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Le khalife El-Mansour, ayant reçu des renforts, se disposa à en finir avec l'ennemi. On lui entendait dire : « Tant que je n'aurai pas exterminé l'auteur de la révolte, mon trône sera où je campe et mon empire là où je guerroie. »

Ce fut le dernier dimanche du mois de moharrem, l'an 336 (de J-C. 947-48), qu'il fit une pointe sur le Kiana, et poussa sur les hauteurs des troupes qui cernèrent Abou-Iezid. On se battit toute la journée et les engagements furent très-animés. La nuit venue, El-Mansour fit allumer des feux et prit à son tour l'offensive. Il n'y avait plus moyen de reculer; Abou-lezid sortit de ses retranchements avec ses partisans et tous se ruèrent comme un seul homme sur l'armée du khalife. La mêlée fut atroce; les insurgés, sauf un petit nombre, y trouvèrent la mort. Abou-Iezid reçut deux blessures, l'une au front, l'autre à l'omoplate. Affaibli par la perte de son sang, il glissa des bras de trois hommes qui l'emportaient et tomba dans un précipice. On envoya des soldats à sa recherche en fouillant les ravins. Les premiers qui le prirent, sans savoir qui il était, s'apprêtaient à le tuer; il se fit aussitôt reconnaître, et les gagna en leur abandonnant son sceau, ses habits et tout l'argent qu'il portait sur lui. Mais, à peine sorti de leurs mains, il tomba au milieu d'un autre détachement qui l'amena vivant au quartier général.

El-Mansour, s'adressant au prisonnier, lui dit :

Quel motif t'a poussé à cette guerre impie ?

J'ai voulu une chose, répondit Abou-lezid; mais Dieu ne m'a pas secondé.

Après ce colloque, El-Mansour lui offrit des vêtements

et ordonna qu'on lui prodiguât tous les soins qu'exigeait sa position, tant il était désireux de le mener vivant à Kairouan. Un chambellan fut préposé à sa garde. Malgré toutes ces précautions, il mourut de ses blessures au moment où il parlait au khalife. On prétend que c'est une perte de sang qui occasionna sa mort. El-Mansour le fit écorcher; sa peau fut rembourrée de coton et les jointures si parfaitement cousues, qu'on aurait pu prendre ce spectre pour un homme endormi. Les chairs furent coupées par morceaux et salées, puis envoyées avec les têtes de ses compagnons. Ces horribles trophées furent promenés dans les rues de Kairouan.

La guerre ainsi terminée, El-Mansour rentra à Msila, puis, après avoir réglé les affaires du pays, il prit la route de Kaïrouan.

Vers l'an 998 de notre ère, sous le règne du prince sanhadjite, El-Mansour, arrière petit-fils de Ziri-Ibn-Menad, un nouveau missionnaire ou agent politique des Fatimites, nommé Abou-el-Schem, vint de l'Orient et entra dans le pays des Ketama, où il leva des troupes et se mit à battre monnaie. El-Mansour marcha contre les rebelles, saccagea la ville de Mila, qui s'était déclarée en leur faveur, et détruisit tous les villages ketamiens qui se trouvaient sur son passage. Ayant défait les insurgés devant Setif, il poursuivit Abou-el-Fehem et parvint à l'atteindre dans une montagne où il s'était réfugié. Le prisonnier fut conduit en présence d'El-Mansour, qui le frappa au point de lui laisser à peine un souffle de vie. On lui fendit ensuite le ventre pour en arracher le foie, et des esclaves nègres dépécèrent son corps, en firent rôtir les chairs et dévorérent tout jusqu'aux os.

Malgré ce châtiment sévère, une seconde révolte éclata encore l'année suivante chez les Ketama, dans les montagnes des Beni-Seliman, non loin de Setif. Elle avait été suscitée par un nommé Abou-el-Ferdj, juif, à ce que l'on rapporte, qui se donnait pour un petit-fils d'El-Kaïm, khalife fatimite. Les partisans qu'il trouva parmi les Ketama succombèrent presque tous sur le champ de bataille, et El-Mansour profita de la victoire pour accabler cette tribu de contributions et d'impôts. Abou-el-Feredj fut livré par les siens, et périt dans les tortures (1).

Hammad, frère d'El-Mansour et fondateur de la dynastie hammadite, qui acquit une si grande renommée en Afrique, était le chef de l'une des branches de la grande famille sanhadjienne des Zirides.

En l'an 398 (1007 de J.-C.), pendant qu'il était gouverneur de la ville de Msila, au nom des souverains fatimites, il fit construire, sur le flanc de la montagne du Kiana, par un esclave chrétien nommé Bouniache, une ville fortifiée, que l'on appela la Kalâa des Beni-Hammad. Il transporta dans la Kalaa les habitants de Msila et de Hamza, villes qu'il détruisit de fond en comble, et y fit venir aussi des Djeraoua, peuplade mélangée de juifs et de chrétiens, habitant les montagnes de l'Aurès. Vers la fin du quatrième siècle de l'hégire, Hammad acheva de bâtir et de peupler sa ville, qu'il entoura de murs après y avoir construit plusieurs mosquées, caravansérails et autres édifices publics. La Kalâa atteignit bientôt une haute prospérité; sa population s'accrut rapidement, et les artisans, ainsi que les étudiants, s'y rendirent en foule

(1) Ibn-Khaldoun et En-Noweiri.

des pays les plus éloignés et des extrémités de l'empire. Cette affluence de voyageurs cut pour cause les grandes ressources que la nouvelle capitale offrait à ceux qui cultivaient les sciences, le commerce et les arts.

Le royaume hammadite comprenait la province de Constantine et celle d'Alger, c'est-à-dire à peu près les trois quarts de l'Algérie; il devait s'étendre depuis le méridien de La Calle jusqu'à celui de Tenès (1). Les papes, conservant les anciennes dénominations de l'époque romaine, donnaient aux princes hammadites, avec lesquels ils eurent des relations très-suivies, le titre de roi de la Mauritanie sitifienne (2).

Le khalife fatimite ayant voulu amoindrir la haute position qu'avait atteinte Hammad, celui-ci méconnut son autorité et proclama la souveraineté des khalifes abbacides. Cette défection amena une guerre sanglante et désastreuse pour Hammad, et qui dura encore sous le règne de son fils.

En l'an 453 (1062-3 de J.-C.), En-Nacer, fils d'Alennas, quatrième successeur de Hammad, son aïeul, arrivait au pouvoir. Ce fut sous son gouvernement que la dynastie hammadite atteignit au faite de sa puissance. Ce monarque éleva des bâtiments magnifiques, fonda plusieurs

(1) Carette, Exploration scientifique (Kabilie).

(2) Des pièces en or (de la valeur de dix-huit francs), remontant à cette époque et trouvées dans les ruines de la Kalàa, portent ces mots : Sur une face: Il n'y a d'autre Dieu que Dieu, Mahomet est son prophète; Sur l'autre L'Emir souverain des Beni-Hammad.

En exergue, sont plusieurs mots parmi lesquels nous n'avons pu lire que le nom de

-sanhaka, les Sanbadja dapres Tortho صنهاكة

graphe adoptée. Ces pièces remontent au quatrième ou au cinquième siècle de l'hégire, dixième ou onzième de notre ère.

grandes villes, Bougie entre autres, l'ancienne Salda romaine, qu'il releva de ses ruines, et fit de nombreuses expéditions.

Les princes hammadites comptaient un certain nombre d'anciennes familles chrétiennes parmi leurs sujets. Unc opinion généralement répandue, c'est que les princes musulmans, dans un but de prosélytisme, prescrivaient la conversion immédiate ou l'extermination des peuplades vaincues par l'invasion arabe. Les hommes du Livre (la Bible), les juifs et les chrétiens, ces derniers surtout, pour lesquels les musulmans eurent toujours moins de répulsion, n'eurent qu'à se soumettre à l'impôt. A ces conditions, ils gardèrent leurs biens, leur culte, et leur commerce fut longtemps encore toléré. Ce n'est qu'exceptionnellement, et à la suite de luttes violentes, que la force fut employée pour les contraindre à abandonner leur croyance ou à s'expatrier.

Jusqu'au treizième siècle, plusieurs évêchés, et, entre autres, ceux de Carthage et d'Hippone, subsistèrent encore; le christianisme n'était pas éteint dans plusieurs villes et parmi les tribus berbères.

Les princes hammadites reçurent, à une époque vraisemblablement assez voisine de la fondation de la Kalâa, une colonic nombreuse de chrétiens berbères parmi les tribus qui vinrent peupler leur capitale, et qui continuèrent à l'habiter encore longtemps après la fondation de Bougie, ville dans laquelle les princes hammadites établirent plus tard le siége de leur gouvernement. La bonne entente existant entre ces princes et le saint-siége, donnait une entière sécurité à leurs sujets chrétiens. Il y eut même, pendant longtemps et jusqu'au treizième siècle,

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