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[au khalife] la conquête de l'Ifrîkïa. Othman entendit avec admiration le récit qu'Ibn-Zobeir lui fit de la bataille et des autres circonstances qui marquèrent cette expédition. Il lui dit alors : << Pourras-tu répéter cette nouvelle au public de la même manière que tu viens de me la raconter? » Ibn-ez-Zobeir répondit affirmativement, et le khalife, l'ayant pris par la main, le conduisit à la chaire [de la mosquée] et lui dit : « Raconte-leur ce que tu viens de m'apprendre. » Ibn-ez-Zobeir leur tint alors un discours qui les remplit d'admiration.

Cette invasion de l'Ifrîkïa eut lieu en l'an 27 (647-8) de J.-C.

§ V. AUTRES EXPÉDITIONS EN IFRÎKÏA.

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En l'an 34 (654-5) Moaouïa-Ibn-Hodeidj partit avec une armée pour l'Occident (Maghreb). Il y prit plusieurs châteaux ainsi qu'un butin immense, et il fonda Cairouan au voisinage d'El-Carn. Ce fut là qu'il résida constamment jusqu'à l'époque de son retour en Egypte.

Dans cette expédition, il s'avança jusqu'à Counîa, lieu où fut fondé Cairouan et, de là, il alla fixer son camp sur le flanc d'une montagne appelée El-Carn. Alors il envoya Merouan-Ibnel-Hakem, avec mille cavaliers, vers une ville appelée Djeloula 1. Merouan assiégea cette place pendant quelques jours, mais trou vant que sa tentative n'avait aucun résultat, il se mit en marche pour s'en retourner. Il avait à peine commencé sa retraite, quand l'arrière-garde aperçut une grande poussière; on crut que c'était l'ennemi qui venait de se mettre à leur poursuite, et plusieurs des soldats firent volte-face pour les repousser. Les

1 Les ruines de Djeloula, l'Oppidum usaletanum de Pline, se voient à cinq lieues de Cairouan, vers le couchant. Elles sont situées dans une région occupée par la tribu nomade des Oucelat, et ce fut, sans doute, d'après eux que le pays montagneux de cette partie de la Byzacène fut nommé Mons usaletanus. Saint-Martin, dans ses notes sur l'Histoire du Bas-Empire de Lebeau, a commis une singulière erreur ayant pris Usilla, ville maritime de la Byzacène pour Usaletanum, il place Djeloula sur le bord de la mer. Shaw, qu'il cite pour autorité, distingue parfaitement les deux localités. L'erreur de Saint-Martin a été reproduite par d'autres écrivains.

autres gardèrent leur rang, et leurs meilleurs coureurs étant allés de ce côté, virent que la muraille de Djeloula venait de s'écrouler. Aussitôt, les musulmans y pénétrèrent et enlevérent tout ce qu'elle renfermait de précieux. Abd-el – Mélek [fils de Merouan] vint alors rejoindre Ibn-Hodeidj, et comme ou ne pouvait s'accorder sur le partage du butin, on écrivit à Moaouia-Ibn-Abi-Sofyan qui rendit cette réponse : « Que l'armée rappelle ses détachements et que le partage se fasse alors entre tout le monde. » Chaque homme reçut deux cents dinars pour sa portion, mais le cavalier eut en plus une double portion pour son cheval. Abd-el-Mélek déclara avoir reçu pour luimême et pour son cheval la somme de six cents dinars, et qu'il les employa à l'achat d'une jeune fille.

D'autres racontent que ce fut Ibn-Hodeidj lui-même qui assiégea Djeloula, et qu'il désespéra de réussir en voyant que plusieurs de ses soldats avait succombé et que les autres avaient presque tous reçu des blessures. Il s'en retourna donc, mais Dieu lui ouvrit alors la ville sans qu'il fallut employer ni chevaux ni hommes pour l'attaquer. Il y pénétra sans éprouver la moindre résistance, la mit au pillage et repartit pour l'Egypte.

Moaouïa-Ibn-Hodeidj fit plusieurs expéditions en Afrique : la première en l'an 34 (654-5), avant la mort d'Othman; cette expédition n'est connue que de peu de personnes; la seconde eut lieu en l'an 40 (660-4), et la troisième en l'an 50 (670).

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OCBA-IBN-NAFÊ-EL-FIHRI SE REND DANS LE MAGHREB.

En l'an 46 (666-7), Ocba-Ibn-Nafé-el-Fihri [de la famille de Fihr-Coreich] partit pour le Maghreb, accompagné de Bosr › Ibn

↑ Moaouïa étant donc chef de la nation musulmane. Ce fait prouve la fausseté de la date assignée par Ibn-Abd-el-Hakem à l'expédition dont il parle ici; Moaouïa n'ayant été proclamé khalife qu'en l'an 41. Ibn-Khaldoun a eu le grave tort d'adopter l'erreur d'Ibn-Abd-el-Hakem dans son abrégé de l'histoire de l'Afrique septentrionale sous les émirs arabes.

? Les manuscrits portent Bichr, mais on sait par d'autres sources que le nom de ce chef doit s'écrire Bosr.

Arta et de Choreik-Ibn-Somaï-el-Moradi, et il s'arrêta à Maghmedas (?) [lieu dans les dépendances] de Sort. En l'an 26, Bosr s'était déjà rendu de Sort à cet endroit. Quand Ocba y fut arrivé, l'hiver survint, et comme il était d'une santé faible, il s'y arrêta. Ce fut alors qu'il apprit que les gens de Oueddan venaient de rompre le traité qu'ils avaient fait précédemment, et qu'ils refusaient de remplir les conditions que Bosr leur avait imposées lors du siége de Tripoli, quand Amr-Ibn-el-Aci l'envoya dans ce pays. Ocba-Ibn-Nafè quitta aussitôt son armée, dont il donna le commandement à Omar-Ibn-Ali-el-Coréchi et à Zoheir-Ibn-Caïsel-Beloui; puis, ayant pris quatre cents cavaliers, quatre cents chameaux et une provision de huit cents outres d'eau, il se mit en marche. Arrivé à Oueddan il le soumit et coupa l'oreille au roi du pays. « Pourquoi me traiter ainsi, lui dit le prince, toi qui as déjà fait la paix avec moi? »> « C'est un avertissement que je te donne, lui dit Ocba, et toutes les fois que tu porteras la main vers ton oreille, tu te le rappelleras, et tu ne songeras point à faire la guerre aux Arabes. » Ensuite il exigea d'eux le tribut de trois cent soixante esclaves que Bosr leur avait imposé. Désirant savoir s'il existait quelque contrée au-delà de Oueddan, on lui nomma la ville de Djerma, capitale du grand Fezzan. Parti de Oueddan, il arriva, après une marche de huit nuits, dans le voisinage de Djerma, dont il fit inviter les habitants à embrasser l'islamisme. Ils y consentirent, et il fit halte à la distance de six milles de la ville. Quand leur roi sortit pour se rendre auprès d'Ocba, des cavaliers, apostés par celui-ci, se jetèrent entre lui et son cortége, le forcèrent de mettre pied à terre et le conduisirent en la présence de leur chef. Comme il était d'une constitution délicate, il y arriva épuisé de fatigue et crachant le sang. << Pourquoi me traiter ainsi? dit-il à Ocba, ne me suis-je pas empressé de me rendre auprès de toi. » — « C'est une leçon que je veux te donner, lui répondit Ocba, toutes les fois que tu te la rappelleras, tu perdras l'envie de faire la guerre aux Arabes. » Ensuite i imposa sur les habitants un tribut de trois cent soixante esclaves. Ce même jour, Ocba fit partir cet homme [le roi] pour l'Orient, et sans perdre ur instant, il prit la route des

bourgades du Fezzan, et les emporta l'une après l'autre. Parvenu à la dernière de ces places fortes, il s'enquit des habitants s'il existait un autre peuple au-delà d'eux. Ils lui indiquèrent le peuple de Haouar, grande forteresse située sur la lisière du Désert, au sommet d'une montagne escarpée, et capitale du pays de Kouar. Après une marche de quinze nuits, il arriva sous les murailles de cette place, dont il entreprit le siége. Au bout d'un mois il renonça à son entreprise, et se dirigeant vers les autres châteaux de Kouar, il les emporta successivement. Arrivé au dernier, il y trouva le roi et lui fit couper un doigt. «< Pourquoi me traiter ainsi? s'écria le prisonnier. — « C'est pour te donner une leçon; toutes les fois que tu jetteras les yeux sur ta main, tu ne seras pas tenté de faire la guerre aux Arabes. » Il leur imposa alors une contribution de trois cent soixante esclaves, et leur demanda s'il se trouvait quelque peuple au-delà de leur pays. Ils répondirent qu'il n'y avait chez eux ni guides pour les y conduire ni aucune indication pour les y diriger. Il prit alors le parti de rebrousser chemin, et, sans s'arrêter à la forteresse de Haouar, il continua sa route pendant trois jours. Les habitants, persuadés qu'ils n'avaient plus rien à craindre, ouvrirent les portes de leur ville. Ocba étant venu camper à l'endroit qui s'appelle aujourd'hui Ma-el-Férès (l'eau du cheval), ne put y trouver de l'eau, et ses troupes, accablées par la soif, s'attendaient à la mort. Dans cette extrêmité, il fit une prière de deux recas1et invoqua le secours de Dieu. Pendant ce temps, son cheval avait creusé un trou avec les pieds de devant et mis à découvert une roche, d'où il sortit de l'eau. Ocba, voyant l'animal qui suçait ce filet d'eau, cria à ses soldats de creuser la terre; on obéit, et soixante-dix excavations leur fournirent de quoi étancher leur soif et faire provision pour leur route. C'est pour cette raison qu'on nomma ce lieu Ma-el-Férès. De là, Ocba revint sur ses pas par une autre route que celle qu'il avait suivie d'abord, et, arrivant à l'improviste devant la forteresse de Haouar, il profita

Le reka se compose d'un certain nombre d'invocations et de prosternements, et la prière se compose de plusieurs reka.

de l'obscurité pour y pénétrer. Les habitants s'étaient retirés dans leurs souterrains pour dormir, pensant qu'ils n'avaient plus aucun danger à appréhender. Ocba égorgea tous les hommes en état de combattre, et s'étant emparé des enfants et des richesses renfermées dans la ville, il rebroussa chemin.

Arrivé à l'endroit où la ville de Zouîla s'élève aujourd'hui, il se dirigea, de là, vers le principal corps de son armée, après une absence de cinq mois. En arrivant, il en trouva les chevaux et les bêtes de somme parfaitement reposés, et il se mit en marche pour le Maghreb. Evitant la grande route, il traversa le territoire occupé par la tribu de Mezata. Ayant emporté tous les châteaux qui s'y trouvaient, il se tourna vers........... dont il prit toutes les forteresses, et, de là, il expédia un corps de cavalerie à Ghadams. Quand ce détachement rejoignit le corps de l'armée, après s'être emparé de Ghadams, Ocha marcha sur Cafsa, qu'il prit ainsi que Castîlïa; puis, il se dirigea vers Cairouan. Cette ville, fondée par son prédécesseur, Moaouïa-Ibn-Hodeidj, ne lui plut nullement, et remontant à cheval, il conduisit tout son monde à l'endroit que la ville actuelle du même nom devait occuper. C'était une grande vallée, remplie d'arbustes et de plantes rampantes, qui servait de repaire aux bêtes féroces et aux hibous. Arrivé là, il cria à haute voix : «Habitants de cette vallée ! éloignez-vous, et que Dieu vous fasse miséricorde! Nous allons nous fixer ici. » Il fit cette proclamation trois jours de suite, et toutes les bêtes sauvages et tous les hiboux évacuérent la place. Il ordonna alors de déblayer le terrain et de le partager en lots; puis, y ayant transporté le peuple, il abandonna la ville bâtie par Ibn-Hodeidj. Alors, plantant sa lance en terre, il s'écria: « Voici votre cairouan (station de caravan). »

El-Leith-Ibn-Sâd raconte le même événement de la manière suivante : « Ocba-Ibn-Nafè fit une expédition en Ifrîkïa, et étant arrivé avec ses compagnons à la vallée de Cairouan, il y passa la nuit. Le lendemain, il se plaça à la tête de la vallée et prononça ces paroles: «< Habitants de cette vallée! éloignez-vous! Nous

1 Dans les manuscrits, le nom de ce lieu est omis.

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