traverse le Zab pour se jeter dans la célèbre sibkha (marais salé) située entre Touzer et Nefzaoua1. Cette rivière s'appelle le Cheddi. Les provinces de Bougie et de Constantine appartenaient autrefois aux tribus de Zouaoua, Ketama, Adjîça et Hoouara, mais elles sont maintenant habitées par les Arabes, qui en occupent toutes les parties, à l'exception de quelques montagnes d'accès difficile où l'on trouve encore plusieurs fractions de ces tribus. Toute l'Ifrikia, jusqu'à Tripoli, se compose de vastes plaines, habitées, dans les temps anciens, par des Nefzaoua, des BeniIfren, des Nefouça, des Hoouara et d'une quantité innombrable d'autres tribus berbères. La capitale en était Cairouan. Cette province est devenue maintenant un lieu de parcours pour les Arabes de la tribu de Soleim. Les Beni-Ifren et les Hoouara sont soumis à ces Arabes et les accompagnent dans leurs courses nomades; ils ont même oublié la langue berbère pour celle de leurs maîtres, desquels ils ont aussi adopté tous les caractères extérieurs. Tunis est maintenant la capitale de l'Ifrîkïa et le siége de l'empire. Ce pays est traversé par un grand fleuve appelé le Medjerda qui recueille les eaux de plusieurs autres rivières et se décharge dans la Mer-Romaine, à une journée de distance de Tunis, vers l'occident. Son embouchure est auprès d'un endroit nommé Benzert 3. Quant à Barca, tous les monuments de sa gloire ont disparu; ses villes sont tombées en ruines et sa puissance s'est anéantie. Ce pays sert maintenant de lieu de parcours aux Arábes, après avoir été la demeure des Louata, des Hoouara et d'autres peuples berbères. Dans les temps anciens, il possédait des villes populeuses telles que Lebda, Zouïla, Barca, Casr-Hassan, etc.; mais leur emplacement est maintenant un désert, et c'est comme si elles n'avaient jamais existé. 1 Sur la carte de Shaw, ce marais est nommé Shibk Ellowdeah, dénomination tout-à-fait inconnue aux habitants du pays. 2 Notre auteur aurait du écrire : vers le nord. 3 Le Medjerda verse ses eaux dans la mer auprès de Porto-Farina, à 7 ou 8 lieues est de Benzert. ✓ DES TALENTS QUE LA RACE BERBÈRE A DÉPLOYÉS, TANT DANS LES TEMPS ANCIENS QUE DE NOS JOURS, ET DES NOBLES QUALITÉS PAR LESQUELLES ELLE S'EST ÉLEVÉE A LA PUISSANCE ET AU RANG DE NATION. [Chapitre ajouté par l'auteur après avoir achevé son ouvrage.] En traitant de la race berbère, des nombreuses populations dont elle se compose, et de la multitude de tribus et de peuplades dans laquelle elle se divise, nous avons fait mention des victoires qu'elle remporta sur les princes de la terre, et de ses luttes avec divers empires pendant des siècles, depuis ses guerres en Syrie avec les enfants d'Israël et sa sortie de ce pays pour se transporter en Ifrîkïa et en Maghreb. Nous avons raconté les combats qu'elle livra aux premières armées musulmanes qui envahirent l'Afrique; nous avons signalé les nombreux traits de bravoure qu'elle déploya sous les drapeaux de ses nouveaux alliés, et retracé l'histoire de Dihya-t-el-Kahena, du peuple nombreux et puissant qui obéissait à cette femme, et de l'autorité qu'elle exerça dans l'Auras, depuis les temps qui précédent immédiatement l'arrivée des vrais croyants jusqu'à sa défaite par les Arabes. Nous avons mentionné avec quel empressement la tribu de Miknaça se rallia aux musulmans; comment elle se révolta et chercha un asile dans le Maghreb-el-Acsa pour échapper à la vengeance d'Ocba-Ibn-Nafè, et comment les troupes du khalife Hicham la subjuguèrent plus tard dans le territoire du Maghreb. « Les Berbères, dit Ibn-Abi-Yezîd, apostasièrent >> jusqu'à douze fois, tant en Ifrîkïa qu'en Maghreb; chaque >> fois, ils soutinrent une guerre contre les Musulmans, et ils » n'adoptèrent définitivement l'islamisme que sous le gouver>> nement de Mouça-Ibn-Noceir; » ou quelques temps après, selon un autre récit. que Ayant indiqué les régions du Désert habitées par les Berbères, ainsi les châteaux, forteresses et villes qu'ils s'étaient bâtis, tels que Sidjilmessa, les bourgades de Touat, de Tigourarin, de Figuig, de Mozab, de Ouargla, du Righa, du Zab, de Nefzaoua, d'El-Hamma et de Ghadems; ayant parlé des batailles et de grandes journées dans lesquelles ils s'étaient distingués; des empires et royaumes qu'ils avaient fondés; de leur conduite à l'égard des Arabes hilaliens, lorsque ceux-ci envahirent l'Ifrîkïa au cinquième siècle de l'hégire; de leurs procédés envers les BeniHammad d'El-Calà, et de leurs rapports avec les Lemtouna de Tlemcen et de Tehert, rapports tantôt amicaux, tantôt hostiles; ayant mentionné les concessions de territoire que les Beni-Bâdîn obtinrent des Almohades dans le Maghreb, et raconté les guerres que firent les Beni-Merîn aux successeurs d'Abd-elMoumen, nous croyons avoir cité une série de faits qui prouvent que les Berbères ont toujours été un peuple puissant, redoutable, brave et nombreux; un vrai peuple comme tant d'autres dans ce monde, tels que les Arabes, les Persans, les Grecs et les Romains. Telle fut en effet la race berbère; mais, étant tombée en décadence, et ayant perdu son esprit national par l'effet du luxe que l'exercice du pouvoir et l'habitude de la domination avaient introduit dans son sein, elle a vu ses sa population décroître, son patriotisme disparaître et son esprit de corps et de tribu s'affaiblir au point que les diverses peuplades qui la composent sont maintenant devenus sujets d'autres dynasties et ploient, comme des esclaves, sous le fardeau des impôts. Pour cette raison beaucoup de personnes ont eu de la répugnance à se reconnaître d'origine berbère, et cependant, on n'a pas oublié la haute renommée que les Auréba et leur chef Koceila s'acquièrent à l'époque de l'invasion musulmane. On se rappelle aussi la vigoureuse résistance faite par les Zenata, jusqu'au moment où leur chef Ouezmar-Ibn-Soulat fut conduit prisonnier à Médine pour être présenté au khalife Othman-Ibn-Affan. On n'a pas oublié leurs successeurs, les Hoouara et les Sanbadja, et comment les Ketama fondèrent ensuite une dynastie qui subjugua l'Afrique occidentale et orientale, expulsa les Abbacides de ce pays et gagna encore d'autres droits à une juste renommée. Citons ensuite les vertus qui font honneur à l'homme et qui étaient devenues pour les Berbères une seconde nature; leur empressement à s'acquérir des qualités louables, la noblesse d'âme qui les porta au premier rang parmi les nations, les actions par lesquelles ils méritèrent les louanges de l'univers, bravoure et promptitude à défendre leurs hôtes et clients, fidélité aux promesses, aux engagements et aux traités, patience dans l'adversité, fermeté dans les grandes afflictions, douceur de caractère, indulgence pour les défauts d'autrui, éloignement pour la vengeance, bonté pour les malheureux, respect pour les vieillards et les hommes dévots, empressement à soulager les infortunés, industrie, hospitalité, charité, magnanimité, haine de l'oppression, valeur déployée contre les empires qui les menaçaient, victoires remportées sur les princes de la terre, dévouement à la cause de Dieu et de sa religion; voilà, pour les Berbères, une foule de titres à une haute illustration, titres hérités de leurs pères et dont l'exposition, mise par écrit, aurait pu servir d'exemple aux nations à venir. Que l'on se rappelle seulement les belles qualités qui les portèrent au faîte de la gloire et les élevèrent jusqu'aux hauteurs de la domination, de sorte que le pays entier leur fut soumis et que leurs ordres rencontrèrent partout une prompte obéissance. Parmi les plus illustres Berbères de la première race, citons d'abord Bologguîn-Ibn-Zîri le sanhadjien qui gouverna ̄ l'Ifrîkïa au nom des Fatemides; nommons ensuite Mohammed-Ibn-Khazer et son fils El-Kheir, Arouba-Ibn-Youçof- el-Ketami, cham-pion de la cause d'Obeid - Allah-es-Chîi, Youçof-Ibn-Tachefîn, roi des Lemtouna du Maghreb, et Abd-el-Moumen-Ibn-Ali, grand cheikh des Almohades et disciple de l'imam El-Mehdi. Parmi les Berbères de la seconde race on voit figurer plusieurs chefs éminents qui, emportés par une noble ambition, réussirent à fonder des empires et à conquérir le Maghreb central et le Maghreb el-Acsa. D'abord, Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack, sultan des Beni-Merîn; puis, Yaghmoracen-Ibn-Zîan, sultan des BeniAbd-el-Ouad; ensuite, Mohammed-Ibn-Abd-el-Caouï-Ibn-Ouzmar, chef des Beni-Toudjîn. Ajoutons à cette liste le nom de 1 1 Dans le chapitre qui traite des Beni-Toudjîn ce Ouzmar paraît être désigné par le nom de Dafliten. Thabet-Ibn-Mendil, émir des Maghraoua établis sur le Chélif, et celui d'Ouzmar -Ibn-Ibrahim, chef des Beni-Rached; tous princes contemporains, tous ayant travaillé, selon leurs moyens, pour la prospérité de leur peuple et pour leur propre gloire. Parmi les chefs berbères voilà ceux qui possèdèrent au plus haut degré les brillantes qualités que nous avons énumérées, et qui, tant avant qu'après l'établissement de leur domination, jouirent d'une réputation étendue, réputation qui a été transmise à la postérité par les meilleures autorités d'entre les Berbères et les autres nations, de sorte que le récit de leurs exploits porte tous les caractères d'une authenticité parfaite. Quant au zèle qu'ils déployèrent à faire respecter les prescriptions de l'islamisme, à se guider par les maximes de la loi et à soutenir la religion de Dieu, on rapporte, à ce sujet, des faits qui démontrent la sincérité de leur foi, leur orthodoxie et leur ferme attachement aux croyances par lesquelles ils s'étaient assurés la puissance et l'empire. Ils choisissaient d'habiles précepteurs pour enseigner à leurs enfants le livre de Dieu; ils consultaient les casuistes pour mieux connaître les devoirs de l'homme envers son créateur; ils cherchaient des imams pour leur confier le soin de célébrer la prière chez les nomades et d'enseigner le Coran aux tribus; ils établissaient dans leurs résidences de savants jurisconsultes, chargés de remplir les fonctions de cadi; ils favorisaient les gens de piété et de vertu, dans l'espoir de s'attirer la bénédiction divine en suivant leur exemple; ils demandaient aux saints personnages le secours de leurs prières; ils affrontaient les périls de la mer pour acquérir les mérites de la guerre sainte; ils risquaient leur vie dans le service de Dieu, et ils combattaient avec ardeur contre ses ennemis. Au nombre de ces princes on remarque au premier rang Youçof-Ibn-Tachefin et Abd-el-Moumen-Ibn-Ali; puis viennent leurs descendants et ensuite, Yacoub-Ibn-Abd-el-Hack et ses enfants. Les traces qu'ils ont laissées de leur administration attestent le soin qu'ils avaient mis à faire fleurir les sciences, Dans le chapitre des Beni-Rached ce nom est écrit Ouenzemmar. |