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qui les porta au premier rang parmi les nations, les actions par lesquelles ils méritèrent les louanges de l'univers, bravoure et promptitude à défendre leurs hôtes et clients, fidélité aux promesses, aux engagements et aux traités, patience dans l'adversité, fermeté dans les grandes afflictions, douceur de caractère, indulgence pour les défauts d'autrui, éloignement pour la vengeance, bonté pour les malheureux, respect pour les vieillards et les hommes dévots, empressement à soulager les infortunés, industrie, hospitalité, charité, magnanimité, haine de l'oppression, valeur déployée contre les empires qui les menaçaient, victoires remportées sur les princes de la terre, dévouement à la cause de Dieu et de sa religion; voilà, pour les Berbères, une foule de titres à une haute illustration, titres hérités de leurs pères et dont l'exposition, mise par écrit, aurait pu servir d'exemple aux nations à venir.

Que l'on se rappelle seulement les belles qualités qui les portèrent au faîte de la gloire et les élevèrent jusqu'aux hauteurs de la domination, de sorte que le pays entier leur fut soumis et que leurs ordres rencontrèrent partout une prompte obéissance.

Parmi les plus illustres Berbères de la première race, citons d'abord Bologguîn-Ibn-Zîri le sanhadjien qui gouverna l'Ifrîkïa au nom des Fatemides; nommons ensuite Mohammed-Ibn-Khazer et son fils El-Kheir, Arouba-Ibn-Youçof - el-Ketami, cham-pion de la cause d'Obeid - Allah-es-Chii, Youçof-Ibn-Tachefîn, roi des Lemtouna du Maghreb, et Abd-el-Moumen-Ibn-Ali, grand cheikh des Almohades et disciple de l'imam El-Mehdi.

Parmi les Berbères de la seconde race on voit figurer plusieurs chefs éminents qui, emportés par une noble ambition, réussirent à fonder des empires et à conquérir le Maghreb central et le Maghreb el-Acsa. D'abord, Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack, sultan des Beni-Merîn; puis, Yaghmoracen-Ibn-Zîan, sultan des BeniAbd-el-Ouad; ensuite, Mohammed-Ibn-Abd-el-Caouï-Ibn-Ouzmar, chef des Beni-Toudjîn. Ajoutons à cette liste le nom de

1 Dans le chapitre qui traite des Beni-Toudjîn ce Ouzmar paraît être désigné par le nom de Dafliten.

Thabet-Ibn-Mendil, émir des Maghraoua établis sur le Chélif, et celui d'Ouzmar -Ibn-Ibrahim, chef des Beni-Rached; tous princes contemporains, tous ayant travaillé, selon leurs moyens, pour la prospérité de leur peuple et pour leur propre gloire.

Parmi les chefs berbères voilà ceux qui possèdèrent au plus haut degré les brillantes qualités que nous avons énumérées, et qui, tant avant qu'après l'établissement de leur domination, jouirent d'une réputation étendue, réputation qui a été transmise à la postérité par les meilleures autorités d'entre les Berbères et les autres nations, de sorte que le récit de leurs exploits porte tous les caractères d'une authenticité parfaite.

Quant au zèle qu'ils déployèrent à faire respecter les prescriptions de l'islamisme, à se guider par les maximes de la loi et à soutenir la religion de Dieu, on rapporte, à ce sujet, des faits qui démontrent la sincérité de leur foi, leur orthodoxie et leur ferme attachement aux croyances par lesquelles ils s'étaient assurés la puissance et l'empire. Ils choisissaient d'habiles précepteurs pour enseigner à leurs enfants le livre de Dieu; ils consultaient les casuistes pour mieux connaître les devoirs de l'homme envers son créateur; ils cherchaient des imams pour leur confier le soin de célébrer la prière chez les nomades et d'enseigner le Coran aux tribus; ils établissaient dans leurs résidences de savants jurisconsultes, chargés de remplir les fonctions de cadi; ils favorisaient les gens de piété et de vertu, dans l'espoir de s'attirer la bénédiction divine en suivant leur exemple; ils demandaient aux saints personnages le secours de leurs prières ; ils affrontaient les périls de la mer pour acquérir les mérites de la guerre sainte; ils risquaient leur vie dans le service de Dieu, et ils combattaient avec ardeur contre ses ennemis.

Au nombre de ces princes on remarque au premier rang Youçof-Ibn-Tachefin et Abd-el-Moumen-Ibn-Ali; puis viennent leurs descendants et ensuite, Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack et ses enfants. Les traces qu'ils ont laissées de leur administration attestent le soin qu'ils avaient mis à faire fleurir les sciences,

Dans le chapitre des Beni-Rached ce nom est écrit Ouenzemmar.

à maintenir la guerre sainte, à fonder des écoles, à élever des zaouïa et des ribat, à fortifier les frontières de l'empire, à risquer leur vie pour soutenir la cause de Dieu, à dépenser leurs trésors dans les voies de la charité, à s'entretenir avec les savants, à leur assigner la place d'honneur aux jours d'audience publique, à les consulter sur les obligations de la religion, à suivre leurs conseils dans les événements politiques et dans les affaires de la justice, à étudier l'histoire des prophètes et des saints, à faire lire ces ouvrages devant eux dans leurs salons de réception, dans leurs salles d'audience et dans leurs palais, à consacrer des séances spéciales au devoir d'entendre les plaintes des opprimés, à protéger leurs sujets contre la tyrannie des agents du gouvernement, à punir les oppresseurs, à établir au siège du khalifat et du royaume, dans l'enceinte même de leurs demeures, des oratoires où l'on faisait sans cesse des invocations et des prières, et où des lecteurs stipendiés récitaient une certaine portion du Coran tous les jours, matin et soir. Ajoutons à cela, qu'ils avaient couvert les frontières musulmanes de forteresses et de garnisons, et qu'ils avaient dépensé des sommes énormes pour le bien public, ainsi qu'il est facile de le reconnaître à l'aspect des monuments qu'ils nous ont laissés.

les

Faut-il parler des hommes extraordinaires, des personnages accomplis qui ont paru chez le peuple berbère? alors, on peut citer des saints traditionnistes à l'âme pure et à l'esprit cultivé; des hommes qui connaissaient par cœur les doctrines que Tabés et les imams suivants avaient transmis à leurs disciples; des devins formés par la nature pour la découverte des secrets les plus cachés. On a vu chez les Berbères des choses tellement hors du commun, des faits tellement admirables, qu'il est impossible de méconnaître le grand soin que Dieu a eu de cette

1 Tous les musulmans qui avaient connu Mahomet ou servi sous ses ordres reçurent le nom de Sahaba, c'est-à-dire compagnons; ceux qui ne l'avaient pas vu mais qui avaient connu l'un ou l'autre des Compagnons furent appelés Tabé, c'est-à-dire successeurs. Une grande partie de la loi traditionnelle des musulmans a pour base les paroles et les actes de ces deux classes de docteurs.

nation, l'extrême bonté qu'il lui a toujours témoignée, la combinaison de vertus dont il l'a dotée, les nombreux genres de perfection auxquels il l'a fait atteindre et toutes les diverses qualités propres à l'espèce humaine qu'il lui a permis de réunir et de s'approprier. A ce sujet, leurs historiens rapportent des circonstances qui remplissent le lecteur d'un profond étonnement.

Au nombre de leurs savants les plus illustres on compte Sâfou, fils de Ouaçoul, ancêtre de la famille midraride dont la dynastie régna à Sidjilmessa. Il avait vu plusieurs des Tabés et étudié sous Ikrima, esclave d'Ibn-Abbas 2. Arîb-Ibn-Homeid 3 fait mention de lui dans son ouvrage historique. On peut nommer aussi Abou-Yezîd-Makhled-Ibn-Keidad l'ifrénite, surnommé l'homme à l'âne, qui professa la doctrine des kharédjites et se révolta contre les Fatemides en l'an 332. Il avait étudié à Touzer sous les cheikhs de cette ville et s'était distingué par ses connaissances comme jurisconsulte. Ayant adopté le système professé par les kharédjites-eibadites, il y devint très-habile,

1 Il faut probablement lire Sahcou ou Sahgou.

2 Abou-Abd-Allah-Ikrima, esclave et disciple d'Ibn-Abbas, cousin de Mahomet, était berbère de nation. Il acquit une telle connnaissance de la loi qu'il fut autorisé à remplir les fonctions de mufti à la Mecque. Comme traditioniste il tient un baut rang aux yeux des docteurs musulmans. Il mourut en l'an 107 (725-6). On trouvera dans ma traduction d'Ibn-Khallikan une notice biographique d'Ikrima et un article sur Ibn-Abbas.

3 Dans un des chapitres suivants, il sera question de cet historien. On trouvera l'histoire d'Abou-Yezid dans un autre volume de cet ouvrage.

5 La secte des Kharedjites, c'est-à-dire; sortants, qui sortent de l'obéissance, rebelles, parut pour la première fois dans l'islamisme lors de la guerre qui éclata entre le khalife Ali, gendre de Mahomet, et Moaouïa, son compétiteur pour le trône du khalifat. Plusieurs musulmans, scandalisés de cette lutte odieuse, repoussèrent les prétentions des deux parties et déclarèrent que l'imam ou chef spirituel et temporel devait être élu par le suffrage universel des musulmans et qu'on pouvait même le choisir en dehors de la tribu de Coreich. On sait que jusqu'à la conquête de l'Égypte par les Turcs et la transmission de l'imamat à la maison Othomane, les musulmans orthodoxes avaient toujours admis comme article de foi, que l'imam devait être issu du sang de la tribu

et s'étant ensuite mis en relation avec Ammar-el-Ama, sofritenekkarien, il embrassa, à son grand malheur, les principes enseignés par ce vieillard. Quoi qu'il en soit, il est impossible de méconnaître la haute renommée que cet individu avait acquise parmi les Berbères.

Un autre de leurs hommes célèbres était Monder-Ibn-Said. grand-cadi de Cordoue et membre de la tribu de Soumata, l'une des fractions nomades de la tribu d'Oulhaça. Il naquit l'an 340 (922-3) et mourut en 383 (993-4), sous le règne d'Abd-er-Rahman-en-Nacer. Il faisait partie des Botr, descendants de Madghis.

dont leur prophète avait fait partie. Les Kharedjites osèrent rejeter ce principe et prirent les armes pour soutenir leur opinion. Daus la trente-huitième année de l'hégire, la plupart de ces insurgés furent exterminés à Nehrouan par les troupes d'Ali, et le reste se dispersa dans les provinces de l'empire musulman et commença à y propager les doctrines pour lesquelles il avait souffert. En Arabie, en Perse, en Mésopotamie et en Afrique ces missionnaires travaillèrent avec ardeur à renverser le khalifat, qui, à leurs yeux, n'était qu'une usurpation. Dans ce dernier pays le succès de leurs efforts fut immense : la plupart des Berbères musulmans accueillirent la doctrine kharedjite. Indignés de voir un peuple étranger s'établir chez eux en maîtres, ils embrassèrent avec empressement une religion qui leur permettait l'insurrection et leur enseignait qu'en leur qualité de vrais croyants, ils avaient le droit de traiter leurs adversaires politiques comme des infidèles, ennemis de la foi. Le récit des guerres et massacres qui résultèrent de l'application de ce principe, remplissent plusieurs pages de l'histoire de la Mauritanie. Bien que ces fanatiques fussent d'accord sur les grands dogmes de l'islamisme, ils se partagèrent en plusieurs sectes dont les nuances distinctives nous sont moins connues que leur haine de l'étranger. Eibadites, disciples d'Abd-Allah-Ibn-Eibad, Sofrides, sectateurs de Ziad-Ibn-Asfer, Sofrites-nekkariens (ou recusants), Oua celïa, tous travaillèrent à l'envi dans la grande tâche de renverser l'autorité des khalifes et rétablir l'indépendance de la nation berbère. Cette vaste insurrection s'éteignit vers l'époque où les Aghlebides prirent en main le gouvernement de l'Afrique. La doctrine kharedjite s'y conserva toutefois encore dans quelques tribus, et de nos jours même, on croit en reconnaitre des partisans dans les Mozabites et les habitants de l'île de Djerba.

1 Dans le texte arabe on a imprimé par erreur le mot må avec un alif, à la place d'un ain.

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