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ne surent pas résister aux hordes d'Ibn-R'anïa, et prirent la fuite en abandonnant leur chef entre ses mains. Mendil fut aussitôt mis à mort.

Après cette victoire, Ibn-R'anïa vint enlever Alger, et, pour terrifier les populations, fit exposer sur une croix, aux portes de cette ville, le cadavre de Mendil. De là, il porta ses dévastations vers l'est, saccagea Tedellis (Dellis), et, ayant traversé les montagnes des Zouaoua (le Djerdjera), fondit sur Bougie, dont il se rendit maître. Les plus grands excès signalèrent, comme toujours, le passage des Almoravides.

Cependant, le gouverneur hafside de l'Ifrikïa ayant réuni au plus vite un corps d'armée, marcha contre IbnR'anïa, le délogea de Bougie et le poursuivit jusqu'à Miliana. Obbou voyant alors son ennemi prendre encore la route du sud, ne le poursuivit pas plus loin. Il rentra à Tunis au mois d'août 1227.

Quant à Ibn-R'anïa, il poussa une pointe audacieuse jusqu'à Sidjilmassa, et regagna par le sud les contrées sahariennes de la Tripolitaine. Mais ses dernières défaites lui avaient enlevé tout prestige; réduit, dès lors, au rôle d'obscur chef de brigands, il continua d'errer dans les solitudes du Sahara, détroussant les voyageurs et les caravanes au nom de l'autorité almoravide.

Quelques années plus tard, lorsque le prince AbouZakaria, après avoir renversé son frère Obbou, se fut déclaré indépendant et eut solidement établi dans l'est l'empire Hafside, il s'attacha à combattre Ibn-R'anïa, qui avait encore réuni quelques adhérents parmi les nomades arabes des tribus hilaliennes et soleïmites. Les trou

pes hafsides remportèrent sur l'agitateur plusieurs succès qui achevèrent sa ruine.

Enfin, dans le courant de l'année 1233, Yahïa-IbnR'anïa finit obscurément sa longue et triste carrière. Il ne laissa aucune postérité masculine, et, dit IbnKhaldoun, «Dieu effaça de la terre les traces de sa révolte (1) ». Ses filles furent recueillies par Abou-Zakaria, qui leur assigna une habitation princière dans sa capitale. Elles moururent, dit-on, à un âge très-avancé.

Les autres frères d'Ibn-R'anïa étaient morts ou avaient été dispersés, lorsque les souverains almohâdes étaient rentrés en possession des îles Baléares, c'est-à-dire plusieurs années auparavant.

Ainsi s'éteignit le dernier reste de la dynastie almoravide. La révolte des Ibn-R'anïa est un des événements les plus importants de l'Histoire de l'Afrique septentrionale. Non-seulement, en effet, elle porta une grave atteinte à l'autorité almohâde, en lui suscitant des révoltes sans cesse renouvelées, et en étant la cause déterminante de la séparation hafside; mais encore elle servit à commencer le mélange intime de la race arabe avec celle du pays. C'est en suivant dans leurs courses audacieuses les deux Ibn-R'anïa, qu'un grand nombre d'Hilaliens pénétrèrent dans le Tell et s'établirent au milieu du peuple berbère. C'est encore par la même raison que le kalife El-Mansour transporta trois groupes arabes sur le littoral de l'Océan, qui, sans ce fait, serait peut-être demeuré jusqu'à nos jours pur de tout mélange arabe.

(1) T. II, p. 301.

NOTICE

SUR

LA STATUE DE BACCHUS

Par L.-C. FÉRAUD (1)

Dans les fouilles exécutées à Lambèse, à Philippeville et sur plusieurs autres points de la province, où existent des ruines monumentales, on a déjà trouvé de nombreux spécimens de l'art statuaire antique. Cependant, aucun d'eux ne peut, ce nous semble, être comparé à la belle statue de Bacchus découverte récemment à Constantine.

En poursuivant les travaux de percement de la rue Nationale, qui traverse la ville de l'est à l'ouest, les ouvriers terrassiers ont mis à jour une partie des compartiments des citernes romaines situées à l'angle de SidiAbd-el-Hadi. Attenante à l'un de ces compartiments, se trouvait une chambre, probablement affectée à une salle de bain, laquelle était encombrée de détritus de maçonnerie, de matières carbonisées et de cendres, provenant d'un incendie qui aurait détruit le monument existant jadis. Cette chambre était pavée d'une mosaïque entièrement dégradée par l'action du feu, puis par celle de

(1) Voir la planche.

l'humidité. Les murs latéraux, jusqu'à un mètre audessus du sol, étaient lambrissés avec des plaques de couleurs différentes. Au-dessus de ce placage, une série de niches pratiquées dans les murs avaient contenu des statuettes en marbre, dont les tronçons ont été retrouvés renversés par terre. C'étaient, autant que nous avons pu en juger par les débris, des images d'hommes, de femmes et d'enfants, d'une exécution assez soignée. Mais l'œuvre d'art capitale, gisant au milieu de cet amas de décombres, est celle que reproduit notre gravure; elle était couchée à terre, la face contre le sol, au pied de la niche qui avait dû la contenir. Les cassures qui l'ont divisée en plusieurs fragments proviennent évidemment du choc d'une chute violente, causée, par exemple, par l'écroulement des murs, mais non par suite de mutilation systématique, comme on l'a constaté sur la plupart des statues découvertes en Algérie jusqu'à ce jour. Ainsi, la tête adhère encore au tronc, et si le nez a disparu, c'est qu'il s'est écrasé, en tombant, sous le poids du reste du corps.

Cette belle statue, qui a toute la finesse d'exécution de l'art grec, est en marbre blanc et de grandeur naturelle, c'est-à-dire celle d'un homme de taille ordinaire. Le galbe de l'ensemble est gracieux et bien proportionné. Le sujet est debout, le bras gauche accoudé sur un tronc d'arbre qu'entoure un cep de vigne, duquel pendent des grappes de raisin. La main gauche, portée en avant, tient un vase ou coupe à deux anses. Le bras droit, allongé, s'appuie sur un thyrse enrubanné. Aux pieds, contre le tronc d'arbre, est un petit animal ayant l'aspect d'un jeune léopard.

L'ensemble de la tête imite beaucoup plus la physionomie de la femme que celle d'un jeune homme imberbe, sous laquelle on représente ordinairement le dieu Bacchus. Les traits de la figure sont, en effet, d'une douceur extrême; d'une abondante chevelure ondulée, sur laquelle on aperçoit quelques traces de peinture rouge brique, s'échappent deux tresses qui tombent en avant des épaules. Cette chevelure se termine en arrière par un chignon proéminent comme celui de la coiffure des femmes; enfin, la tête est couronnée de pampres et de raisins.

Ainsi donc, la tête, les épaules, la chute des reins et les cuisses ont les contours potelés, moelleux et arrondis du corps de la femme, tandis que le reste, comme le haut de la poitrine, le torse, en un mot, et le bas des jambes, conservent les formes et les proportions indices de la virilité.

Quelques personnes ont supposé que cette statue représentait l'hermaphrodite. C'est une erreur, à notre avis, et il ne faut y voir que l'image d'un Bacchus aux traits excessivement efféminés.

Après que cette œuvre remarquable a été transportée et mise en sûreté dans la salle du musée de la ville, un ouvrier marbrier a été chargé de la remettre d'aplomb en cimentant la cassure qui séparait les jambes du tronc. Par suite de cette tendance naturelle de vouloir trop bien restaurer le sujet confié à ses soins, l'ouvrier a ajouté, d'inspiration, quelques fragments brisés et disparus; ainsi, il a refait en plâtre le nez, les anses de la coupe; le milieu du bras droit, dont la cassure laissait une lacune, l'index de la main droite, une partie de la

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