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creusant à l'intérieur; et, de part et d'autre, on tira sur tout ce qui se montrait. Les Français devaient s'user les premiers, car ils n'avaient ni sommeil, ni eau, ni espérance. Si économes qu'ils fussent de leurs munitions, ils les voyaient diminuer rapidement par la nécessité d'éloigner à coups de fusil, surtout la nuit, les Kabiles qui s'approchaient en rampant dans les fissures du terrain. Il n'y avait aucun moyen de faire connaître cette situation à Constantine. Avec beaucoup d'hommes blessés par le feu de l'ennemi, et des malades dont le mauvais temps et les fatigues augmentent chaque jour le nombre, il eût été matériellement impossible de rejoindre le poste français de Mila. Il n'y avait pas de chance de lasser l'ennemi; les tentatives faites pour se procurer de l'eau avaient échoué; on eût versé plus de sang qu'on n'eût rapporté d'eau. Le ruisseau coulait à une portée de pistolet d'une crète escarpée et garnie, comme un rempart, d'une ligne serrée de Kabiles. Ni le canon, ni les sorties, ne pouvaient éloigner les Kabiles, car ils n'offraient d'autre prise aux boulets que la tête des hommes isolés, embusqués sur les hauteurs, et seulement encore pendant qu'ils tiraient. Ils cédaient aux sorties des Français un terrain que ceux-ci étaient trop faibles pour conserver, le reprenant aussitôt, après leur avoir fait éprouver des pertes pour celle possession éphémère. Cette lutte, d'un caractère si étrange, durait depuis six jours et six nuits. La tempête accroissait les souffrances du bataillon, diminuait ses espérances en grossissant les rivières et couvrant de neige les montagnes qui conduisent à Constantine, lorsque la délivrance vint d'où on l'attendait le moins. Les chefs des Kabiles se disputèrent entre eux, et vendirent la peau de l'ours avant

de l'avoir tué. Cette querelle dispersa le rassemblement des montagnards.

« L'ennemi s'était retiré; mais il restait encore la farnine, le froid, l'incertitude de l'avenir. Cette situation fut supportée par les zéphyrs avec cette ferme et courageuse insouciance, qui est le fond de leur caractère. Le douzième jour, le colonel d'Arbouville, envoyé par le général Galbois, justement inquiet de la garnison de Djemila, pour lui porter des vivres et des moyens d'établissement, prit sur lui d'évacuer ce poste inutile, qu'il eût été impossible de ravitailler régulièrement, dans l'état de pénurie et avec les forces de la division (1). »

La défense du 3e bataillon d'Afrique avait été, en effet, héroïque; mais la véritable cause de la cessation des hostilités, c'est que Bou-Akkaz, cheikh du Ferdjioua, s'était montré aux Kabiles, et avait, par son influence, dissipé les rassemblements (2). Les renseignements de source indigène que nous avons recueillis depuis sont très-précis.

Au mois de mai 1839, le général Galbois reprenait la direction de Setif. Il suivait, pour s'y rendre, la même route que lors de la première expédition, voulant, avant tout, prouver aux Arabes qui avaient précédemment inquiété sa marche, qu'il ne craignait pas de se mesurer une seconde fois avec eux, s'ils tentaient de s'opposer à son passage. Le 17e léger, en gravissant le défilé de Mons, où ses compagnies avaient eu déjà un beau fait d'armes un an avant, fit battre la charge et sonner le clairon. C'était

(1) Campagnes d'Afrique, par le duc d'Orléans.

(2) En faisant l'historique de la famille féodale des Ben-Achour, nous entrerons dans des détails plus précis sur le rôle de Bou-Akkaz dans cette affaire de Djemila.

dignement annoncer sa présence et rendre hommage à un glorieux souvenir.

Dès que les troupes furent sorties du défilé, elles virent devant elles un groupe de cinq à six cents cavaliers marchant à leur rencontre. C'étaient les contingents que le cheikh Msaoud, des Rir'a, venait offrir et mettre à la disposition du général. Ils flanquèrent la colonne jusqu'à Setif, où elle arriva sans avoir brùlé une amorce.

A notre approche, Ben-AbJ-es-Selam était allé s'établir à Sidi-Embarek, sur la route de la Medjana, d'où il se proposait de guetter nos mouvements et d'envahir la plaine à la première occasion. Le général Galbois dirigea immédiatement contre lui quatre escadrons de cavalerie et un millier de cavaliers auxiliaires des Rir'a, Eulma et Amer. Le colonel Lanneau, à qui le commandement de cette expédition avait été confié, partit de Setif le 25 an soir et arriva à Sidi-Embarek au point du jour; mais, à la nouvelle de son arrivée, Abd-es-Selam s'était sauvé en toute hâte, abandonnant une partie de ses troupeaux. Son infanterie s'était réfugiée dans la montagne pendant que la cavalerie s'éloignait d'un autre côté. On ne put atteindre que son arrière-garde après avoir galopé pendant plusieurs heures et dépassé Zamora. Ayant ainsi dispersé l'ennemi et lui avoir tué une trentaine d'hommes, la colonne rentra tranquillement à Setif, ayant parcouru environ quarante lieues sans se reposer. Cette première sortie produisit un puissant effet moral sur le pays, et amena de nombreuses soumissions parmi les familles influentes des tribus voisines.

Les postes que nous avions établis à Mila, à Mahalla

(Beni-Guecha) et à Djemila protégeaient les communications entre Constantine et Setif.

Pendant que les troupes se livraient avec ardeur à leurs travaux d'installation dans les ruines de Setif, notre autorité commençait donc à s'établir. Le marché était abondemment approvisionné par les indigènes, venant sans défiance se mettre en contact direct avec nous.

Cependant, le parti qui nous était hostile continuait ses intrigues pour nous susciter des embarras et nous forcer à renoncer à nos projets d'établissement à Setif; plusieurs autres points étaient également inquiétés par les agents d'Abd-el-Kader, qui violait ainsi les clauses de nos précédents traités. Le maréchal Valée se décida å trancher hardiment cette situation, en faisant une démonstration ayant pour but de relier la province d'Alger à celle de Conslantine, et de déterminer ainsi la limite des possessions que nous réservaient les traités. Trois divisions, dont deux se réunirent dans la province de Constantine et la troisième dans celle d'Alger, furent organisées.

La première, sous les ordres du duc d'Orléans, devait se rendre de Constantine à Alger en passant par Setif, les Portes de fer et Hamza.

La deuxième, commandée par le général de Galbois, devait appuyer ce mouvement jusqu'à la limite de la province de Constantine.

La troisième division, commandée par le général Rullière, avait l'ordre de paraître sur l'Oued-Khedara, lorsque la division du duc d'Orléans s'approcherait d'Alger, afin de pouvoir la soutenir en se portant à sa rencontre. Les deux premières divisions, réunies sous le commandement du maréchal Valée, partirent le 18 octobre de Mila

et s'établirent le soir sous la protection du camp de Mahalla. Le lendemain, elles arrivèrent sans accident à Djemila. Le duc d'Orléans parcourut avec un vif intérêt les débris épars sur le sol de la ville puissante que les Romains avaient élevée sur ce point, pour dominer les montagnards belliqueux. En présence de l'arc de triomphe, le prince exprima la pensée de transporter à Paris ce glorieux monument, et de l'élever sur une place publique pour rappeler les exploits de l'armée d'Afrique et son dévouement à l'œuvre immense qui lui était confiée. Cette pensée fut accueillie avec enthousiasme par tous ceux qui entouraient le prince; mais on dut y renoncer plus tard, en présence des difficultés que présentait le transport de

cette masse.

Le 20, la colonne quitta les ruines de Djemila et vint prendre position sur l'Oued-Deheb. Elle séjourna, du 21 jusqu'au 25, sous les murs du fort de Setif; l'incertitude du temps ne permettait pas de se porter en avant et de compromettre le succès de l'expédition par une marche pendant la pluie.

Les deux divisions purent quitter Setif le 25 et allėrent s'établir sur les bords du Bou-Sellam, à peu de dislance d'Aïn-Turc, position dominant les deux routes de Bougie et de Zamora.

Dans la nuit, le khalifa de la Medjana arriva au camp; il annonça que, pendant le séjour que la colonne avait fait à Setif, il avait parcouru toutes les tribus soumises à son administration; que son autorité n'était contestée sur aucun point; mais qu'Amar, agent d'Abd-el-Kader, qui s'était récemment présenté dans cette partie de la province, s'était retiré en apprenant l'arrivée des troupes

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