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remis à l'ambassadeur, qui peut-être emporta cette seule pièce à Venise, en laissant au consulat de Tunis le traité réel et détaillé.

Nous ne connaissons pas les accords que la république de Venise dut conclure dans l'ouest du Magreb avec les rois de Tlemcen et de Maroc. Les conditions devaient en être à peu près les mêmes que celles des traités de Tunis. Jusqu'au seizième siècle, le commerce vénitien fréquenta toute la côte de Barbarie avec la même régularité et la même sécurité. La plupart de ses grandes familles y avaient des comptoirs et des agents. On cite notamment les Zuliani ou Giuliani, les Brioni, les Soranzo et les Contarini comme s'étant enrichis par leurs factoreries de Tanger, de Tunis et de Barca.

Observations générales sur la rédaction et la traduction officielle des
traités conclus entre les chrétiens et les rois du Magreb.

Le traité de Venise avec le roi de Tunis de l'an 1456, celui de la république de Gênes arrêté en 1465, et celui de la république de Florence conclu en 1445 avec les souverains du même État, sont les derniers traités ou diplômes commerciaux que nous ayons du temps des dynasties arabes et berbères qui ont régné sur l'Afrique sepentrionale jusqu'à la conquête des Turcs. Les traités catalans connus remontent au quatorzième siècle.

Nous retrouvons dans tous ces documents les mêmes principes qui, en 1231, sous Abou-Zakaria Yahya Ier, et dès le siècle antérieur, avaient assuré au commerce européen dans le Magreb des facilités et des garanties au moins égales et souvent supérieures à celles du commerce des nations chrétiennes entre elles.

AFRIQUE SEPTENTRIONALE.

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Nous avons donné à l'exposé de ces principes toute l'étendue nécessaire, à l'époque même où les relations des chrétiens et des Arabes, qu'ils devaient protéger, entraient dans leur plein développement. Maintenant, parvenu à une époque où les documents nous manquent, sans que les communications qu'ils réglementaient aient cessé, nous voulons examiner les traités dont nous nous sommes historiquement occupé comme documents paléographiques et en dehors des questions de droit et de doctrine qui s'y rattachent. Ce nouvel exposé, quoique plus particulièrement destiné à rappeler des faits et des usages de pure archéologie diplomatique, touche aussi à l'histoire des rapports des chrétiens et des Arabes (1).

Les textes chrétiens donnent l'interprétation et non la version de ce texte. Leur sincérité et leur anthenticité.

Nous cherchons s'il est quelque objection non résolue par les observations précédentes, soit dans l'appréciation particulière du traité de 1353, soit dans la critique faite de ce que l'on a appelé d'une manière générale l'irrégularité, l'imperfection et l'infidélité de la traduetion européenne des autres traités arabes. Nous n'en trouvons pas.

(1) Nous croyons ne devoir donner ici que la fin et le résumé de la discussion à laquelle nous avons dû nous livrer pour répondre aux objections élevées par le savant éditeur du Recueil des diplômes arabes des Archives de Florence contre les rédactions chrétiennes des traités conclus avec les Arabes.

Les personnes que ces questions pourraient intéresser trouveront cette discussion dans l'introduction même de nos traités, p. 270-307, et dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, 6e série, t. III, p. 425-454 (1867).

Nous remarquons, au contraire, que les arguments produits contre le sens et la valeur intrinsèque de ces rédactions, pris en groupes, se détruisent l'un par l'autre. Plus on démontrera que les rédactions chrétiennes s'écartent par la forme des rédactions arabes, plus on établira la sincérité et la loyauté des traducteurs. L'interprète infidèle, acheté par l'or des musulmans ou des chrétiens, qui aurait voulu glisser quelque clause favorable à ses séducteurs, en supposant qu'il crût possible qu'un texte altéré pût réellement être utilisé dans l'application, aurait vraisemblablement cherché à cacher sa supercherie par une grande fidélité sur les autres parties de sa rédaction. Mais comme tout diffère dans toutes les pièces, l'ensemble et les détails, les préambules et chacune des stipulations du dispositif; comme tout est exprimé dans le texte européen d'une manière différente du texte arabe, sans que la substance même de la convention soit cependant altérée en rien de capital, il faut bien reconnaître que les textes chrétiens ne paraissent imparfaits que si on veut les prendre pour des versions littérales de l'instrument arabe, dont ils ne sont qu'une interprétation; et il faut admettre, en réhabilitant complètement la bonne foi, si ce n'est l'habileté des interprètes, que tout ce qui nous paraît dans les rédactions chrétiennes ajouté ou supprimé par la ruse ou l'impéritie n'est que déplacé, transposé, ou emprunté ouvertement et légitimement soit à d'autres parties du traité, soit à l'usage public et notoire, qui suppléait à toutes les particularités non exprimées dans les actes écrits.

Sans quoi il faudrait accuser les ambassadeurs eux

mêmes d'ineptie ou de perfidie, et l'on serait contraint d'en arriver à dire que les gouvernements européens ont été dupes d'étranges et continuelles mystifications, en donnant, et cela pendant trois ou quatre cents ans consécutifs, des soins puérils à la conservation et à la transcription d'actes falsifiés et dérisoires. De pareilles suppositions sont superflues et tombent dans l'absurde. La nature et la durée des rapports qui ont existé entre les Européens et les Arabes maugrebins, depuis la fin des grandes invasions jusqu'à l'établissement de la domination turque en Afrique, disent assez qu'ils reposaient sur des actes sérieux et dignes de confiance, quelque mal rédigés qu'ils fussent.

Nous nous croyons donc autorisé à ne pas partager sur ce point l'opinion exprimée, comme appréciation définitive des textes chrétiens qui nous occupent, dans la préface du Recueil des diplômes arabes des Archives de Florence. Ces documents, d'après M. Amari, ne pourraient offrir à l'histoire de sûres et exactes données qu'après avoir été revus, rectifiés, complétés par un orientaliste connaissant la langue arabe. Nous croyons la prétention excessive et mal fondée.

Bien que les agents chrétiens coopérant à la confection de l'instrument européen prissent quelquefois une partie des éléments de leur rédaction en dehors du texte arabe et dans le fonds commun des usages établis et des conventions oralement débattues en leur présence; bien que l'acte, en partie original, qu'ils formaient ainsi puisse renfermer des particularités de rédaction utiles à éclairer ou à compléter la rédaction arabe, ce qui a été constaté, il est certain que, dans la plupart des

cas (1), la charte chrétienne est postérieure à la rédaction arabe; elle n'en est que l'interprétation, abrégée ordinairement dans l'énonciation des clauses contractuelles, mais accrue dans les préambules, et surtout dans les validations, de circonstances et de notions nouvelles quelquefois très importantes.

Aussi, pour le cas où il fallût faire un choix entre l'un et l'autre instrument comme source d'informations utiles à l'histoire des peuples et des institutions de l'Europe chrétienne, nous croyons qu'il y aurait avantage à préférer le document latin, dont le dispositif même, quoique généralement plus concis que le dispositif musulman, n'omet rien d'essentiel.

Tels qu'ils sont, en effet, sans le secours de la précieuse lumière qu'y jette la comparaison du texte arabe, quand on a la bonne occasion de le posséder et l'inappréciable avantage de le comprendre, les textes chrétiens de ces traités sont généralement intelligibles, complets, et se suffisent parfaitement en eux-mêmes. Sans autre assistance, on peut connaître toutes les conditions de protection et de liberté offertes par les rois maugrébins aux nations chrétiennes pour leur séjour et leur commerce en Afrique pendant tout le moyen âge. C'est qu'en effet chacun des deux instruments du traité avait en soi une valeur propre et distincte. Une fois les points essentiels de la négociation débattus et arrêtés entre les plénipotentiaires, chaque nation en

(1) Excepté à Tunis, à la mort de saint Louis, où la première base du traité fut écrite en français; excepté encore quelques négociations suivies en Aragon et terminées par un acte primitif rédigé en catalan.

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