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mais de soutenir le parti faible quand le plus puissant grandirait trop et deviendrait ainsi dangereux.

Le détachement turc campa à Aïn-Medjana, et, pendant plusieurs mois, maintint, par sa présence, le calme dans le pays en suivant la ligne politique qui lui avait été tracée.

Ainsi que le lui avait recommandé le bey, le chef du détachement vécut quelque temps en bonne intelligence avec les uns et les autres, sans épouser la querelle d'aucun. Mais les haines étaient comprimées plutôt qu'éteintes. Soit. qu'elle fût préméditée de longue main, soit qu'elle eût été inspirée subitement par les circonstances, le fonctionnaire turc, d'un esprit fertile en machinations diaboliques, proposa à Ahmed-ben-el-Guendouz de l'aider

à se défaire de ses rivaux.

« Écris au bey, lui dit-il; déclare que tes adversaires intriguent dans le pays, pour provoquer le massacre du détachement turc; qu'il est urgent de prévenir cette nouvelle catastrophe, en se débarrassant immédiatement des Oulad-el-Hadj et des Abd-es-Selam. Le bey me demandera des explications, je confirmerai tes appréhensions, et ce que tu désires ne tardera pas à s'accomplir. »

Cette machination rapporta cinq mille francs en cadeau à celui qui l'avait suggérée. Un serviteur dévoué se mit en route immédiatement, portant à Constantine cette dénonciation.

A cette époque, les Oulad-el-Hadj avaient leurs douars composés de quatre-vingts tentes, très-près les unes des autres, à Hadjer-ben-Djafer, dans la Medjana. Ceux des Oulad-Guendouz, comportant cent quatre-vingt-douze tentes, étaient à une centaine de mètres plus loin dans la plaine.

Les menées et les relations intimes du khalifa turc avec El-Guendouz n'étaient pas si secrètes, qu'elles ne vinssent à la connaissance des Oulad-el-Hadj. Quelques jours après le départ de l'émissaire pour Constantine, Abd-es-Selam alla visiter le khalifa, et, après lui avoir offert quelques petits cadeaux, engagea avec lui une conversation intime. Soit par sympathie pour Abd-es-Selam, soit par calcul intéressé, ce qui me semble plus probable, le khalifa turc avoua naïvement la démarche que venait de faire Ben-el-Guendouz auprès du bey, son maître.

Malgré mon désir de vivre en bonne intelligence avec vous tous, ajouta-t-il, je serai forcé d'attaquer les Oulad-el-Hadj si le bey me l'ordonne.

- Quand attendez-vous la réponse du bey, dit Abd-elSelam, pâle de terreur, et qui voyait toute l'étendue du malheur qui menaçait lui et les siens?

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(- Puisqu'il n'y a pas de temps à perdre, je vous amènerai ce soir Ben-Abd-Allah; vous vous entendrez avec lui pour tâcher de nous sauver; comptez sur notre générosité. Il faut faire tourner à notre profil << la trame ourdie par notre compétiteur. »

A la nuit, en effet, Abd-el-Selam et Abd-Allah pénétraient secrètement dans la tente du khalifa, après avoir pris les plus grandes précautions pour ne pas être vus, et chacun d'eux déposait à ses pieds une musette remplic de douros d'Espagne. Ils ne furent pas longs à s'entendre, et le résultat de l'entrevue fut que le lendemain, au point du jour, les Oulad-el-Hadj et les Abd-el-Selam attaqueraient inopinément les Oulad-Guendouz. Au bruit de la fusillade le détachement turc devait accourir, se

joindre aux Oulad-el-Hadj et les aider à assommer leurs rivaux. Le khalifa écrirait ensuite au bey qu'il s'était vu dans la nécessité de protéger le faible contre le fort, ainsi qu'il le lui avait recommandé.

Pendant que le nouveau complot se tramait sous la tente du khalifa, plusieurs cavaliers dévoués, allant s'embusquer sur tous les sentiers qui débouchent dans la Medjana, arrêtaient et faisaient disparaître l'émissaire de Ben-el-Guendouz revenant de Constantine. La réponse du bey, si heureusement interceptée, ne laissait aucun doute sur ses intentions: ordre était donné au khalifa et à Ben-el-Guendouz, sans autre formalité préalable, de tuer tous les Oulad-el-Hadj et les Abd-el-Selam en état de porter les armes.

Abd-el-Selam et Ben-Abd-Allah n'hésitèrent plus après la lecture de cette lettre. Pour eux, l'homme énergique était celui qui savait tuer à propos. Ils devaient aussi se méfier du khalifa, homme d'une cupidité éprouvée, divulguant ses secrets au plus offrant, et dont les bonnes intentions à leur égard pouvaient, par conséquent, chan ger d'une minute à l'autre.

La zmala des Ben-el-Guendouz, surprise au point du jour sans nulle défense et pendant que tout le monde y dormait encore, fut raziée complétement, et ceux connus par leur vigueur assommés sans défense. Ahmed-ben-elGuendouz et ses frères étaient tués des premiers: c'était sur eux surtout que la vengeance devait s'exercer.

Quand le détachement turc, accourant au bruit de la poudre, arriva sur les lieux, l'affaire était déjà terminée. Ainsi qu'il l'avait promis, le khalifa fit connaître au bey que Ben-el-Guendouz, abusant de sa force, avait attaqué

injustement ses rivaux et avait payé de sa vie la faute qu'il avait commise.

Des faits de cette nature n'ont rien qui doive nous surprendre. Dans le courant de cette même année 1808, trois beys, Ali-ben-loussef, Ahmed-Chaouch et AhmedToubbal, les deux premiers massacrés par la milice turque, se succédèrent dans le gouvernement de la province de Constantine. Le pacha d'Alger, Ahmed, fut assassiné lui aussi, le 7 novembre de la même année. Les discordes de famille s'ajoutaient donc aux discordes gouvernementales.

Au milieu de toutes ces commotions, Ben-Abd-Allahel-Mokrani fut investi par le bey qui succéda à celui qui l'avait condamné à périr, et se maintint au pouvoir pendant quatre ans environ. Au bout de ce temps, les Turcs furent obligés de faire une expédition dans la Medjana ; nous ne connaissons pas les causes qui la provoquèrent; tout ce que nous savons c'est que les Oulad-el-Hadj et les Abd-el-Selam, en révolte, campés sur les hauteurs, résistèrent contre la colonne turque au milieu de laquelle se trouvaient les Oulad-bou-Rennan.

Les Oulad-el-Hadj ayant rassemblé les Beni-ladel, firent sur le camp turc une terrible attaque de nuit dans laquelle beaucoup de gens périrent de part et d'autre.

Pendant que ces événements se passaient dans la Medjana, on apprit que Toubbal, bey de Constantine, avait été étranglé par ordre du pacha, et que son successeur Nâman était en route pour Constantine.

El-Hadj-Abd-el-Selam se hâta d'aller complimenter le nouveau dignitaire de la province et de lui exposer la situation de son pays, mis en état de révolte, disait-il, par la

politique partiale de son prédécesseur le bey Toubbal. En appuyant les prétentions de la branche des Oulad-el-Hadj, il fit entrevoir au bey que leurs intérêts étaient communs, et que leur succès pouvait assurer la réalisation. de ses propres ambitions.

Nâman-Bey, cédant à ses instances, confirma le titre de Ben-Abd-Allah; en même temps, il prescrivait à son khalifa commandant la colonne turque opérant dans la Medjana, de cesser toute hostilité, de dissoudre son corps expéditionnaire et de prêter main-forte à ses protégés. Par suite de cette intrigue, les rôles étaient donc intervertis: les amis devenaient des ennemis et vice versa. Les Bou-Rennan et les Ben-Guendouz désappointés, prévoyant de tristes représailles et ne pouvant résister à l'orage qui se formait, cédèrent prudemment aux circonstances et se retirèrent du côté de Msila, puis aux Oulad-Khelouf, où ils s'établirent définitivement, attendant le moment favorable pour reprendre la lutte.

Le maintien au pouvoir des Oulad-el-Hadj excitait cependant leur convoitise, car ils s'étaient flattés un instant d'avoir pour eux l'investiture. Ils n'étaient pas disposés, du reste, à permettre qu'on les frustrât longtemps de ce qu'ils appelaient leurs droits, ce qui, disaient-ils, leur aurait fait perdre tout prestige aux yeux de leurs partisans.

Pour ne pas donner l'éveil de la vengeance qu'ils méditaient, ils s'abstinrent de toute démonstration hostile, mais s'assurèrent secrètement du concours de la majeure partie des Hachem, en ralliant tous les mécontents et leur prodiguant des promesses pour les attacher à leur

cause.

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