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les hommes pris les armes à la main, au-dessus de l'âge de douze ans. Les femmes et les enfants, seuls épargnés, s'élevèrent, nous dit le chevaleresque chroniqueur, à douze mille. Ils furent distribués aux soldats de l'armée de Conrad, qui les amenèrent en Sicile comme la meilleure part du butin.

Muntaner, rendu à son commandement et à toute son autorité par cette terrible exécution, chercha à réparer les maux de la guerre. Il s'attacha à repeupler l'île de gens de la Moawia et de leurs amis; il encouragea partout les travaux de l'industrie et de l'agriculture, << si <«< bien, assure-t-il, que le seigneur roi de Sicile retira «< chaque année de l'île de Gerba plus de revenus qu'il << n'en avait jamais eu auparavant. >>

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1311-1313. Muntaner seigneur de Gerba pendant trois ans, sous la suzeraineté du roi de Sicile, à qui passe la suzeraineté définitive de l'île.

Frédéric, pour récompenser ces services, concéda à Raymond Muntaner, par un nouveau diplôme et pour la durée de trois ans, la possession seigneuriale des îles de Gerba et de Kerkeni, avec la faculté de pourvoir comme il l'entendrait à la garde et à l'entretien des forteresses. Muntaner, voulant passer le temps de son commandement en Afrique avec sa famille, alla chercher sa femme à Valence; à son retour, il toucha Majorque et y rendit ses devoirs au roi don Sanche, qui venait de succéder à son père Jacques Ier (juin 1311); puis il revint à Gerba, où ses vassaux arabes lui payèrent un don de joyeuse entrée de deux mille besants. Il demeura ensuite trois ans au milieu d'eux avec les siens << en bonne paix, tous étant joyeux et satisfaits ». Un

AFRIQUE SEPTENTRIONALE.

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peu fatigué, il rentra ensuite en Espagne, où il continua à servir loyalement les princes d'Aragon.

Après Muntaner la tranquillité de l'île ne semble pas avoir été sérieusement troublée d'abord, bien que les gouverneurs n'aient eu ni les talents ni la prudence de leur prédécesseur; mais les droits de la famille Doria, acquis peut-être par les rois de Sicile dès la nomination de Raymond à la seigneurie triennale de l'île, furent certainement exercés alors dans leur plénitude par ces princes. Il est vraisemblable que les droits du haut domaine des îles, attribués toujours à la famille de l'amiral dans les divers arrangements faits avec la couronne de Sicile, tombèrent en péremption vers ce temps par l'impuissance où se trouvèrent Saurine et Conrad Lanza de remplir leurs engagements. Après 1313 il n'est plus question de la tutelle de Conrad Lanza, et l'on ne voit nulle allusion à des réserves faites pour Bérenger fils de Roger Doria et de Saurine d'Entença. Toutes les nominations des gouverneurs ont lieu désormais au nom du roi de Sicile, qui jouit pleinement des droits souverains sur les îles du golfe, et qui les délègue à sa convenance, avec ou sans participation des prérogatives féodales. L'île de Gerba est expressément rangée en 1314, sans aucune restriction, parmi les pays formant les possessions de la couronne de Sicile qui devaient observer les trêves conclues entre le roi Frédéric III et Robert d'Anjou, roi de Naples.

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D'un nouveau tribut qui aurait été payé par les rois de Tunis aux rois de Sicile pendant l'occupation de Gerba.

C'est à cette époque, ou peu auparavant, suivant les

historiens de Sicile, qu'un nouveau tribut en faveur du souverain de l'île aurait été consenti par le roi de Tunis, quand les provinces de Constantine et de Bougie étaient encore soit mécontentes, soit séparées de la métropole. La concession est vraisemblablement du règne d'El-Lihyani, qui, monté sur le trône en 1311, abdiqua vers le mois de mai ou de juin 1317. Des trêves, et peut-être un traité formel, existèrent en effet entre El-Lihyani et le roi Frédéric. Un consul de Sicile, Vido Pisani, assista à la promulgation du traité vénitien conclu à Tunis, le 12 mai 1317, au nom d'El-Lihyani, déjà retiré à Gabès, où il se démit peu après du pouvoir. Il est moins probable que la concession soit du règne fort court d'AbouDerba, son fils, proclamé vers le mois d'octobre 1317, battu et détrôné l'année suivante au commencement de l'été par Abou-Bekr, roi de Bougie, le dernier des compétiteurs resté définitivement maître de Tunis, qui dut trouver le tribut établi et qui le conserva. Passé de Gabès à Tripoli, à mesure que les événements devenaient plus inquiétants pour lui dans les provinces de l'ouest, El-Lihyani avait alors résolu de quitter tout à fait le Magreb. Ne trouvant pas auprès de lui de moyens suffisants et assez sûrs, il s'adressa aux Francs de Gerba, qui lui envoyèrent six navires, à bord desquels il se rendit à Alexandrie avec sa famille et ses trésors.

Comme autrefois les rois zirides avaient voulu, par le tribut payé aux Normands, se préserver des corsaires de Sicile et s'assurer, au cas de besoin, l'exportation des blés de l'île, le nouveau tribut aurait eu pour objet de garantir la sécurité des côtes du royaume vers le golfe de Gabès, et peut-être aussi d'acquitter d'anciennes

obligations, car il est certain qu'El-Lihyani comme Abou-Bekr reçurent successivement durant leurs guerres des prêts d'hommes ou d'argent du roi Frédéric de Sicile.

Les historiens arabes ne disent rien, à notre connaissance, de ce nouveau tribut, et les sources chrétiennes n'en déterminent nulle part nettement l'origine et la cause. L'autorité de Gregorio Rosario permet d'y croire cependant, et, si le tribut a existé, on peut admettre, sans en exagérer l'importance, qu'il a pu être maintenu tant que les rois de Sicile ont occupé les îles de Gerba et de Kerkeni, dont la possession était une inquiétude et une menace perpétuelle pour toutes les côtes du Magreb oriental. Ainsi s'expliquerait ce que les historiens de Sicile ont appelé le rétablissement de l'ancien tribut de Tunis, bien que le nouveau différât tout à fait dans sa nature et son origine de l'ancien.

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Les rois de Sicile perdent l'île de Gerba et les autres îles du golfe.

On peut soupçonner Muntaner d'un peu de complaisance pour les faits de son administration au sujet des événements de Gerba, que nous venons de rappeler d'après ses mémoires. L'incurie et la rapacité de ses successeurs n'en restent pas moins certaines, et sont aussi manifestes que leur infériorité. Au lieu de suivre les exemples de bienveillante fermeté qu'ils auraient trouvés dans l'histoire de la domination chrétienne à Gerba et en Sicile depuis le règne de Roger, ou de consulter simplement l'intérêt de leur maître, ils considérèrent leur gestion comme une occasion précieuse de s'enrichir en

pressurant le pays. Les pachas turcs n'administraient pas différemment les districts chrétiens avant les derniers règnes. Renfermés dans leur château et en mésintelligence continuelle avec les indigènes, ils étaient souvent obligés de faire venir de Sicile les provisions nécessaires aux hommes des garnisons.

Leur cupidité, qu'une tyrannie odieuse ne parvenait pas à satisfaire, exaspéra à la fin les partis les moins hostiles. Vers 1334, les Gerbiotes, poussés à bout par les exactions de Pierre de Saragosse, adressèrent d'instantes réclamations au roi de Sicile. Repoussés ou n'obtenant que d'insignifiantes promesses, ils se soulevèrent dans l'île entière; ils demandèrent de nouveau l'appui du roi de Tunis, ils se mirent en rapport avec la flotte du roi de Naples, alors en guerre avec Frédéric, et formèrent le siège autour du Cachetil. Malgré les croisières napolitaines, le roi de Sicile parvint à faire porter aux assiégés des renforts et des vivres par la flotte de Raymond de Peralta. Mais douze galères génoises et trois voiles napolitaines ayant ouvertement pris parti pour les Arabes, en leur fournissant des armes, Peralta renonça à défendre l'île et abandonna Pierre de Saragosse, qui ne put résister longtemps. Le Cachetil fut emporté d'assaut, les soldats chrétiens massacrés ou vendus comme esclaves. Saragosse et son fils, plus particulièrement désignés aux haines de la population, périrent sous une grêle de pierres.

Du nouveau et de l'ancien tribut de Tunis à la Sicile.

Le nouveau tribut payé à la Sicile n'eut plus de rai

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