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Les Matghara formaient la plus nombreuse de ces tribus et habitaient à demeure fixe dans des cabanes faites de broussailles. Lors de l'introduction de l'islamisme ils se trouvaient en Maghreb, et pendant les vicissitudes de la conquête arabe et des révoltes du peuple berbère, ils prirent une part active à ces graves événements. Quand les Berbères embrassèrent l'islamisme et qu'une partie d'entre eux traversa le Détroit pour subjuguer l'Espagne, plusieurs fractions de la tribu des Matghara accompagnèrent cette expédition et se fixèrent en ce pays.

Les doctrines kharedjites s'étant ensuite répandues parmi les Berbères, les Matghara adoptèrent les principes religieux des Sofrites, secte hérétique dans laquelle leur chef Meicera, surnommé El-Hafir, tenait un rang élevé. Obeid-Allah-Ibn-elHabhâb, nommé gouverneur de l'Ifrikïa par Hicham-Ibn-el-Mélek, partit de l'Égypte selon l'ordre de ce khalife, et étant arrivé à sa destination en l'an 114 (732-3), il donna le commandement de Tanger et du Maghreb-el-Acsa à Omar 2 Ibn-Abd-Allah-el-Moradi. Il désigna aussi son propre fils, Ismail, pour gouverner le Sous et les régions qui s'étendent au delà de cette province. L'administration de ces deux fonctionnaires se prolongea et devint si oppressive que les populations berbères finirent par la prendre en détestation. Ils obligèrent ce peuple à fournir des prestations composées de belles esclaves berbères, de toisons jaunes et des produits du Maghreb les plus rares; ils poussèrent même leurs exigences si loin qu'on était souvent obligé de tuer tout un troupeau de brebis pour avoir un ou deux foetus dont la laine était de la couleur voulue. Ces actes d'oppression et de tyrannie étant enfin devenus insupportables, les Berbères cédèrent aux instigations de Meicera, et, en l'an 122 (740), ils tuèrent Omar-Ibn-Abd-Allah, gouverneur de Tanger. Le commandement de cette ville fut donné par Meicera au nommé Abdel-Ala-Ibn-Hodeidj, personnage né en Afrique d'une famille eu

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1 Dans les manuscrits, ce nom est écrit tantôt Hafir, tantôt Hukir. 2 Les manuscrits et le texte imprimé portent Amr.

3 En arabe couleur de miel.

ropéenne, et qui, ayant été convertie à l'islamisme (moula) par les Arabes kharedjites, professait la doctrine sofrite. Meicera se rendit ensuite dans le Sous et fit mourir Ismail-Ibn-ObeidAllah, émir de cette province. Le feu de la révolte se propagea aussitôt dans tout le Maghreb et à un tel point que les khalifes de l'Orient ne purent plus y faire respecter leur autorité. Ibn-elHabhab sortit de Cairouan pour livrer bataille au rebelle, mais son avant-garde, commandée par Khaled-Ibn-Habib-el-Fihri, fut mise en déroute et ce général perdit la vie. A la nouvelle de cette victoire, les Berbères qui se trouvaient en Espagne déposèrent leur gouverneur, Ocba-Ibn-el-Haddjadj-es-Selouli, et se donnèrent pour chef Abd-el-Mélek-Ibn-Caten-el-Fihri, [arabe coreichide]. Ce bouleversement décida le khalife Hicham-IbnAbd-el-Mélek à envoyer en envoyer en Afrique douze mille soldats de la milice syrienne et à remplacer Ibn-el-Habhâb par Kolthoum-IbnEïad-el-Cocheiri auquel il confia aussi le commandement de cette expédition. En l'an 123 (744), Kolthoum marcha contre les insurgés, et parvenu au Sebou, rivière de la province de Tanger, il vit approcher les Berbères sous la conduite de Meicera. Ils avaient tous le sommet de la tête rasé et ils avançaient en poussant le cri de guerre dont se servaient les Kharedjites. Son avantgarde plia devant l'impétuosité de leur attaque, et dans cette journée malheureuse, il perdit la bataille et la vie. Les Berbères remportèrent la victoire par une ruse de guerre ayant attaché des outres renfermant des cailloux aux queues de plusieurs chevaux, ils lancèrent ces animaux sur l'armée arabe. Effrayés par le bruit des outres, les chevaux se précipitèrent à travers les rangs des Arabes, les chevaux de ceux-ci s'emportèrent et abandonnèrent les rangs, de sorte que la déroute devint générale.

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Le mot moula signifie également patron et client. Un esclave devient client (moula) de son maître par l'affranchissement, et un infidèle á contracté clientèle avec celui qui l'a converti à l'islamisme.

Les droits de clientèle sont avantageux pour les deux parties; elles doivent se soutenir mutuellement, et en certains cas, prévus par la loi, elles héritent l'une de l'autre.

• Voyez ci-devant, note 4, page 221.

La milice syrienne, placée à l'avant-garde, se rendit à Ceuta avec son chef Beledj, et celles de l'Ifrikïa et de l'Égypte regagnèrent Cairouan. Les Kharedjites se soulevèrent alors de tout côté ; et aussi long-temps que Meicera vécut, les khalifes n'eurent aucune autorité en Maghreb. Après la mort de Meicera, le commandement des Matghara passa à Yahya-Ibn-Hareth, autre membre de cette tribu et allié dévoué de Mohammed-Ibn-Khazer, prince des Maghraoua.

Quelque temps après ces événements, Idris, fondateur de la dynastie idricide, fit son apparition dans le Maghreb. La tribu d'Auréba embrassa sa cause et entraîna, par son exemple, l'adhésion des autres peuples berbères. Behloul-Ibn-Abd-el-Ouahed, chef des Matghara, se laissa alors gagner par Ibrahîm-Ibnel-Aghleb, gouverneur de Cairouan, et reconnut l'autorité du khalife Haroun-er-Rechîd; mais s'étant ensuite réconcilié avec Idris, il conserva le commandement de sa tribu. Dès ce moment, l'influence des Matghara s'affaiblit; la désunion se mit parmi eux, et les différentes dynasties qui régnèrent ensuite dans le Maghreb les accablèrent du poids de leur domination et les réduisirent au rang de tributaires. Telle est encore leur position aujourd'hui, soit qu'ils habitent dans le Tell, soit qu'ils parcourent le Désert.

Dans la région qui sépare Fez de Tlemcen, on trouve des peuplades appartenant à cette tribu. Elles vivent en confédération avec les Koumïa au milieu desquels elles ont continué à séjourner depuis l'avènement de la dynastie almohade. A cette époque, elles eurent pour chef un nommé Khalifa, et c'est encore dans la famille de cet homme que subsiste le droit de les commander. Khalifa bâtit pour leur protection la forteresse de Taount, laquelle s'élève dans cette partie de leur territoire qui touche à la mer. Quand les Beni-Merîn établirent leur domination en Maghreb après avoir renversé la dynastie fondée par Abd-el-Moumen, Haroun-Ibn-Mouça, petit-fils de Khalifa, reconnut l'autorité du sultan mérinide, Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack, et s'empara de Nedroma. Yaghmoracen-Ibn-Zian se mit alors en marche et lui enleva cette ville ainsi que Taount. Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack

reprit ensuite ces deux places au prince abd-el-ouadite et rentra en Maghreb après avoir approvisionné ses nouvelles conquêtes et choisi Haroun pour les commander. Quelque temps après, Haroun conçut la pensée de ressaisir l'indépendance, et il se maintint dans sa forteresse pendant cinq ans. Assiégé par Yaghmoracen, il capitula, en l'an 672 (1273-4), et se rendit auprès de Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack. Ayant obtenu de ce prince l'autorisation d'aller prendre part à la guerre sainte, il passa en Espagne et mourut sur le champ de bataille. Son frère Tachefîn lui succéda dans le commandement des Matghara et mourut en 703 (1303-4), laissant à sa famille l'autorité qu'elle conserve encore.

On trouve une autre portion de cette tribu dans le DjebelMatghara, montagne située au midi de Fez. Il y en a encore plusieurs peuplades dans les environs de Sidjilmessa, ville dont la majeure partie de la population se compose aussi de Matghariens. Cette circonstance contribue à entretenir parmi eux le remarquable esprit de corps qui se manifeste, de temps à autre, dans cette capitale.

Le Désert du Maghreb renferme un grand nombre de familles appartenant à la tribu des Matghara. Elles habitent des bourgades et s'occupent de la culture du dattier, à l'instar des Arabes. Depuis Touat, au midi de Sidjilmessa, jusqu'à Tementît, dernière ville de cette région, on rencontre une population sédentaire et fort nombreuse, composée de Matghara, dans laquelle une foule de Berbères, appartenant à diverses tribus, sont venus se mêler. On trouve aussi des Matghara à Figuig, ville située à six journées au midi de Tlemcen.

Figuig se compose de plusieurs bourgades rapprochées les unes des autres et formant une grande ville dans laquelle affluent tous les produits de la civilisation nomade. Elle est considérée comme une des principales villes du Désert, et grâce à son éloignement du Tell, elle jouit d'une entière indépendance. Ce sont les Beni-Cid-el-Molouk, famille matgharienne, qui commandent à Figuig.

A l'orient de cette ville et à une distance de plusieurs journées, se trouve une suite de villages qui s'étendent en ligne droite vers

l'est, en remontant graduellement vers le nord. Le dernier de ces villages est situé à une journée au midi du Mont-Rached, dans cette partie du Désert que les Beni-Amer, tribu zoghbienne, parcourent avec leurs troupeaux. Ceux-ci en ont fait une espèce d'entrepôt; ils y laissent leurs bagages et trouvent encore dans sa possession bien d'autres avantages. On a donné à ce village le nom de Beni-Amer.

A l'Orient des bourgades dont nous venons de parler, et à cinq journées de distance, se trouve un petit château (coléïa) situé bien avant dans le Désert et appelé le Coléïà de Ouallen. It sert de résidence à une peuplade matgharienne, et comme c'est un des lieux les plus rapprochés du pays habité par les

porteurs du litham, on y voit arriver des bandes de ces nomades dans les années où l'intensité de la chaleur les chasse de leurs déserts. Alors, sur les plateaux à l'entour de ce château, ils jouissent d'un air plus tempéré.

On rencontre aussi des membres de la tribu des Matghara dispersés dans tous les districts du Maghreb central et dans les régions de l'Ifrîkia.

Les Lemaïa, branche de la famille de Faten-Ibn-Temzît, sont frères des Matghara. Ils formaient plusieurs ramifications au nombre desquelles Sabec et les généalogistes de son école comptent les Beni-Zekoufa, les Mezîza, les Melîza et les Beni-Mednîn. Ils parcouraient en nomades les provinces de l'Ifrîkïa et du Maghreb, mais la grande majorité de leurs tribus habitait cette partie du Maghreb central qui avoisine le Désert.

Quand la doctrine kharedjite se répandit parmi les Berbères, les Lemaïa adoptèrent les croyances des Eibadites. Cet exemple fut imité par leurs voisins, les Louata et les Hoouara établis dans le Seressou, au sud-est de Mindas, ainsi que par les Zouagha, tribu qui demeurait à l'occident de ceux-ci. Les Matmata, les Miknaça et les Zenata établis au nord-est de cette localité, avaient aussi adopté les croyances des Eibadites.

Abd-er-Rahman-Ibn-Rostem, un des musulmans qui assistèrent à la conquête de l'Ifrîkïa, était fils de ce Rostem qui commandait l'armée persanne à la bataille de Cadicïa. Entré

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