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Charles

L'Espagne n'eut jamais une politique commerciale vis-à-vis de l'Afrique.
Ximénès poursuit en Afrique les Maures andalous et leurs alliés.
Quint passe en Afrique pour combattre les Turcs.

Si, de la conduite et de la situation des républiques italiennes en Afrique, nous portons nos regards sur la politique suivie dans le même pays par les Espagnols, réunis enfin sous le même sceptre, nous trouvons des vues et des intérêts tous différents.

Le commerce n'avait jamais été le motif direct des résolutions des rois de Castille et de Portugal dans leurs relations avec les musulmans d'Afrique. Les rois d'Aragon eux-mêmes durent veiller à leur puissance militaire et à l'extension de leurs États avant d'en venir à conclure les traités spéciaux qui profitèrent à l'industrie de leurs sujets et à leur propre trésor. Le règne de Ferdinand et d'Isabelle, en fondant l'unité de la monarchie espagnole, donna la prédominance aux intérêts et à la dynastie de Castille. Ce sont les desseins et la politique castillane qui dirigèrent les expéditions de Ximénès et de Charles-Quint en Afrique, expéditions d'ailleurs si opposées dans leur principe et dans leur but, comme furent opposées les tendances mêmes de Ferdinand et de son propre ministre.

Dès que l'insurrection de Grenade et des Alpuxarès fut réprimée, l'Espagne entière eut instinctivement la pensée de poursuivre les musulmans jusque dans les royaumes de Tlemcen et de Maroc, d'où leur étaient venus les secours et les excitations à la révolte. Au milieu même de la guerre d'Italie et de Roussillon, Mersel-Kébir fut conquis (1505), le Penon d'Alger occupé

(1508). Ces entreprises glorieuses, en constatant l'infériorité désormais irrémédiable des Maures jusque sur leurs propres rivages, satisfirent amplement le sentiment public et ses légitimes exigences. L'intérêt et la gloire de l'Espagne ne demandaient rien de plus. C'était la pensée intime du roi Ferdinand. Mais Ximénès, rendu plus libre en Italie par la ligue de Cambrai, ordonna de reprendre les hostilités. Craignant l'hésitation du roi et la tiédeur de la nation, le vieux cardinal prit lui-même, à l'âge de soixante-dix ans, la direction des armements, et y consacra sa fortune personnelle. Sa passion pour la grandeur de l'Espagne et l'exaltation de la foi chrétienne ne distingua plus, parmi les dynasties du Magreb, celles qui avaient fait cause commune avec les Andalous de celles qui avaient respecté les anciennes alliances. L'Afrique entière, à ses yeux, devait expier la longue résistance de Grenade et subir le joug, car les projets du cardinal n'allaient à rien moins qu'à la conquête de tout le littoral africain, en y relevant partout la croix et les églises. En 1509, il passe le détroit, s'empare d'Oran, d'où il demande au SaintSiège le rétablissement de l'ancien évêché; rappelé en Espagne par les soins du gouvernement, il laisse à Pierre de Navarre l'ordre et les moyens de continuer la guerre. Bougie, conquise en 1510, recouvre aussitôt son évêché. Gerba et Kerkeni résistèrent. Mais la terreur des armes chrétiennes fut telle que le roi de Tlemcen, le roi de Tunis et la ville d'Alger, jouissant alors d'une sorte d'indépendance qui facilita la conquête des Barberousse, achetèrent leur sécurité en s'engageant à payer un tribut annuel à la couronne d'Espagne.

Ce fut le dernier succès des armées de Ferdinand en Afrique et le dernier éclat des magnifiques plans de Ximénès. Ils échouèrent parce qu'ils dépassaient les aspirations et les désirs réels du pays. Le Maure n'était plus pour l'Espagnol le conquérant orgueilleux qui avait si longtemps blessé sa foi et humilié sa fierté, ni le voisin encore inquiétant et parfois redoutable de sa sécurité. Tout ce qu'il y avait alors en Espagne d'esprits hardis, avides de combats ou de richesses, trouvait à se satisfaire soit dans les armées de Gonzalve de Cordoue, soit dans les aventures du nouveau monde. Nulle part le commerce et la colonisation ne suivirent en Afrique l'action militaire. Le roi Ferdinand luimême n'avait jamais complètement approuvé les vues du cardinal; il les tenait pour excessives et un peu chimériques. La nation en jugeait comme le souverain. En autorisant la continuation des armements exigés par le cardinal, Ferdinand pensait bien plus à les employer dans une nouvelle campagne contre Louis XII qu'à les renvoyer dans les golfes de Bougie ou de Gerba.

Avec Ximénès, mort en 1517, finit, prolongée au delà de son triomphe possible, cette longue et noble guerre de délivrance que le roi Pélage avait inaugurée huit cents ans auparavant dans les montagnes des Asturies.

Plus tard, quand Charles-Quint ramène les flottes espagnoles sur les côtes d'Afrique, quand il détruit les fortifications de la ville d'One, qu'il s'empare de Tlemcen et de Tunis, ce ne sont ni les Maures d'Espagne ni les Arabes du Magreb qu'il veut frapper. Bien loin d'avoir des pensées de conquêtes durables, il soutint les dynasties

indigènes, que Ximénès voulait anéantir ou opprimer. Il secourut les Hafsides à Tunis; il restaura les BeniZian à Tlemcen. L'ennemi qu'il poursuivait en Afrique comme sous les murs de Vienne, c'était les Turcs, et en poursuivant les Turcs il voulait combattre la France.

François Ier et Richelieu, par leur alliance avec les Ottomans contre la maison d'Autriche, firent acte de haute intelligence et de patriotisme. Chaque siècle a des intérêts et des droits contingents. Dieu veuille que la France du dix-neuvième siècle ne paie pas trop chèrement la faute qu'elle a faite en le méconnaissant et en ne mettant pas sa main dans la main de l'Autriche, quand il y avait à résister ensemble à des périls

communs.

La décadence et la barbarie de l'Afrique septentrionale datent surtout du régime turc.

Pour nous en tenir à l'objet spécial de cette histoire, nous répéterons, en la terminant, ce qui en est comme le résultat et la conclusion générale, à savoir que les temps les plus mauvais de la barbarie et de l'inhospitalité du Magreb, les seuls dont l'Europe et l'Afrique semblent avoir aujourd'hui conscience, sans en connaître l'origine, ne datent que du seizième siècle et de l'établissement des Régences barbaresques.

A l'époque antérieure, quand il n'y avait en Afrique que des Arabes et des Berbères, quelque dégradation qu'eût subie leur état moral, le gouvernement des princes indigènes s'inspirait encore de principes de justice, d'impartialité et de tolérance. Les traités étaient observés, les tarifs commerciaux régulièrement

appliqués, les naufragés assurés de la protection royale, la personne des consuls et des marchands respectée, leurs biens et leur fortune inviolables, leurs demeures, leurs églises et leur culte choses sacrées.

Nos sujets d'Afrique n'ont qu'à remonter de quelques siècles dans leur propre histoire pour retrouver les témoignages de cette situation et se convaincre que les deux nations et les deux religions ont pu vivre longtemps libres et respectées sous le même ciel. Les garanties qu'ils accordaient au moyen âge à nos marchands, nous les leur donnons aujourd'hui au centuple.

A côté de nous, et sous une domination qui est un bienfait pour eux, ils peuvent prospérer et vivre heureux. La France le leur a promis en leur indiquant les voies de l'avenir : à eux les libres et féconds travaux du sol; à nous les applications de l'industrie et l'indivisible exercice de la souveraineté.

Les Arabes qui accepteront sans réserve le sort, enviable pour tant d'autres, que Dieu leur a fait y trouveront leur avantage et pourront calmer les scrupules de leur conscience en méditant ces paroles du Coran : <«< Sache que ceux qui nourrissent la haine la plus vio<<< lente contre les vrais croyants sont les idolâtres. «< Sache bien, au contraire, que les hommes les plus disposés à les aimer sont ceux qui disent: Nous som« mes chrétiens (1).

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(1) Sourate Ve, verset 85.

FIN.

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