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Parmi les hommes d'origine berbère, on remarque aussi [Abou]-Mohammed-Ibn-Abi-Zeid [Yezid], flambeau de la foi et membre de la tribu de Nefza 1.

Il y avait aussi chez eux des hommes versés dans la généalogie, l'histoire et les autres sciences, et dont l'un, Mouça-Ibn-Salehel-Ghomeri, personnage illustre de la tribu de Zenata, a laissé une grande réputation parmi les Berbères. Nous avons déjà parlé de lui dans notre notice sur les Ghomert, tribu zenatienne. Bien que nous n'ayons trouvé aucun renseignement certain sur les croyances religieuses d'Ibn-Saleh, nous pouvons, néanmoins, le regarder comme un des ornements de sa nation et une preuve que la sainteté, l'art de la divination, le savoir, la magie et les autres sciences particulières à l'espèce humaine existaient à son époque chez les Berbères.

Au nombre des récits qui ont couru parmi ce peuple est celui relatif à la sœur du célèbre chef Yala-Ibn-Mohammed-el-Ifréni. Selon les Berbères, cette femme donna le jour à un fils sans avoir eu commerce avec un homme. Ils l'appellent Kelman, et ils racontent de lui plusieurs traits de bravoure tellement extraordinaires que l'on est obligé de regarder ce haut courage comme un don que Dieu lui avait fait à l'exclusion de tout autre individu. Il est vrai que la plupart des chefs, parmi eux, nient l'existence de ce phénomène; méconnaissant ainsi la faculté que la puissance divine peut exercer afin de produire des choses surnaturelles. On raconte que cette femme devint grosse après s'être baignée dans une source d'eau chaude où les bêtes féroces avaient l'habitude d'aller boire en l'absence des hommes. Elle conçut par l'effet de la bave qu'un de ces animaux y avait laissé échapper après s'être abreuvé, et l'on nomma l'enfant Ibn-el-Aced (fils du lion) aussitôt qu'il commença à manifester son naturel courageux. Les Berbères racontent un si grand nombre d'histoires semblables que si l'on se donnait la peine de les mettre par écrit, on remplirait des volumes.

Telles furent les habitudes et le caractère des Berbères jusqu'à

Voy. note, page 28 de ce volume.

ce qu'ils parvinrent à fonder les dynasties et les empires dont nous allons raconter l'histoire.

COUP D'OEIL SUR L'HISTOIRE DES BERBÈRES DEPUIS LES TEMPS QUI ONT PRÉCÉDÉ LA CONQUÊTE MUSULMANE JUSQU'A L'AVÉNEMENT DE LA DYNASTIE AGHLEBIDE 1.

On sait par les ouvrages qui traitent de la conquête de l'Ifrîkïa et du Maghreb et par l'histoire des apostasies et des guerres par lesquelles les Berbères se signalèrent ensuite, que ce peuple formait plusieurs branches et se composait de tribus sans nombre. Ibn-er-Rakîk raconte que Mouça-Ibn-Noceir, après la prise de Sekiouma, écrivit en ces termes à El-Ouélid-Ibn-Abdel-Mélek : « Votre quint des prisonniers faits à Sekîouma monte << à cent mille individus »; et que ce khalife lui répondit par une lettre renfermant ces paroles : « Malheureux! j'y vois encore >> un de tes mensonges! ce lieu dont tu parles aura donc été le >> rendez-vous de toute la nation ! »

Depuis le Maghreb [el-Acsa] jusqu'à Tripoli, ou, pour mieux dire, jusqu'à Alexandrie, et depuis la Mer-Romaine (la Méditerranée) jusqu'au pays des Noirs, toute cette région a été habitée par la race berbère, et cela depuis une époque dont on ne connaît ni les événements antérieurs ni même le commencement. La religion de ce peuple, comme celle de toutes les nations étrangères de l'Orient et de l'Occident, était le paganisme. Il arriva, cependant, de temps à autre, que les Berbères professaient la

1 Cette esquisse fournit des renseignements précieux, mais elle est malheureusement trop concise. Il en est de même des chapitres sur les émirs arabes et les Aghlebides que notre auteur a insérés dans une autre partie de son ouvrage et dont M. Noël Des Vergers a donné une édition. L'extrait de la grande encyclopédie d'EnNoweiri qui accompagne ce volume, complète les indications d'IbnKhaldoun.

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2 Voyez ci-après, page 292, note 3. On trouve dans l'histoire du Maghreb, intitulée le Baïan, un grand nombre de passages extraits des écrits d'Ibn-er-Rakik.

religion des vainqueurs ; car plusieurs grandes nations les avaient tenus dans la sujétion. Les rois de Yémen, au dire de leurs historiens, quittèrent leur pays plus d'une fois pour envahir l'Afrique, et en ces occasions, les Berbères firent leur soumission et adoptèrent les croyances de leurs nouveaux maîtres. Ibn-elKelbi rapporte que Himyer, le père des tribus yéménites, gouverna le Maghreb pendant cent ans, et que ce fut lui qui fonda les villes de ce pays, telles qu'Ifrîkïa et Sicile 1. Les historiens s'accordent sur le fait d'une expédition entreprise contre le Maghreb par Ifricos-Ibn-Saïfi le Tobba [roi de Yémen]. Les princes des Romains, aussi, firent partir des expéditions de leurs résidences, Rome et Constantinople, pour subjuguer les habitants de ce pays. Ce furent eux qui détruisirent la ville de Carthage et qui la rebâtirent plus tard, comme nous l'avons raconté dans notre chapitre sur les Romains. Ils fondèrent aussi, sur le bord de la mer et dans les provinces maritimes de l'Afrique, plusieurs villes devenues ensuite célèbres et dont les édifices et les débris qui restent encore attestent la grandeur ainsi que la solidité de leur construction. Telles étaient Sbaitla (Suffetula), Djeloula (Usalitanum), Mernac 3, Outaca (Utique), Zana (Zama) et d'autres villes que les Arabes musulmans détruisirent lors de la première conquête. Pendant la domination [des Romains], les Berbères se résignèrent à professer la religion chrétienne et à se laisser diriger par leurs conquérants, auxquels, du reste, ils payaient l'impot sans difficulté.

Dans les campagnes situées en dehors de l'action des grandes villes où il y avait toujours des garnisons imposantes, les Berbères, forts par leur nombre et leurs ressources, obéissaient à des rois, des chefs, des princes et des émirs. Ils Ꭹ vivaient à l'abri

1 Il est malheureux pour la réputation d'Ibn-el-Kelbi que notre auteur ait cité de lui un pareil renseignement.

2 Ce chapitre est assez court et passablement exact; il se trouve dans la partie inédite de cet ouvrage.

3 D'après quelques paroles du géographe Abou-Obeid-el-Bekri, on est tenté de placer cet endroit dans le voisinage de Carthage. — (Voyez Notices et Extraits, tome XII, page 490.)

d'insultes et loin des atteintes que la vengeance et la tyrannie des Romains et des Francs auraient pu leur faire subir:

A l'époque où l'Islamisme vint étendre sa domination sur les Berbères, ils étaient en possession des priviléges qu'ils venaient d'arracher aux Romains, eux qui avaient précédemment payé l'impôt à Héraclius, roi de Constantinople. L'on sait que ce monarque recevait un tribut de soumission, non-seulement d'eux, mais d'ElMacoucos, seigneur d'Alexandrie, de Barca et de l'Egypte, ainsi que du seigneur de Tripoli, Lebda et Sabra, du souverain de la Sicile et du prince des Goths, seigneur de l'Espagne. En effet, les peuples de ces pays reconnaissaient la souveraineté des Romains, desquels ils avaient reçu la religion chrétienne. Ce furent les Francs (Latins), qui exerçaient l'autorité suprême en Ifrîkïa, car les Roum (Grecs) n'y jouissaient d'aucune influence: il ne s'y trouvait de cette nation que des troupes employées au service des Francs; et si l'on rencontre le nom des Roum dans les livres qui traitent de la conquête de l'Ifrîkïa, cela ne provient que de l'extension donnée à la signification du mot. Les Arabes de cette époque ne connaissaient pas les Francs, et n'ayant eu à combattre en Syrie que des Roum, ils s'étaient imaginé que cette nation dominait les autres peuples chrétiens, et que Heraclius était roi de toute la chrétienté. Sous l'influence de cette idée, ils donnèrent le nom de Roum à tous les peuples qui professaient le christianisme. En reproduisant les renseignements fournis par les Arabes, je n'y ai fait aucun changement, mais je dois néanmoins déclarer que Djoreidjîr (Grégoire), le même qui fut tué lors de la conquète, n'était pas roumi (grec) mais franc (latin) et que le peuple dont la domination avait pesé sur les Berbères de l'Ifrikïa, et qui en occupaient les villes et les forteresses, étaient des Francs.

Une partie des Berbères professait le judaïsme, religion qu'ils avaient reçue de leurs puissants voisins, les Israélites de la Syrie. Parmi les Berbères juifs on distinguait les Djeraoua, tribu qui habitait l'Auras et à laquelle appartenait la Kahena, femme qui fut tuée par les Arabes à l'époque des premières invasions. Les autres tribus juives étaient les Nefouça, Berbères de l'Ifrîkïa; les

Fendelaoua, les Mediouna, les Behloula, les Ghîatha et les Fazaz, Berbères du Maghreb-el-Acsa. Idris premier, descendant d'ElHacen, fils d'El-Hacen [petit-fils de Mahomet], étant arrivé en Maghreb, fit disparaître de ce pays jusqu'aux dernières traces des religions [chrétienne, juive et païenne] et mit un terme à l'indépendance de ces tribus. Aussi, nous disons qu'avant l'introduction de l'islamisme, les Berbères de l'Ifrikïa et du Maghreb vivaient sous la domination des Francs et professaient le christianisme, religion suivie également par les Francs et les Grecs ; mais, en l'an 27 (647-8)1, sous le khalifat d'Othman, les musulmans, commandés par Abd-Allah-Ibn-Sâd-Ibn-Abi-Sarh, descendant d'Amer-Ibn-Louaï [chef d'une famille coreichide], envahirent l'Ifrikïa. Djoreidjîr était alors roi des Francs établis en ce pays. Son autorité s'étendait depuis Tripoli jusqu'à Tanger, et la ville de Sbaitla formait la capitale de son empire 2. Pour résister aux Arabes, il rassembla tous les Francs et Roum qui se trouvaient dans les villes de l'Ifrikïa, ainsi que les populations berbères qui, avec leurs chefs, occupaient les campagnes de cette province. Ayant réuni environ cent vingt mille combattants, il livra bataille aux vingt mille guerriers dont se composait l'armée musulmane. Cette rencontre amena la déroute des chrétiens, la mort de leur chef et la prise et destruction de Sbaitla. Dieu livra aux vrais croyants les dépouilles des vaincus ainsi que leurs filles; et Abd-Allah-Ibn-ez-Zobeir reçut de ses troupes, comme cadeau, la fille de ce même Djoreidjîr auquel il avait ôté la vie 3. Le voyage d'Ibn-ez-Zobeir à Medine pour annoncer au khalife et aux musulmans la nouvelle de cette victoire est un fait aussi remarquable et aussi bien connu que les événements dont nous venons de parler.

4 Le texte arabe et les manuscrits portent à tort 29.

2 Carthage reconnaissait l'autorité de l'empereur de Constantinople, et Tanger appartenait aux Goths d'Espagne.

3 L'inexactitude de ce renseignement a été démontrée dans une lettre adressée à M. Hase, membre de l'Institut, et publiée dansle Journal asiatique de 4844.

4 Voyez le récit d'En-Noweiri, dans l'appendice, no 1. On peut aussi

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