Dès ce moment, Ibn-Abi-'l-Afïa devint tout puissant en Maghreb. En l'an 343 (925-6), El-Hacen, fils de Mohammed-Ibn-elCacem-Ibn-Idris, prince d'une bravoure extraordinaire et surnommé El-Haddjam (le phébotomiste), parce qu'il frappait toujours ses adversaires dans la veine du bras, réussit à surprendre la ville de Fez, à en tuer le gouverneur, Rîhan, et à s'y faire reconnaître comme souverain. Ibn-Abi'l-Afïa entreprit de le combattre, mais il perdit son fils, Minhal-Ibn-Mouça, et deux mille de ses Miknaciens dans une bataille qui eut lieu à Ouadi-'l-Matahen (rivière des moulins), dans la plaine d'Addad, entre Tèza et Fez. A la suite d'une nouvelle rencontre, El-Haddjam subit une défaite, et rentra à Fez avec les débris de son armée. Il y succomba, victime d'une trahison indigne : Hamed-Ibn-Hamdan-elHemdani, l'officier auquel il avait confié le commandement du quartier des Cairouanites, le jeta dans les fers et livra ensuite [cette partie de] la ville à Ibn-Abi-l-Afia. Ce chef, qui était accouru en toute hâte sur l'invitation de Hamed, tourna aussitôt ses armes contre le quartier des Andalous et s'en empara. AbdAllah-Ibn-Thaleba-Ibn-Mohareb-Ibn-Aboud, gouverneur de cette moitié de la ville, y trouva la mort. 1 Le vainqueur donna à Mohammed-Ibn-Thâleba, frère d'AbdAllah, le commandement du quartier des Andalous et somma Hamed-Ibn-Hamdan de lui livrer El-Haddjam. Cet homme ressentit une telle répugnance à laisser verser le sang d'un rejeton du Prophète, qu'il fit évader son prisonnier. El-Haddjam tâcha alors de descendre du haut de la muraille au moyen d'une corde, mais avant eu le malheur de se laisser tomber, il se cassa la jambe et mourut trois jours après, dans le quartier des Andalous où ses amis l'avaient transporté secrètement. Hamed luimême dut se retirer à El-Mehdia pour éviter la colère d'IbnAbi-'l-Afia. Maître de Fez et du Maghreb entier, Ibn-Abi-'l-Afïa força les 1 L'auteur du Cartas ajoute que cet homme appartenait à la tribu berbère des Auréba. Idrîcides à se réfugier dans leur forteresse de Hadjer-en-Nesr, auprès d'El-Basra. Il alla ensuite les y attaquer à plusieurs reprises, et les ayant fait bloquer par un corps de troupes sous les ordres d'[Ibn] Abi-'l-Feth, un de ses généraux, il partit, l'an 319 (931), pour Tlemcen. Avant de se mettre en marche, il choisit son fils Medîn pour lieutenant, et l'établit dans le quartier des Cairouanites comme gouverneur du Maghreb-el-Acsa. Il remplaça en même temps Mohammed-Ibn-Thàleba, commandant du quartier des Andalous, par Toual - Ibn-Abi - Yezîd. Arrivé à Tlemcen, il en détrôna le souverain, El-Hacen, fils d'Abou'l-Aïch, fils d'Eïça, fils d'Idris, fils de Mohammed, fils de Soleiman-Ibn-Abd-Allah. Celui-ci était entré en Maghreb quelque temps après son frère Idris l'ancien. El-Hacen se retira à Melila, île [située près] du Molouïa, et Ibn-Abi-'l-Afïa reprit la route de Fez. Le khalife [oméïade] En-Nacer s'étant déjà acquis beaucoup de partisans en Maghreb, essaya alors, par des promesses trèsséduisantes, de gagner l'appui d'Ibn-Abi-'l-Afïa, et parvint à le détacher du parti des Fatemides. Obeid-Allah-el-Mehdi apprit bientôt que son ancien serviteur venait de faire proclamer la souveraineté d'En-Nacer du haut de toutes les chaires du Maghreb, et pour punir cet acte de trahison, il y envoya une armée sous la conduite du général miknacien, Hamîd-Ibn-Isliten, neveu de Messala et commandant militaire de Tèhert. Hamid se mit en campagne, l'an 324 (933), et ayant rencontré Ibn-Abi-'l-Afïa dans la plaine de Messoun, il parvint, après quelques jours d'escarmouches, à le surprendre dans une attaque de nuit. Ibn-Abi-'l-Feth, averti que son maître, Ibn-Abi-'l – Afïa, s'était réfugié dans Teçoul, leva précipitamment le siége de Hadjer-en-Nesr et abandonna son camp aux troupes de la forteresse qui s'étaient mises à sa poursuite. Hamîd continua sa marche vers Fez, et trouvant que Medin, fils de Mouça, s'était enfui de cette ville pour rejoindre son père, il y installa comme gouverneur Hamed-Ibn-Hamdan, qui l'avait accompagné. Ayant ainsi soumis le Maghreb, il s'en retourna en Ifrîkïa. Après la mort d'Obeid-Allah le fatemide une nouvelle révolte éclata dans le Maghreb Ahmed-el-Djodami, fils de Bekr-IbnAbd-er-Rahman-Ibn-Sehl, tua Hamed-Ibn-Hamdan et envoya sa tête à Ibn-Abi-'l-Afia. Celui-ci la fit porter à Cordoue pour être présentée à En-Nacer, puis, il se rendit encore maître du pays entier. En l'an 323 (935), l'eunuque Meiçour, général d'Abou'l-Cacem, le khalife fatemide, pénétra dans le Maghreb, et, sur la nouvelle qu'Ibn-Abi-l'-Afïa s'était enfermé dans la forteresse de Locaï pour ne pas risquer une bataille, il alla faire le siége de Fez. Voulant alors mettre en pratique une ruse de guerre, il attira dans une conférence Ahmed-Ibn-Bekr, gouverneur de la ville, et le fit arrêter et conduire à El-Mehdïa. Indigné de cette trahison, le peuple de Fez prit pour chef Hacen-Ibn-Cacem-elLouati et se disposa à faire une vigoureuse résistance. Meiçour les tint assiégés jusqu'à ce qu'ils consentirent à reconnaître la souveraineté des Fatemides et à leur payer tribut. En se retirant, il confirma Hacen-lbn-Cacem dans le gouvernement de la ville. Tournant ensuite ses armes contre Ibn-Abi-'l-Afïa, il lui livra plusieurs batailles dans une desquelles il fit prisonnier ElBouri, fils de ce chef. El-Bouri fut envoyé à El-Mehdïa, et son père, accablé par le dernier revers qu'il avait essuyé, quitta le Maghreb et traversa les territoires du Molouïa et d'Outat pour se réfugier dans le Désert. Meiçour reprit le chemin de Cairouan, et en passant auprès d'Archgoul, il en arrêta le gouverneur, IdrisIbn-Ibrahim (descendant de Soleiman-Ibn-Abd-Allah, frère d'Idrîs l'ancien), qui s'était présenté devant lui dans l'espoir de gagner sa bienveillance par l'offre d'un cadeau. Après avoir enlevé à ce prince toutes ses richesses, il le remplaça par Abou'l-Aïch-Ibn-Eïça, membre de la même famille. De là il se porta rapidement vers Cairouan où il arriva en l'an 324 (935-6). Mouça-Ibn-Abi-'l-Afïa quitta alors le Désert et reprit possession de tous ses états. Ayant accordé le gouvernement du quartier des Andalous à Abou-Youçof-Mohareb-el-Azdi, le même qui avait converti en ville cette place qui n'était auparavant qu'une citadelle, il alla s'établir dans la forteresse de Koumat. Il marcha ensuite sur Tlemcen à la tête d'un renfort de troupes que sur sa demande, En-Nacer, l'oméïade, lui avait expédié d'Espagne. Abou-'l-Aïch s'empressa d'abandonner cette ville pour aller s'enfermer dans Archgoul; puis, en l'an 325, il s'enfuit au château qu'il s'était fait construire près de Nokour et laissa Archgoul au pouvoir de son adversaire. Celui-ci se dirigea ensuite contre la ville de Nokour et l'ayant emportée à la suite d'un siége, il la détruisit de fond en comble après en avoir tué le gouverneur Abd-el-Bedia-Ibn-Saleh. Son fils Medîn, auquel il avait donné l'ordre d'assiéger Abou-'l-Aïch ', obligea ce prince à livrer le château pour obtenir la paix. Ibn-Abi-'l-Afïa, dont la fortune venait de prendre ainsi un grand ascendant, étendit promptement son autorité jusqu'à la frontière du pays de Mohammed-Ibn-Khazer, prince des Maghraoua et seigneur du Maghreb central. En l'an 327 (938-9), pendant qu'il travaillait de concert avec ce puissant voisin à fortifier la cause des Oméïades, la mort vint le surprendre 2. Son fils Medîn, qu'il avait envoyé faire le siége de Fez, lui succéda dans le commandement du Maghreb, et s'y étant fait confirmer par En-Nacer, il contracta avec El-Kheir, fils de Mohammed-Ibn-Khazer, une alliance semblable à celle qui avait existé entre leurs pères. A la fin, cependant, cette bonne intelligence se troubla, et les deux chefs avaient déjà commencé à se faire la guerre, quand En-Nacer chargea son cadi, Monder-Ibn-Said, d'aller examiner la cause de la querelle et de travailler à un raccommodement. Monder remplit cette commission de manière à satisfaire les souhaits de son souverain. En l'an 335 (946-7), Medîn vit arriver chez lui son frère ElBouri qui s'était échappé du camp d'El-Mansour [le fatemide], pour aller se joindre à Abou-Yezid. Ahmed-Ibn-Bekr-el-Djodami, qui avait accompagné El-Bouri, se rendit à Fez sous un déguisement et trouva bientôt l'occasion d'arracher le pouvoir au gouverneur, Hacen-Ibn-Cacem-el-Louati. Medin et ses frères El-Bouri et Abou- 'l-Monked, se partagèrent alors les états ↑ Les manuscrits et le texte imprimé portent ici Abou-'l-Abbas. 2 Selon l'auteur du Cartas, il fut tué. de leur père, de sorte qu'ils soutinrent, à eux trois, tout le poids des affaires. El-Bouri passa en Espagne, l'an 335, et fut reçu avec de grands honneurs par En-Nacer. S'étant alors fait confirmer dans l'exercice de son autorité, il repartit comblé de faveurs, et mourut en 345 (956-7), pendant qu'il assiégeait son frère Medîn dans la ville de Fez. Il eut pour successeur son fils, Mansour, lequel tint sa nomination d'En-Nacer. Le nouveau chef se rendit en Espagne, accompagné de son frère Abou-'lAïch, et reçut du khalife les mêmes témoignages de faveur que ce prince avait déjà accordés à leur père. Lors de la mort de Medin, En-Nacer le remplaça par Abou-Monked. A la suite de cette nomination, les Maghraoua s'emparèrent de la province de Fez ainsi que de la ville, et établirent leur domination dans le Maghreb, d'où ils expulsèrent les Miknaça. Les vaincus rentrèrent dans les limites de leur ancien territoire, et Ismail, fils d'El-Bouri, passa en Espagne avec Mohammed, fils d'Abd-Allah et petitfils de Medin. En l'an 386 (996), pendant que le vizir El-MansourIbn-Abi-Amer gouvernait l'empire espagnol, ils rentrèrent en Maghreb avec Ouadeh [ général envoyé par le gouvernement oméïade], pour comprimer la révolte de Zîri-Ibn-Atïa. Ouadeh soumit tout le pays et rétablit ces chefs dans leurs états. Quand Bologguîn-Ibn-Zîri [le sanhadjite] eut enlevé le Maghreb central aux Beni-Khazer, princes de la tribu des Maghraoua, les Miknaça formèrent une alliance avec lui, et s'attachèrent désormais à la dynastie zîride en qualité de sujets et d'auxiliaires. En l'an 405 (1044-5), Ismail, fils d'El-Bouri, mourut à Chelif, dans une des batailles que Hammad [prince de la famille zirîde] livra à [son neveu] Badîs. Les descendants de Mouça-Ibn-Abi-'1- Afïa continuèrent à régner jusqu'à l'apparition des Almoravides et la conquête du Maghreb par Youçof--Ibn-Tachefin. El-Cacem, fils de Mohammed, fils d'Abd-er-Rahman, fils d'Ibrahim, fils de MouçaIbn-Abi-'l-Afia, marcha contre les envahisseurs, et s'étant assuré le concours du peuple de Fez et l'appui des Zenata, lesquels venaient de perdre [leur chef] Moannecer le maghraouien, il rencontra l'armée almoravide auprès du Ouadi-Safîr et la mit en |