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des détachements qui lui ramenèrent des boeufs, des moutons et du fourrage. »

Le même narrateur ajoute : « Leur prince (mélek) se nommait Djoredjîr, et son autorité s'étendait depuis Tripoli jusqu'à Tanger. Il gouvernait au nom de Heracl (Héraclius). Quand il eut avis de l'approche de l'armée musulmane, il rassembla des troupes et se disposa à combattre. Le nombre de ses soldats montait à cent vingt mille. »>

Le narrateur dit plus loin : « Ayant fait les dispositions nécessaires, nous marchâmes contre son armée, et quelques jours se passèrent en pourparlers. Nous l'invitâmes à embrasser l'islamisme, mais il fit le fier et répondit qu'il n'y consentirait jamais. Nous lui fimes alors la proposition de nous payer un tribut (kharadj) annuel, mais il répondit: Si vous me demandiez un seul dirhem, je ne le donnerais pas ! Nous nous apprêtames donc à le combattre, après l'avoir averti [de notre intention]. Abd-AllahIbn-Sâd disposa son armée en aile droite, aile gauche et centre; le prince des Roum en fit autant, et la rencontre eut lieu dans une plaine étendue, nommée Bâcouba 2, laquelle est éloignée du siége du gouvernement grec d'un jour et d'une nuit de marche; elle est située à la même distance de Carthagina (Carthage). Carthagina est une vaste cité renfermant des édifices très-élevés dont les murs sont en marbre blanc; il y a des colonnes et des marbres de couleurs variées en quantité immense. »

Plus loin ce narrateur dit : « La guerre entre les deux partis se prolongea, et Othman, ne recevant plus aucune nouvelle des musulmans, fit partir Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir. Ce chef prit avec lui douze cavaliers de sa tribu et pressa sa marche pour joindre les vrais croyants. Son arrivée, qui eut lieu de nuit, ex

1 Tanger appartenait alors aux Goths.

2 L'auteur de ce récit a emprunté au Livre des Conquêtes d'El-Beladori le fait dont il parle ici. Ibn-Sâd, dit cet historien, fit halte à Acouba (bi-Acouba). Notre narrateur, ne se doutant pas que le b de ce mot fût la préposition affixe, l'a lu Bacouba. Ce trait suffit pour démontrer que le prétendu Ez-Zohri, ou son garant Rebiâ -Ibn-Abbad, composa son récit postérieurement à l'an 260 de l'hégire. El-Beladori mourut vers cette année.

cita une vive joie dans l'armée. Le bruit en fut si grand que les Grecs prirent l'alarme, et, s'étant imaginés qu'on venait les attaquer, ils passèrent une fort mauvaise nuit. Enfin, un de leurs espions rentra au camp et dit au prince que nous avions reçu des renforts. Les musulmans et les Grecs se battirent tous les jours jusqu'à l'heure de midi; alors les deux partis se retiraient dans leurs camps respectifs et le combat cessait. Ibn-ez-Zobeir présida le lendemain à la prière du matin; il marcha ensuite au combat avec les musulmans, et fit éprouver à l'ennemi des pertes considérables. N'ayant pas vu Ibn-Sâd parmi les combattants, il demanda où il était, et apprit que depuis quelques jours, ce chef ne sortait plus de sa tente. Comme Ibn-ez-Zobeir n'avait pas encore eu d'entrevue avec lui il alla le trouver, et après l'avoir salué, il lui communiqua les instructions d'Othman et demanda le motif qui le retenait loin du combat. Ibn-Sâd lui répondit : Le prince des Grecs a fait faire cette proclamation en langue grecque et arabe par la voix d'un héraut: Grecs et Musulmans ! quiconque tuera Abd-Allah-Ibn-Sâd aura ma fille en mariage avec cent mille dinars. Or, sa fille était d'une beauté merveilleuse; elle l'accompagnait à cheval au combat, habillée des étoffes les plus riches et portant sur sa tête un parasol en plumes de paon 2. Et tu n'ignores pas, continua Ibn-Sâd,

1 Ibn-ez-Zubeir, chargé par le khalife d'une mission très-importante, arrive au camp, préside à la prière et prend part au combat avant d'avoir communiqué ses dépêches au général en chef!

Voici le récit d'Ibn-ez-Zobeir lui-même, tel qu'il est rapporté dans le Kitab-el-Aghani (voyez p. 79 de ce volume) et tel qu'il a été reproduit par plusieurs historiens : « Djoredjîr, souverain de l'Ifrîkïa et roi des Francs, nous cerna avec cent vingt mille hommes (?); quant à nous, nous étions vingt mille. Les musulmans, réduits aux abois, ne s'accordaient plus sur ce qu'il fallait faire; et Abd-Allah-Ibn-Såd s'était retiré dans sa tente pour y être seul et réfléchir sur sa position, quand je vis, moi, l'occasion de surprendre Djoredjîr. Il était derrière son armée, monté sur un cheval gris et accompagné de deux jeunes filles qui le garantissaient du soleil avec des plumes de paon. Je me rendis aussitôt à la tente d'Abd-Allah-Ibn-Sâd, et je demandai au chambellan la permission d'entrer. Cet officier me répondit : « Il s'occupe, en ce mo

que la plupart de ceux qui m'accompagnent ont été nouvellement convertis à l'islamisme; ainsi je dois craindre que l'offre de Djoredjîr ne les porte à me tuer; voilà la raison de mon absence du combat.« Chasse cette crainte de ton âme, répondit Ibnez-Zobeir, et fais proclamer dans ton armée, et de sorte que les Grecs puissent l'entendre: Musulmans et Grecs! quiconque tuera le prince Djoredjir aura sa fille et cent mille dinars. Cette proclamation vaudra bien l'autre. Ibn-Sâd suivit ce conseil, et quand le chef des Grecs entendit la proclamation, son cœur fut rempli d'effroi pendant que celui de notre général en fut délivré. La guerre continua de la même manière qu'auparavant,

ment, de nos affaires, et il m'a ordonné de n'admettre personne. » Alors je passai derrière la tente et en ayaut soulevé le bord inférieur, je me trouvai en présence du général, qui venait de se jeter sur son lit. En me voyant, il fut saisi de crainte et s'écria : « Qui t'amène ici, Ibn-ez-Zobeir? » Je lui répondis : « Voilà bien l'homme velu; ils sont tous poltrons! Je viens de découvrir une occasion favorable pour surprendre notre ennemi, et je crains qu'elle ne m'échappe; viens donc avec moi et dis aux troupes de me seconder. » De quoi s'agit-il, dit Ibn-Sâd? Je le lui fis connaître, et il s'écria aussitôt : « Par ma vie ! l'occasion est belle. » Il sortit alors, et voyant ce dont je m'étais déjà aperçu, il ordonna aux soldats de me seconder. Ayant fait choix de trente cavaliers, je leur dis: « Pendant que je charge sur l'ennemi, empêchez que je ne sois assailli par derrière, et je vous réponds, s'il plaît à Dieu, de quiconque se trouvera sur mon chemin.» Je m'élançai alors vers l'endroit où j'avais remarqué Djoredjir; les cavaliers me suivirent eu me protégeant; et, ayant percé les rangs de l'ennemi, j'entrai dans un terrain ouvert et je courus sur ce chef. Ainsi que la plupart des siens, il me prit pour un messager; mais, voyant que j'étais armé, il tourna bride et s'enfuit. Je l'atteignis promptement et, l'ayant renversé à terre d'un coup de lance, je me précipitai sur lui. Les jeunes filles cherchèrent à le protéger contre le coup d'épée que j'allais lui asséner, et l'une d'elles en eut la main abattue. Ayant achevé mon adversaire, je plaçai sa tête au bout de ma lance et l'élevai en l'air. Alors la confusion se mit parmi ses troupes, les musulmans se portèrent vers l'endroit où je me trouvais; ils firent un grand carnage de l'ennemi et la déroute fut complète. Ibn-Sâd me dit alors: «Personne n'est plus digne que toi de porter au khalife la nouvelle de cette victoire. »

On voit que dans ce récit il n'est pas fait la moindre mention de la fille de Djoredjîr, mais on y reconnait quelques traits qui ont servi au faussaire pour confectionner la légende de cette belle amazone.

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jusqu'à ce qu'il vînt une idée à Ibn-ez-Zobeir, qui alla de nuit trouver Ibn-Sâd et lui dit : « J'ai réfléchi sur l'affaire dans laquelle nous sommes engagés, et je vois qu'elle traînera en longueur; l'ennemi est chez lui; il vit dans l'abondance pendant que nous voyons chaque jour diminuer nos ressources, et j'ai appris que Djoredjîr fait venir des troupes de tous côtés. Maintenant, je vois que ses gens, lorsqu'ils entendent annoncer chez nous l'heure de la prière, remettent l'épée dans le fourreau et rentrent dans leur camp; les musulmans en font de même, selon leur coutume. Ainsi donc, je te conseille de laisser demain les plus braves d'entre les musulmans dans leurs tentes, avec leurs chevaux et leurs armes, pendant que les autres iront se battre comme à l'ordinaire et feront durer le combat jusqu'à ce que l'ennemi soit accablé de fatigue; alors, quand il sera rentré dans son camp et aura mis de côté la cuirasse et les javelots, les musulmans monteront à cheval et chargeront à l'improviste. Peut-être que Dieu nous aidera et nous donnera la victoire, car c'est de Dieu que vient tout secours. Ibn-Sâd ayant entendu ce couseil, fit venir Abd-Allah, fils d'Abbas, et les deux frères de celui-ci, ainsi que les compagnons de Mahomet avec les chefs de tribu, et leur soumit la proposition d'Ibn-ez-Zobeir. Ils y donnèrent leur approbation en rendant grâces à Dieu et s'abstinrent d'en parler à qui que ce fut. Ils passèrent la nuit à faire leurs préparatifs, se dévouant à Dieu pour l'exaltation de sa religion et la manifestation de sa parole. Le matin arrivé, les braves de l'islamisme restèrent dans leurs tentes, ayant leurs chevaux à côté d'eux, pendant qu'Ibn-ez-Zobeir et Ibn-Sâd avancèrent au combat à la tête d'un petit corps de troupes. L'on se battit avec beaucoup d'acharnement, et comme il faisait très-chaud ce jourlà, on en ressentit des deux côtés une lassitude extrême. Le prince des Grecs était à cheval et encourageait ses troupes ; il avait avec lui l'étendard de la croix et portait un diadème sur sa tête, vu son rang élevé. Le conflit se prolongea jusqu'à ce que l'appel à la prière de midi se fit entendre; alors les Arabes allaient se retirer comme d'habitude, quand Ibn-ez-Zobeir fit durer le combat une heure de plus. La chaleur étant devenue

excessive, on en fut tellement accablé que les soldats des deux côtés ne pouvaient plus soutenir le poids de leur armure, et encore moins combattre. Ils retournèrent donc à leurs tentes, déposèrent leurs armes et se jetèrent sur leurs lits, après avoir attaché leurs chevaux. Alors les braves des musulmans se levèrent sur l'ordre d'Abd-Allah [-Ibn-Sâd], et ayant endossé leurs cottes-de-mailles, ils montèrent à cheval dans leurs tentes. AbdAllah-Ibn-ez-Zobeir sortit avant les autres, habillé comme un ambassadeur, ayant passé une robe par-dessus son armure, et se dirigea vers l'ennemi, après avoir ordonné à ses guerriers de charger comme un seul homme lorsqu'ils le verraient près du camp grec. Quand il allait y arriver, les musulmans poussèrent des cris d'Allah akber! (Dieu est grand!) la ilaha illa 'llah ! (il n'y d'autre Dieu que Dieu!) et fondirent sur l'ennemi avec tant d'impétuosité qu'il ne lui laissèrent pas le temps de s'armer et de monter à cheval. Les Grecs furent mis en déroute et on en tua un nombre immense ainsi que leur chef. Le reste se sauva dans la ville. Les musulmans pillèrent le camp ennemi et firent prisonnière la fille du prince. On l'amena devant Ibn-Sàd qui demanda ce qu'était devenu son père. « Il est mort,» répondit-elle. —«Savez-vous, dit-il, qui l'a tué?»—«Je le reconnaîtrais si je le voyais,» fut la réponse. Or, il y avait plusieurs musulmans qui, tous, prétendaient l'avoir tué; mais, quand on les présentait à la fille du prince, elle disait que ce n'était aucun de ceux-là. On fit alors venir Ibn-ez-Zo eir, et comme elle le reconnut pour être celui qui avait tué son père, Ibn-Sâd dit à ce chef: « Quel motif t'a empêché de nous informer, afin que nous puissions te donner ce que nous avons promis?»-« Que Dieu te dispose au bien ! lui répondit Ibn-ez-Zobeir; ce n'est pas pour obtenir ce que tu as promis que je l'ai tué, mais bien pour plaire à celui qui sait ce que j'ai fait, et m'en donnera une récompense plus excellente

1 Ibn-Abd-el-Hakem emploie le mot Roum pour désigner les Grecs, mais Ibn-er-Rakîk, l'auteur mis à contribution par En-Noweiri, s'en sert pour désigner les chrétiens de toute nation, et surtout les Latins. Encore aujourd'hui, les musulmans de l'Afrique septentrionale donnent aux chrétiens le nom de roumi,

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