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de la journée. La terre était couverte partout par une couche de plus de deux pieds de neige, les guides euxmêmes ne savaient plus retrouver leur chemin sur cette surface d'une blancheur uniforme. Il fallut passer la nuit dans la tribu, les hommes d'infanterie dans les divers douars des Rir'a. La cavalerie et l'artillerie ne purent pas profiter de ces abris; toute la nuit, les hommes de ces deux armes ne cessèrent de marcher en cercle, afin de ne pas être saisis par le froid, et aussi pour empêcher que chevaux et mulets ne s'abattissent vaincus par la même cause. La nuit fut extrêmement dure pour tous.

Le 4 au matin, dès que le jour permit de se diriger avec certitude sur cet immense plateau, la colonne se mit en marche pour Setif, où elle arriva vers quatre heures du soir. La neige avait cessé de tomber, mais le vent n'avait pas diminué d'intensité. Un grand nombre d'hommes n'avaient pu résister à la violence du froid; deux cents environ furent victimes de la tourmente.

La population civile de Setif manifesta une vive sympathie aux troupes. A la première nouvelle de leur arrivée, tous ceux des habitants qui possédaient des voitures ou des chevaux, allèrent spontanément offrir leurs services au colonel Dumontet, commandant à Setif, et se portèrent au-devant de la colonne. Pendant trois jours, ils ne cessèrent de faire des voyage jusques dans la plaine de Ksar-Tir, à la smala du kaïd des Rir'a, chez lequel avait été établi une ambulance pour donner les premiers soins aux hommes éprouvés par la tourmente. Deux cent huit cadavres échelonnaient la route suivie par les troupes, et près de cinq cents hommes entrèrent à l'hôpital à leur arrivée à Setif, presque tous sérieuse

ment atteints par la congélation. Ce désastre, unique jusqu'alors dans les annales de la guerre d'Afrique, fut le résultat d'une fatalité inévitable et qu'il n'était donné à personne de prévoir. Il termina, d'une manière bien douloureuse, une campagne commencée sous l'empire d'une nécessitée urgente.

Cependant cette calamité avait été connue dans les tribus, et la nouvelle en avait été propagée et considérablement grossie par l'exagération habituelle aux indigènes. Le colonel Dumontet, après avoir donné quelque repos aux troupes, partit de Setif avec tout ce qu'il put réunir des débris de la colonne du Bou-Taleb, et se porta vers Msila, où intriguaient encore les lieutenants d'Abd-el-Kader. Cette course avait surtout pour but de montrer aux tribus que toutes nos troupes n'avaient pas péri dans la tourmente, ainsi que le bruit en avait été répandu.

Abd-el-Kader venait de reprendre ses courses dans les provinces d'Oran et d'Alger. Cet événement eut pour résultat immédiat de ranimer les espérances des nombreux cherifs qui avaient établi le foyer de leurs intrigues. sur tout le périmètre de la subdivision de Setif. Si Saâd, reprenant courage, était parti des montagnes du BouTaleb et menaçait de nouveau le pays. Ben-Abd-es-Selam et Amar-ben-Abid, qui l'avaient rejoint, étaient parvenus à attirer auprès d'eux le cherif Si-Moussa qui n'avait pas quitté les montagnes des Beni-lala. Un rassemblement nombreux s'était formé autour d'eux sur la rivière de Zamora. Pour réchauffer l'ardeur de ses partisans, SiMoussa effectua une razia dans l'Oued-Sebt, sur la småla de Saïd-ben-Abid, notre kaïd du Sahel, qui parvint à grand'peine à s'échapper et à se réfugier à Setif. Cet évé

nement, duquel Si-Moussa attendait les plus heureux effets, eut, au contraire, pour lui d'assez tristes résultats. En effet, le kaïd Saïd-ben-Abid comptait, chez les Benilala et les Beni-Ourtilan, beaucoup de partisans qui, à la suite de cette razia, se séparèrent entièrement du cherif.

Dans la région du Babor, se trouvait le cherif MouleyMohammed, l'un des plus énergiques compagnons de BouMaza, dans le Dahara. Celui-ci, pendant une première slation faite dans la tribu des R'eboula, avait fait dépouiller une caravane que Bou-Akkaz, cheikh du Ferdjioua, attendait de son gendre, Ben-Ali-Cherif, marabout de Chellata. Pour user de représailles, Bou-Akkaz fit enlever les biens de tous les gens des R'eboula, qui faisaient le commerce sur son territoire, et proposa en même temps à la tribu de restituer tout ce qu'il avait pris, à condition qu'elle chasserait le cherif et lui rapporterait le butin pris sur la caravane. Mouley-Mohammed ne put pas empêcher la tribu de délibérer sur les propositions de BouAkkaz. Justement inquiet, il s'éloigna d'elle et vint se réfugier sur les pentes du Babor chez les Oulad-Salah. Il nourrissait une haine excessive contre Bou-Akkaz, qui avait porté un si grand préjudice à sa fortune naissante. Grâce à ses prédications malsaines, il rassembla autour de lui un nombre assez considérable de gens sans aveu, pour aller de vive force piller les magasins de son ennemi, situés sur la montagne de Djebsa, chez les Beni-Quarzeddin. Celui-ci, informé de ses projets, sollicita le concours de la garnison de Setif, afin de retenir chez eux les Kabiles de l'Ouest, qui auraient pu prêter main-forte au cherif. Une colonne de mille deux cents hommes, sous

les ordres du colonel Chasseloup, alla camper à une journée au nord de Setif, et aussitôt Bou-Akkaz, profitant de l'effet produit par ce simulacre de diversion, attaqua Mouley-Mohammed, lui enleva cent fusils, lui prit son drapeau, lui tua une trentaine d'hommes et dispersa le rassemblement.

Mouley-Mohammed, retiré chez les Beni-Drassen du Babor, reparut quelque temps après et attaqua une petite tribu soumise, au nord de Setif. On fit partir aussitôt une colonne destinée à prendre position à Medjaz-Aïn Noug, et à donner appui aux goums de Mansour-benAbid et du cheikh Bou-Akkaz, qui, à la première nouvelle de ces nouveaux désordres, s'étaient portés chez les Dehemcha. La présence des troupes sur la lisière du Sahel, ramena la confiance dans le pays. Les Khalfalla, qui avaient accompagné le cherif dans son excursion, eurent un de leurs villages brûlé.

Le cherif Si-Moussa, abandonné de ses partisans, el, dès lors, trop faible pour agir seul, appela à son aide Mouley-Mohammed. Tous deux, réunis, convoquèrent de nouveau les Kabiles à la guerre sainte, leur assurant qu'en moins de quinze jours, ils seraient maîtres de Setif. Ils allèrent s'établir près d'Aïn-Turk, où ils restèrent les quinze jours dans l'inaction. La division se mit entre eux pour les motifs les plus futiles, et ils se séparèrent. SiMoussa rentra chez les Beni-lala, et Mouley-Mohammed alla passer l'hiver chez les Oulad-Aïad.

Pendant que ces événements se passaient, en quelque sorte, aux portes de Setif, Ben-Abd-es-Selam interceptait les communications entre cette ville et Bordj-bou-Areridj Il allait, avec ses cavaliers, jusque sous les murs de

ce poste et enlevait le troupeau de la garnison, qui, malgré sa faiblesse numérique, ne craignit pas de sortir, mais ne put parvenir à le reprendre. Dans ces circonstances graves, on dut songer à concentrer des forces dans la subdivision de Setif, déjà affaiblie par le départ de trois bataillons et de deux escadrons, qui étaient passés dans la province d'Alger, sous les ordres du général d'Arbonville, pour arrêter le nouveau mouvement envahissant d'A-el-Kader.

Le colonel Dumontet, qui avait obtenu déjà de nom breuses soumissions dans le Hodna, se rapprocha de la Medjana. Il était ainsi en mesure de surveiller les projets de l'émir, et, en même temps, de se porter rapidement vers les plateaux de Setif, où sa présence était indispensable. D'un autre côté, le colonel Regean partit de Constantine, avec deux bataillons et deux escadrons, pour venir prendre le commandement de Setif. Le colonel Buttafoco installait un camp à Aïn-Azel; sa présence, sur ce point voisin du Bou-Taleb, devait avoir pour résultat d'impressionner les populations de cette montagne, chez lesquelles les premières démarches de soumission avaient été arrêtées par l'idée exagérée qu'elles avaient conçue de nos pertes, pendant la tempête de neige des 3 et 4 janvier. La marche de l'émir pour le Dira, et son dessein, bien démontré, de borner ses tentatives à la province d'Alger, permirent d'envoyer cette colonne à Sidi-Embarek, dans le but de rassurer les populations, qui commençaient à éprouver de sérieuses inquiétudes, et afin aussi d'assurer le passage des convois de ravitaillement destinés à la colonne Dumontet, qui observait la Medjana.

Le cherif Mouley-Mohammed, profitaut de ce déplace

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