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peuples et conquis leurs villes, elles échangèrent la rudesse de la vie nomade et la simplicité de mœurs qui les distinguait aux premiers temps du khalifat, contre les grandeurs de la domination et la mollesse de la vie sédentaire; et s'étant empressées d'abandonner les localités du Désert qu'elles avaient jusqu'alors fréquentées, elles se répandirent dans les régions éloignées et jusqu'aux dernières limites de l'empire musulman. Arrivés là, les membres de ces tribus s'établirent, soit par bandes, soit isolément; formant ainsi des garnisons et des postes avancés sur la frontière ennemie, pendant que l'empire fondé par leurs armes passait de race en race et de famille en famille 1.

Portés au faîte de la puissance en Irac, sous la dynastie des Oméïades, redoutables encore sous celle des Abbacides, parvenus à la plus haute fortune en Espagne, sous la seconde dynastie oméïade, les Arabes se virent en possession d'une gloire et d'un bien-être qui n'avaient jamais été le partage d'aucun autre peuple. Entourés des biens du monde et livrés aux plaisirs, ils s'étendirent sur la couche de la mollesse, et, savourant les délices de la vie, ils tombèrent dans un long sommeil à l'ombre de la gloire et de la paix.

S'étant ainsi accoutumé aux demeures fixes, le peuple arabe oublia la vie du Désert et perdit les facultés qui l'avaient aidé à conquérir le pouvoir et à subjuguer les nations; il ne lui resta plus ni la simplicité des premiers temps de la religion, ni les mœurs agrestes auxquelles il s'était formé dans le Désert: tout chez lui s'émoussa jusqu'au tranchant de son épée.

son

Alors le guerrier ne se distingaa plus de l'artisan que par inaptitude au travail, et l'individu de race nomade ne différa du citadin que par l'habillement. Le souverain ne souffrit plus la présence de chefs capables de rivaliser avec lui par la gloire

arabes, il faut consulter l'ouvrage de M. Caussin de Perceval, intitulé Essai sur l'histoire des Arabes avant l'Islamisme et pendant l'époque de Mahomet, etc., en trois vol. in-8°. On ne saurait assez louer ce travail qui décèle, à chaque page, le profond savoir, les recherches consciencieuses et le jugement éclairé de l'auteur.

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1 Nous suivons la leçon indiquée dans la note du texte arabe.

et par la naissance; il abaissa l'ambition de leurs princes et de leurs grandes familles ; et, pour dompter leur esprit turbulent, il appuya son autorité sur des troupes domestiques, corps formé d'esclaves tirés de l'étranger et de créatures attachées à la fortune du maître. Avec ces bandes, il accabla les Arabes, fondateurs de l'empire, champions de la foi et soutiens du khalifat; il leur fit goûter l'amertume de la servitude; il détruisit chez eux, le souvenir de leur ancienne gloire et des douceurs de la domination; il leur enleva cet esprit de corps qui faisait leur plus ferme appui de sorte que ce peuple, trop morcelé pour se défendre, devint le serviteur de tout homme puissant qui voulut l'employer; ou bien, accablé et brisé par le malheur, il se dispersa parmi les autres nations.

L'autorité passa alors entre les mains d'esclaves et d'affranchis qui, séduits enfin par l'exercice du pouvoir, osèrent aspirer à l'empire; et, devenus maîtres de la personne du khalife, ils s'assirent eux-mêmes sur le trône et commandèrent en souverains.

Pendant ce temps, les Arabes chargés de la garde des provinces étaient tombés dans la dégradation la plus grande: ils ne purent ressaisir les bonnes qualités qu'ils devaient à la vie nomade, elles étaient perdues depuis trop longtemps; ils ne purent se rappeler leur origine, les noms de leurs aïeux s'étaient effacés de leur mémoire; ils disparurent enfin du monde à l'exemple des peuples qui les avaient précédés et comme disparaîtront leurs successeurs.

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Telles sont, en effet, les voies de Dieu envers ses créatures; et, qui pourra changer les voies de Dieu 1 ?

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Dans les premiers temps de l'Islamisme, de nombreuses tribus arabes avaient contribué à poser les fondements et à construire l'édifice de l'empire, en faisant triompher la vraie foi, en raffermissant le khalifat et en soumettant les villes et les provinces. occupées par les autres peuples. On y remarqua les tribus descendues de Moder, telles que les Coreich, les Kinana, les Khozâa,

Coran, sourat 48, versel 23.

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les Beni-Aced, les Hodeil, les Temîm, les Ghatafan et les Soleim, ainsi que les Houazen et leurs frères, les Thakîf, les Sâd-IbnBekr, et les Amer-Ibn-Sâsâ. Toutes ces peuplades s'y trouvaient avec leurs subdivisións, familles, parents, confédérés et amis.

Les tribus descendues de Rebiâ concoururent aussi à cette bonne œuvre on y vit les Taghleb-Ibn-Ouaïl, les Bekr-IbnOuaïl et toutes leurs ramifications, telles que les Yechkor, les Hanîfa, les Idjl, les Dohl, les Cheiban et les Teim-Allah; puis les tribus de Nimr-Ibn-Cacet et d'Abd-Caïs avec leurs alliés.

Parmi les tribus originaires du Yémen et descendues de Kehlan, fils de Seba, on remarqua les Ansar, dont les aïeux, Aous et Khazredj, eurent pour mère Caila, femme appartenant à une famille de la tribu de Ghassan; on compta aussi les Azd, les Hemdan, les Khathâm, les Bedjîla, les Medhedj avec leurs subdivisions: Ans, Morad, Zobeid, Nekhâa, les Achâri, les Beni'l-Hareth-Ibu-Kâb, puis la tribu de Taï et celle de Lakhm avec leurs diverses branches, et enfin celle de Kinda avec ses rois 1.

Un autre peuple yémenite qui prêta son appui à l'Islamisme fut celui formé par les tribus descendues de Codâa, chef qui eut pour aïeul Himyer, fils de Seba. Les différentes branches et familles de toutes ces tribus ainsi que de leurs confédérés, y participèrent également.

Mais, en s'appuyant sur le peuple arabe, l'empire musulman consuma les forces de toutes ces tribus : les unes périrent aux postes avancés, sur la frontière ennemie, et les autres succombèrent dans des pays éloignés, ou dans ces grandes batailles dont on garde encore le souvenir. On ne trouve plus dans le Désert un seul de leurs campements hospitaliers; pas une de leurs familles ne stationne maintenant dans les pâturages; il n'en existe plus une qui soit connue et dont on puisse citer le nom. Il est disparu ce noble esprit qui obligeait le patron à répondre des forfaits commis par ses clients; il est disparu aussi cet esprit de corps qui portait tous les membres de la nation à se soutenir entre eux. De ces anciennes tribus il ne reste plus que les noms,

↑ Les chefs de la tribo de Kinda portaient le titre de roi.

et encore ne les rencontre-t-on que dans les généalogies de quelques individus qui mènent une vie obscure,'éparpillés dans les villes de l'empire, derniers débris d'un grand peuple, maintenant dispersé et perdu dans la foule. Ces malheureux, tenus dans l'avilissement, sont les humbles serviteurs des émirs: semblables aux vils troupeaux, ils obéissent à la baguette du maître, ou bien ils exercent quelque métier pour vivre.

Une autre race était devenue l'appui de l'état et de la religion; d'autres mains avaient recueilli la puissance et l'autorité; d'autres patrons s'étaient chargés d'encourager les sciences et les arts. Ainsi, du côté de l'Orient, les Deilemites, les Seldjoukides, les Kurdes, les Ghozz et les Turcs, peuples d'origine étrangère, ont successivement exercé leur domination dans l'empire musulman, jusqu'à nos jours. Il en est de même dans l'Occident, où les Zenata et les autres peuples berbères se sont alternativement emparés du pouvoir, et le conservent encore, ainsi que nous le raconterons dans cet ouvrage.

Quant aux tribus arabes qui avaient autrefois joui de l'autorité, la majeure partie a péri, et leur souvenir a disparu avec elles. Toutefois, un débris de ce peuple est toujours resté dans ! le Désert, où il s'adonne à la vie nomade. Fortement attachées à leurs lieux de parcours, ces peuplades ont conservé la rudesse des mœurs et les habitudes agrestes qui naissent de la vie pastorale elles ne se sont pas jetées dans l'abîme du luxe; elles ne sont pas allées se noyer dans l'océan de la mollesse, et elles n'ont pas voulu s'établir dans des demeures fixes ni s'ensevelir dans des villes. Aussi, un de leurs poètes a dit :

Qui peut trouver du plaisir à vivre dans une ville? quel homme du Désert s'est jamais livré à la mollesse?

Et le poète El-Moténebbia reproduit le même sentiment dans une pièce de vers composée en l'honneur de Seif-ed-Dola ; il

La vie de ce grand poète se trouve dans le Dictionnaire biographique d'Ibn-Khallikan. (Voy. ma traduction anglaise de cet ouvrage, vol. 1, page 102 et vol. I, page 334.)

Le poème dont il s'agit ici a été publié par M. de Sacy dans sa

dit, en parlant des Arabes dont ce prince avait châtié les brigandages:

Nourris dans le Désert, ils effrayaient les princes qui, semblables aux herbes aquatiques, ne suvaient vivre sans eau.

Ils osèrent vous provoquer, vous qui, dans le Désert, dirigez votre course mieux que le Cata1 ne dirige la sienne! vous qui établissez vos tentes dans les solitudes éloignées où les au – truches mêmes ne s'aventurent pas pour y faire leurs nids.

Les tribus dont nous parlons se sont établies dans les déserts méridionaux de l'Occident et de l'Orient: en Afrique, en Syrie, dans le Hidjaz, en Irac et en Kirman. Elles y mènent le même genre de vie que celui auquel leurs ancêtres, les descendants de Rebià, de Moder et de Kehlan, s'étaient adonnés dans les temps antérieurs à l'Islamisme. Pendant qu'elles s'y multiplièrent, l'empire arabe-musulman se désorganisa et tomba enfin dans la décrépitude qui l'attendait. Alors plusieurs familles de race étrangère, habitants des contrées de l'Orient et de l'Occident, atteignirent à la puissance et entrèrent au service de l'État. Ces nouveaux alliés obtinrent en récompense de leur dévouement le commandement des tribus dont ils faisaient partie, et reçurent des apanages composés de villes ou de certaines portions de la campagne et du Tell (les hauts plateaux). Favorisées de la sorte, ces familles s'élevèrent au rang de nations, et domi nèrent par leur nombre les autres peuplades de la même origine. L'autorité dont elles étaient revêtues leur donna le moyen de se constituer en dynasties, et, à raison de cette circonstance, leur histoire mérite de prendre place avec celle des Arabes, leurs prédécesseurs.

La langue arabe, telle qu'on la parlait dans la tribu de Moder, et qui, dans le Coran, offre une excellence de style qu'aucun

Chrestomathie arabe, tome 1. (Voy. sur Seif-ed-Dola, prince d'Alep, la Biographie-Michaud, tome 41, page 485.)

Le cata (tetrao alchata) dépose ses œufs dans le Désert el va à de très-grandes distances pour visiter les sources où il a l'habitude de se désaltérer. Jamais, disent les Arabes, il ne se trompe de chemin. (Voy. Chrestomathie, tome ш, page 416.)

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