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rousse) peut avoir envers toi, pour t'autoriser à m'écrire d'une manière aussi injurieuse sur son compte?

Tu as bien mal jugé de mes sentiments, si tu me crois capable de le trahir et d'oublier les bienfaits que j'ai reçus de lui. Ce n'est que depuis que j'ai le bonheur d'être attaché à son service, que je tiens un rang distingué dans ce monde, et que j'y jouis des honneurs ainsi que des prérogatives attachées à une place éminente. Je me vois vêtu des draps les plus fins et des étoffes les plus riches; je porte des armes enrichies de pierres précieuses; je monte des chevaux superbement harnachés; ma table est somptueusement servie; ma maison est remplie d'un grand nombre d'esclaves chrétiens de l'un et de l'autre sexe, qui s'empressent de prévenir mes désirs; un sort si heureux, je ne le considérais, pour ainsi dire, que comme on a le sentiment d'un songe, avant que je connusse le brave et généreux Kheïr-ed-Din.

› Renonce à l'espérance que tu as conçue de trouver en, moi un traître et de me rendre perfide; je ne puis ni adopter, ni favoriser tes projets contre lui, et, s'il plaît à Dieu, je n'aurai jamais à me repentir de mon sincère attachement à ses intérêts.

» Mon père, à qui Dieu fasse miséricorde, était un homme de bien, inspiré du ciel, et pratiquant la vertu et les bonnes œuvres; je me rappelle les dernières paroles qu'il prononça en quittant ce monde passager : « Mon fils, me dit-il, il doit paraître, dans cette contrée, un homme étranger, qui aura une lentille sur le visage, et dont le nom se compose de trois lettres (1). Il se rendra

(1) Le mot Kheir est le commencement du nom de Kheïr-ed-Din et se compose de trois lettres en arabe.

maître de Djézaïr (Alger) et des pays voisins; partout où il portera ses pas, la victoire sera avec lui. » « Eh bien! cette prophétie s'est déjà vérifiée en grande partie. Mais toi, ô sultan de Tunis, si tu veux conserver l'héritage de tes pères, empresse-toi d'incliner la tête devant Kheir-ed-Din et de favoriser de tout ton pouvoir la haute destinée qui l'attend. Si tu ne prends pas ce parti, dicté par la prudence, sois sûr que tu seras la victime de ta témérité. Les moyens que tu peux avoir pour lui nuire sont bien faibles, et ce n'est pas toi qui sauras te mesurer avec un héros tel que lui. »

Cette lettre est un exemple frappant de la versatilité des indigènes; c'est pour cela que nous l'avons reproduite en entier. Ben-el-Kadi, dont le langage était si fier et si énergique lors des premières démarches du sultan de Tunis, céda bientôt à de nouvelles suggestions. Dès lors, les troupes du sultan pénétrèrent en Algérie, afin de donner la main à Ben-el-Kadi contre les Turcs. Dans une première rencontre qui eut lieu sur le territoire des Flissa, les Tunisiens furent battus, « lorsque Ben-elKadi, dont la trahison ne s'était pas prononcée jusque-là, fit attaquer les Osmanlis dans un défilé des plus difficiles. Du haut de leurs rochers, les montagnards tombèrent sur les flancs de l'arrière-garde des Turcs, qui avaient les Tunisiens devant eux. La déroute fut complète, et pas un seul janissaire n'échappa au massacre (1519) (1). »

Ben-el-Kadi, après avoir ravagé tout le pays, alla assiéger Alger. Mais comme ce n'est pas l'historique de sa famille que nous faisons ici, nous nous bornerons à dire,

(1) Razaouat de Sander-Rang.

pour l'intelligence de ce qui va suivre, que cette famille. resta tantôt indépendante et en relations amicales avec les Espagnols de Bougie, tantôt alliée et tributaire des Turcs (1).

Nous avons déjà vu Abd-el-Aziz, l'ancêtre des Mokrani, consacrant les premières années de son règne à fortifier la Kalâa et à étendre son influence dans le Sud. Il nous reste maintenant à le suivre dans ses actes et à assister aux guerres qu'il soutint contre les Turcs. La chronique prétend que son infanterie régulière, composée de soldats de fortune, ne tarda pas à s'élever à dix mille hommes, et que sa cavalerie, également très-nombreuse, divisée en deux corps, stationnait à Tala-Mezida et à Tazla. Sur ces deux points, où existaient de belles fontaines, il fit exécuter d'immenses travaux de terrassement et construire deux bordjs pour loger chevaux et cavaliers. Chacun de ces postes militaires était commandé par un khalifa ayant pour mission de faire de fréquentes tournées, afin de surveiller le pays.

Les Turcs, jaloux de la puissance toujours croissante du petit sultan de la Kalàa des Beni-Abbas et des relations qu'il avait eues avec les Espagnols, l'invitèrent à reconnaître leur suprématie d'une manière plus efficace qu'il ne l'avait fait jusqu'alors. Abd-el-Aziz, confiant dans sa force et l'inaccessibilité de ses montagnes, s'y refusa, et battit le corps de troupes envoyé contre lui. Dans une seconde rencontre, ce corps fut de nouveau repoussé, ce qui décida le pacha à traiter avec ce redoutable voisin.

(1) L'un des descendants de cette famille est Ben-el-Kadi, notre kaïd actuel de Batna.

C'est probablernent à la suite de ce traité qu'Hassan, fils de Kheir-ed-Din-Barberousse, obtint le concours des troupes de la Kalâa pour aller combattre un cherif marocain, qui s'était emparé de Tlemsen. Les Mokrani prétendent que c'est, au contraire, Abd-el-Aziz qui se fit aider par les Turcs pour reconquérir les états que ses aïeux, les souverains idrissites, possédaient jadis dans l'Ouest. Cette version est inadmissible et par trop prétentieuse; nous n'avons pas besoin d'insister pour le démontrer. Dans son chapitre sur les Beni-Abbas, qu'il nomme La-Abbès, Marmol raconte ainsi les événements:

L'an mil cinq cent cinquante, ils (les Beni-Abbas) avaient pour chef Abdelasis ou autrement La-Abbès, qui fut l'un des plus braves guerriers de l'Afrique. Comme il avait le seigneur de Cuco (Ben-el-Kadi), pour ennemi par une ancienne haine qui est entre ces peuples, et, sachant que Cuco n'était pas aimé des Turcs à cause de la mort de Selim (cheikh d'Alger), il contracta amitié avec Hassan-Pacha, fils de Kheïr-ed-Din, alors gouverneur d'Alger; de sorte que les Turcs exécutèrent de grandes choses avec lui, et particulièrement en la bataille où fut tué le fils du cherif qui s'était emparé de Tlemsen; car Abdelasis et ses troupes, au nombre de six mille hommes, était avec le camp des Turcs que commandait le renégat corse Hassan, qui refusa de donner la bataille au cherif. Mais Abdelasis, en colère de cette lâcheté, lui dit : « Seigneur Hassan, est-ce ainsi que vous payez le bon traitement que vous fait le prince, sous ombre que vous n'êtes pas à vous promener dans Alger avec du brocard d'or? »

Et voyant qu'il ne le pouvait émouvoir, il anima ses

gens, et, enfonçant ceux du cherif, les défit, tua de sa main son fils, et, lui coupant la tête, l'emporta dans Alger, où elle est enterrée sous une voûte à l'une des portes appelée Bab-Azoun, ce qui rendit les Turcs maîtres de Tlemsen, comme ils le sont encore aujourd'hui. La jalousie de cette victoire fit pourtant naître de grandes inimitiés entre Hassan-Pacha et Abdelasis. Sur ces entrefaites, Hassan-Pacha alla en Turquie et Salah-Raïs vint à sa place, lequel reconnaissant la valeur d'Abdelasis confirma l'alliance avec lui. Ils furent ensemble contre Tougourt et Ouargla, villes de Numidie qui s'étaient révoltées. Salah-Raïs avait en son camp trois mille mousquetaires à pied renégats ou turcs, et mille à cheval, avec huit mille Arabes. La-Abbès avait cent quatre-vingts mousquetaires à pied et seize cents chevaux. Ils menaient, outre cela, trois pièces de batterie avec beaucoup de vivres et de munitions sur des chameaux; mais l'artillerie était traînée par des Berbères, parce que c'est un pays plat. Comme ils furent venus à la ville de Tougourt, et qu'ils virent qu'elle ne se voulait pas rendre, ils la battirent, et, l'ayant emportée d'assaut, la saccagèrent et tuèrent tout ce qui y était. Ouargla se rendit, et les Turcs laissant garnison dans les forteresses de ces deux places, qui sont faibles et anciennes, retournèrent à Alger chargés de dépouilles.

<< Salab-Raïs emmena quinze chameaux chargés d'or et plus de cinq mille esclaves nègres de l'un et de l'autre sexe.

« Ces deux places (Tougourt et Ouargla) s'étaient mises sous la protection des Turcs pour être défendues des Arabes, et leur faisaient quelque reconnaissance tous les

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