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Quand les Berbères veulent convertir un nom singulier en nom collectif, ils y ajoutent les lettres at; ainsi de Loua ils forment Louat. Les Arabes de leur côté, ayant voulu adapter ce dernier mot au génie de leur langue, l'ont traité comme un nom singulier en y ajoutant un a pour le mettre au pluriel 1.

Ibn-Hazm dit que les généalogistes berbères regardent les Sedrata, les Louata et les Mezata comme appartenant à la race copte. Ce renseignement n'est pas exact, et Ibn-Hazm l'a donné sans avoir consulté, à ce sujet, les livres composés par les savants de la nation berbère.

Les Louata se partagent en plusieurs branches et forment un grand nombre de tribus, telles que les Sedrata (ou Sedderata), enfants de Nîtat, fils de Loua, et les Atrouza, enfants de Maselt, fils de Loua. Sabec et les généalogistes de son école indiquent quelques autres familles comme issues de Maselt, savoir: les Agoura, les Djermana et les Maghagha. Une autre tribu qui tire son origine de Loua, est celle des enfants de Zaïr-Ibn-Loua. Selon les généalogistes berbères, les Mezata, grande branche des Zaïr, fournissent plusieurs ramifications, savoir: les Belaïan 3, les Carna, les Medjîdja, les Degma, les Hamra et les Medouna.

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Les Louata, comme El-Masoudi en a fait la remarque, s'adonnaient à la vie nomade dans les territoires qu'ils occupaient aux environs de Barca. Ils prirent une part très-active à la révolte d'Abou-Yezîd: une nombreuse population louatienne du MontAuras s'étant réunie aux Beni-Kemlan pour soutenir la cause de ce chef. Jusqu'à nos jours, ils ont continué à habiter l'Auras où ils tiennent en sujetion les peuplades hoouarites et ketamiennes

Le texte arabe porte: en ajoutant un h. Dans la prononciation, l'h final prend quelquefois, comme ici, le son de l'a. — Quant à la formation du mot Louata, ce qu'lbn-Khaldoun en dit n'est pas exact: ce sont les Arabes et non pas les Berbères qui emploient les lettres at pour former le pluriel; d'ailleurs, en langue berbère, le pluriel de Loua ou Louat est Ilouaten, le Languentan, Lauguatan et Ilaguaten de Corippus.

2 Ci-devant, page 171, on a vu ce nom écrit Djedana.

3 Pour

Belaïan si nous lisons; verons les llaguas de Corippus.

Magaz, nous y retrou

qui les avoisinent. Ils peuvent mettre en campagne un millier de cavaliers et un grand nombre de fantassins. C'est au moyen de leur appui que le gouvernement hafside se fait payer l'impôt par les tribus de cette montagne. Dans l'accomplissement de leur tâche, les Louata font preuve de beaucoup de zèle et d'habileté. Ils fournissaient autrefois un contingent d'hommes à l'armée de l'empire, toutes les fois qu'elle se mettait en campagne. Quand l'autorité du gouvernement eut enfin cessé de se faire sentir dans l'Auras, les Beni-Séada, tribu loautienne, passa dans le territoire dont les Aulad-Mohammed, branche des Douaouida, avaient obtenu la concession, et remplirent auprès d'eux les mêmes fonctions qu'ils avaient précédemment exercées au service des Hafsides. Dans la suite, les Douaouida parvinrent à les soumettre eux-mêmes au paiement de l'impôt et les obligèrent à leur fournir un contingent de troupes; les réduisant ainsi au rang de sujets tributaires. Deux fractions des Louata, les BeniRîhan et les Beni-Badis, conservèrent leur indépendance, n'ayant jamais été placées par le gouvernement sous la domination d'une autre tribu; mais, enfin, Mansour-Ibn-Mozni ajouta leur territoire à ses états. Quand la famille Mozni se fut rendue indépendante dans le Zab, elle se faisait payer l'impôt par ces peuplades pendant quelques années en lançant contre elles un ramas de vagabonds arabes. De nos jours elles se tiennent sur leur montagne, sans oser descendre dans la plaine, tant ils craignent la violence et la rapacité de ces nomades.

Les Beni-Badîs se sont emparés des plaines à l'entour de Nigaous, et ils tirent de cette ville des sommes considérables à titre de tribut. Nigaous s'élève au pied de la montagne dont nous venons de parler. Quand les Arabes rentrent dans le Désert pour y prendre leurs quartiers d'hiver, les Beni-Badîs vont toucher le tribut et les droits de sauf-conduit qui leur sont dus; puis, au retour des Arabes dans leurs quartiers d'été, ils remontent jusqu'aux endroits les plus escarpés de leur montagne.

Une nombreuse population des Louata habitait au midi de

• Voyez ci-devant, page 77.

Tèhert et s'adonnait à la vie nomade. Elle fréquentait la vallée de Minas, depuis la montagne de Yaoud, du côté de l'orient, jusqu'à Quarslef, du côté de l'occident. On dit qu'un gouverneur de Cairouan qui les avaient emmenés en expédition avec lui, leur assigna cette région pour demeure. Leur chef, Aurâ-Ibn-Ali-IbnHicham, avait été employé comme général au service d'ObeidAllah, le fatemide; mais, à l'époque où Hamid-Ibn-Yesel, seigneur de Tèhert, se révolta centre El-Mansour, troisième khalife fatemide, ils fournirent des secours au chef insurgé et le suivirent dans ses égarements. En l'an 336 (947-8) El-Mansour vainquit son adversaire et le contraignit à passer en Espagne ; puis, ayant tourné ses armes contre ces Louata, il les refoula dans le Désert et revint camper sur le Mînas d'où il rentra à Cairouan.

Ibn-er-Rakîk rapporte qu'El-Mansour rencontra, dans cette expédition, des monuments anciens, auprès des châteaux qui s'élèvent sur les Trois-Montagnes. Ces monuments étaient en pierre de taille, et vus de loin, ils présentaient l'aspect de tombeaux en dos d'âne. Sur une pierre de ces ruines il découvrit une inscription dont on lui fournit l'interprétation suivante :

Je suis Soleiman le Serdéghos 2. Les habitants de cette ville s'étant révoltés, le roi m'envoya contre eux; et Dieu maʼyant permis de les vaincre, j'ai fait élever ce monument pour éterniser mon souvenir3.

Les Louata avaient pour voisins, à Mindas, une tribu zenatienne appelée les Beni-Oudjedîdjen. La vallée de Mînas et Tèhert séparaient les deux peuples. Une guerre éclata entre eux à

1 Voyez tome II, Appendice n° 2, § XIII.

2 Serdéghos (général) est une altération du mot grec stratégos. Il se rencontre plus d'une fois dans les historiens de l'Afrique, et notre auteur s'en est servi ailleurs pour désigner le général grec qui commandait dans la Calabre, lors de l'invasion musulmane de 340 (951-2). L'emploi de ce mot se conserva en Sicile pendant le gouvernement des Normands; ces princes avaient leur stratigo qui remplissait les fonctions de gouverneur militaire et de président de la cour criminelle.

3 Cette inscription, si elle a réellement existé, prouverait que Salomon, le général de Justinien, porta ses armes jusqu'à Tacdemt.

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cause d'une femme des Oudjedîdjen qui avait épousé un des Louata. Comme ceux-ci lui reprochèrent sa pauvreté, elle écrivit à sa famille pour se plaindre d'eux. Les Oudjedîdjen, qui eurent alors pour chef un nommé Einan, se concertèrent ensemble, et demandèrent l'appui des Zenata qui vivaient derrière eux ; ils reçurent un corps de renfort que leur expédia Yala-Ibn-Mohammedel-Ifreni, pendant que d'un autre côté, ils virent arriver à leur secours la tribu de Matmata commandée par l'émir Gharana 1. Alors ils marchèrent tous contre les Louata, et, après plusieurs conflits, dans un desquels Einan perdit la vie, ils expulsèrent leurs adversaires de la partie occidentale du Seressou et les rejetèrent dans la montagne située au midi de Tèhert et qui s'appelle Gueriguera jusqu'à ce jour. Les Louata y trouvèrent une peuplade maghraouienne qui, au mépris des devoirs de l'hospitalité, rassembla ses forces et finit par les chasser du territoire qui leur restait encore, du côté de l'orient, à MontYaoud. Par suite de ces revers, ils allèrent se fixer sur la montagne appelée Derrag, d'où ils étendirent leurs établissements vers l'intérieur du Tell et jusqu'à la montagne qui domine la ville de Metîdja. Ils sont aujourd'hui une trihu soumise à l'impôt. La montagne de Derrag fait partie du territoire concédé à la famille Yacoub-Ibn-Mouça, cheikhs des Attaf, tribu zoghbienne.

On trouve encore quelques peuplades louatiennes dans le Djebel-Louata, montagne située au midi de Cabes et de Sfax. Parmi elles on remarque les Beni-Mekki, famille qui, de nos jours, est maîtresse de Cabes.

Selon El-Masoudi, une nombreuse population louatienne occupait les Oasis d'Égypte, régions dont elles étaient maîtresses à l'époque où il écrivait; mais à présent, Dieu seul sait ce que ces gens sont devenus.

Les Zenara, branche des Louata, habitent les plaines qui s'étendent depuis le Bahîra (lac) d'Alexandrie jusqu'au Caire.

1 Variantes: Azana, Gharaba.

2 Variantes: Allal, Eilac, etc.

A une époque peu éloignée, ils eurent pour chef un nommé Bedr1 Ibn-Selam. Cet homme se révolta contre les Turcs (Mamlouks) et, après avoir vu tailler en pièces la plus grande partie de son peuple par les troupes du gouvernement égyptien, se réfugia à Barca où il demeure encore, sous la protection des Arabes qui habitent cette contrée.

Une forte population zenarienne occupe les environs de Tedla, ville située dans le Maghreb-el-Acsa, auprès de Maroc; et bien des personnes assurent que les Beni-Djaber, fraction des Arabes Djochem, se sont mêlés et confondus avec eux.

Quelques débris de la tribu des Louata se rencontrèrent en Égypte et dans les villages du Saïd (la Haute-Égypte) où ils s'occupent à faire paître des troupeaux et à cultiver la terre.

Dans la campagne de Bougie on en voit aussi une fraction qui porte même le nom de Louata. Elle habite la plaine de Tagrert, où elle cultive la terre et fait paître ses troupeaux. Elle prend ses chefs dans une de ses familles, celle de Radjeh-Ibn-Souab; mais elle est tenue à payer l'impôt au gouvernement de Bougie, et à fournir un contingent à l'armée du sultan.

Voilà toutes les branches de la tribu de Louata que l'on connaît actuellement, mais il en existe encore un grand nombre qui restent mêlées et confondues avec d'autres tribus.

NOTICE DES BENI-FATEN, TRIBU BERBÈRE DESCENDUE DE
DARIS ET D'El-abter.

L'appellation de Beni-Faten sert à désigner les Matghara, les Lemaïa, les Sadîna, les Koumïa, les Medîouna, les Maghîla, les Matmata, les Melzouza, les Kechana et les Douna, tribus issues de Faten, fils de Temzît, fils de Darîs, fils de Zahhîk, fils de Madghis-el-Abter. Elles tinrent un rang élevé parmi les populations berbères et se distinguèrent par de grands exploits; aussi nous donnerons ici leur histoire, tribu par tribu, sans en omettre

aucune.

1 Variante: Yedder.

2 Variante: Kechata. (Voyez ci-devant, page 172.)

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