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terre ferme, ayant à se prémunir à la fois contre la France dans le royaume de Naples, en Navarre et en Roussillon, Alphonse et ses successeurs abandonnèrent le gouvernement de la Sicile à des vice-rois, qui la plupart furent égoïstes et négligents.

Il se fit alors en Sicile une révolution analogue à celle qui faillit se généraliser en France au commencement du quinzième siècle, et qui, effectuée réellement dans l'empire grec au douzième siècle, fit passer l'industrie maritime aux étrangers. Des Vénitiens, des Génois et des Toscans vinrent établir leurs comptoirs d'une manière définitive dans les principaux ports de l'île, et s'emparèrent du commerce extérieur, que ses habitants n'étaient plus capables ou soucieux de continuer. La marine et l'industrie locale achevèrent de se perdre, en un temps où il eût fallu développer tous les moyens de défense. La Sicile avait été un des premiers pays sur lesquels s'étaient jetés les pirates grecs et turcs depuis la prise de Constantinople. La frayeur et la misère régnaient dans les campagnes et jusque dans les villes maritimes. En quelques années, Favignana et Marettimo, deux îles du cap de Trapani, étaient devenues des repaires d'où les forbans donnaient impunément la chasse aux navires qui traversaient les mers de Sardaigne et d'Afrique; Trapani, riche autrefois comme Messine d'hôtels et de consulats nombreux, vit à la même époque diminuer sa population et son commerce.

On ne sait combien de temps avaient pu se conserver les bons effets des négociations de frère Mayali, terminées en 1451. Les rapports pacifiques entre les habitants des côtes d'Afrique et de Sicile ne semblent pas

avoir été de longue durée, malgré les bonnes dispositions du sultan de Tunis, le vieil Abou-Omar. La décision des états de Palerme de 1458 tendait à établir sur les côtes un système de précaution plus propre à la guerre qu'aux relations amicales. D'après ce que nous savons d'une série de correspondances et d'ambassades, poursuivies pendant dix années, de 1470 à 1479, sans aboutir à un traité définitif, il semble que des hostilités pires qu'une guerre déclarée soient venues s'ajouter aux malheurs de l'île, et rendre bien difficiles les rapports d'échange et de commerce entre les deux pays. En 1470, le vice-roi Lop Ximénès d'Urrea s'occupait d'un traité de paix qui devait s'étendre aux royaumes de Naples et d'Aragon, bien que les couronnes eussent été séparées de nouveau à la mort d'Alphonse. Cinq points étaient surtout recommandés à André Navarre, chargé de se rendre à Tunis : la conclusion d'un traité de paix pour trente ans; la délivrance réciproque des prisonniers; l'égalité des droits et du traitement des autres nations chrétiennes, pour tous les marchands siciliens, napolitains et aragonais, dans les échelles de Mauritanie; l'assurance que toute personne naviguant sous le pavillon d'Aragon trouverait sécurité, aide et protection dans le royaume de Tunis, et enfin la reconnaissance ou l'exequatur à obtenir du sultan de Tunis pour le consul ou les consuls qui seraient chargés de représenter en Afrique les intérêts du roi Ferdinand pour le royaume de Naples, du roi Jean pour les royaumes d'Aragon, de Sicile et de Navarre, et les intérêts du pape, considéré comme souverain de pays qui pouvaient commercer avec l'Afrique.

La mission de Navarre ne paraît pas avoir atteint la fin désirée. En 1472, un ambassadeur du roi de Portugal, Alphonse V, dit l'Africain, se trouvant à Tunis, s'ocupait, à la demande du vice-roi de Sicile, de l'affaire du traité et de la délivrance de cinq cents captifs chrétiens détenus dans les États de l'émir. Les prisonniers durent être rendus néanmoins à la liberté, car une trêve de deux années, à partir du 1er janvier 1474, fut publiée au mois de décembre 1473 dans les îles de Sicile et de Malte. En témoignage de ses bonnes dispositions, AbouOmar Othman nomma même un consul chargé de protéger les intérêts de ses sujets en Sicile, et confia ces fonctions, avec l'agrément du vice-roi, à Jacques Bonanno, maître des comptes et membre du conseil royal de Palerme. Bonanno avait pouvoir de nommer des vice-consuls, autorisés eux-mêmes à rester en charge au delà de la durée des préliminaires de paix, si le grand traité, dont on n'avait pas abandonné la pensée, venait enfin à être heureusement conclu.

Il paraît certain que les gouvernements d'Aragon et de Sicile étaient moins désireux d'arriver à une entente définitive qu'Abou-Omar lui-même. Le 8 juin 1475, l'on n'avait pas encore envoyé d'ambassade à Tunis. D'Urrea s'en excusait auprès de l'émir en alléguant les préoccupations du roi Jean et la guerre que ce prince, « le plus grand et le plus puissant des rois de la chrétienté », avait eu à soutenir contre le roi de France pour reprendre le Roussillon. D'Urrea chargeait en même. temps Guillaume de Peralta, trésorier général, d'aller à Tunis et d'y arrêter au moins une nouvelle prorogation de la trêve de 1476 à 1478.

Peralta et Pujades, adjoints à l'ambassade, trouvèrent chez le roi de Tunis et chez les membres de sa famille les intentions les plus pacifiques, si bien qu'on pouvait se croire près de conclure les interminables pourparlers dont le dernier mot était toujours attendu de Naples ou de Barcelone, quand, en 1479, la constitution de la monarchie de Ferdinand V par la réunion de la Castille à l'Aragon sembla remettre tout en question. Le 8 décembre 1479, on voit le conseil de régence de Palerme, dans une séance solennelle et oiseuse, délibérer pour savoir s'il fallait se contenter d'une trêve avec le royaume de Tunis, ou s'il n'était pas préférable d'obtenir enfin un traité général de paix et de commerce. Cette dernière opinion, conforme aux sympathies du pays, rallia la grande majorité du conseil, et pourtant rien ne se termina.

Les historiens de l'île accusent la couronne d'Espagne, dans le dessein de ralentir tout progrès industriel en Sicile, d'avoir empêché la conclusion d'un traité qui eût été trop avantageux à son commerce et à son autonomie. Les faits donnent une apparence de raison à ces dures récriminations. Que les maîtres de l'Irlande ne jugent pas trop sévèrement une telle politique. La Sicile fut délaissée par la Castille comme elle l'avait été par l'Aragon. Rien n'y prospéra depuis, tandis que Ferdinand et Isabelle poursuivaient leurs succès contre les Maures, tandis que les républiques italiennes, ne pouvant prévoir l'immense révolution qui allait ébranler les bases de leur commerce, trouvaient à s'enrichir encore sans sortir de la Méditerranée.

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Du commerce de l'Aragon avec l'Afrique jusqu'à la réunion des couronnes d'Aragon et de Castille.

Les ressources maritimes de l'Aragon, surtout celles de la Catalogne, et la richesse générale de la nation, étaient telles au quinzième siècle, qu'au milieu de troubles et d'armements qui semblaient devoir absorber toutes les forces du pays, le commerce avec le Magreb s'était maintenu sans apparent affaiblissement.

En 1439, en 1444, 1447, 1462, pendant la guerre étrangère et pendant la guerre civile, la couronne d'Aragon ou la commune de Barcelone, momentanément indépendante, entretiennent toujours de bons rapports avec les rois de Tunis, et les marchands catalans fréquentent comme auparavant les ports de Barbarie. Bien que les magistrats de Barcelone aient eu quelquefois à se plaindre d'injustices et de violences commises en Afrique au détriment de leurs compatriotes, la nation catalane y était généralement bien vue par les gouvernements et la population. L'ensemble et la continuité des relations ne permettent pas d'en douter, et la lettre que le doge de Venise écrit en 1458 aux conseillers de Barcelone, pour les prier de recommander à leurs concitoyens résidant en Afrique et en Languedoc de vivre en bonne harmonie avec les Vénitiens qui se rendaient annuellement de Barbarie à Aigues-Mortes, confirme ces appréciations.

Les Catalans apportaient en Afrique beaucoup de draps, ils s'y adonnaient en grand à l'exploitation des bancs de coraux; ils nolisaient leurs navires aux gens du pays pour les transporter d'un port à l'autre ou en

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