca pendant cinq ans. L'endroit où il s'était établi reçut le nom de Cosour Hassan (les châteaux de Hassan). La Kahena, devenue maîtresse de toute l'Ifrikïa, tyrannisa les habitants de ce pays. A la fin, Abd-el-Mélek envoya à Hassan des trou

1 En arabe le mot Kahena signifie devineresse; en hebreu Kohen veut dire prêtre. Ibn Khaldoun nous apprend que cette femme professait le judaïsme.

2 Khaled témoigna sa reconnaissance de cette faveur en ouvrant une correspondance secrète avec Hassan, pour le tenir au courant de toutes les démarches de la Kahena.

pes et de l'argent, avec ordre de rentrer en Ifrikïa. A son approche, la Kahena dit à son peuple : << Les Arabes veulent s'emparer des villes, de l'or et de l'argent, tansdis que nous, nous ne désirons posséder que des champs pour la culture et le pâturage. Je pense donc qu'il n'y a qu'un plan à suivre : c'est de ruiner le pays afin de les décourager. » Elle envoya donc ses partisans partout, afin de renverser les villes, démolir les châteaux, couper les arbres et enlever les biens des habitants. Abd-er-Rahman-Ibn-Ziad-Ibn-Anam rapporte que tout le pays, depuis Tripoli jusqu'à Tanger n'était qu'un seul bocage et une succession continuelle de villages, et que tout fut détruit par cette femme. Quand Hassan s'approcha de l'Ifrîkïa, il eut le plaisir de voir les Roum venir à sa rencontre et implorer son secours contre la Kahena. Il se dirigea alors sur Cabes, dont les habitants vinrent au-devant de lui pour lui offrir une somme d'argent et faire leur soumission. Autrefois ils n'avaient jamais voulu admettre d'émir arabe dans leur ville aussi, Hassan leur donna pour gouverneur un jeune esclave. De là il se rendit à Cafsa qui se soumit à son autorité, ainsi que Castîlia et Nefzaoua.

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Quand la Kahena vit approcher l'avant-garde arabe, elle fit venir ses deux fils, ainsi que Khaled-Ibn-Yezîd, et leur annonça qu'elle-même serait tuée, et que pour eux, ils devraient se rendre auprès de Hassan et solliciter leur grâce. Le général musulman accueillit les deux transfuges et les mit sous la sauve-garde d'un de ses officiers, puis, il ordonna à Khaled de se porter en avant au galop. Les troupes arabes engagèrent avec celles de la Kahena un combat acharné, et le carnage fut si grand que tous s'attendaient à être exterminés; mais Dieu étant venu au secours des Musulmans, les Berbères furent mis en déroute, après avoir éprouvé des pertes énormes. La Kahena fut atteinte et tuée pendant qu'elle s'enfuyait. Les Berbères demandèrent grâce à Hassan, et obtinrent leur pardon, à la condition de fournir aux Musulmans un corps auxiliaire de douze mille hommes. Cette troupe fut aussitôt mise, par Hassan, sous les ordres des deux fils de la

1 Ou page. Le mot arabe rolam signifie garçon, domestique, jeune esclave blanc.

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