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Le directeur, ou surintendant, était toujours un personnage considérable, un des premiers scheiks de l'empire. Il assistait à la conclusion des traités, et souvent il reçut du sultan les pleins pouvoirs pour les négocier.

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Il avait sous ses ordres de nombreux fonctionnaires ou employés de divers grades, dont il ne nous serait pas possible de définir exactement le rôle et la hiérarchie, mais que les documents distinguent bien néanmoins les uns des autres.

Le directeur, de qui tous les autres préposés et serviteurs dépendaient, le gabellot de quelques traités catalans, est généralement désigné dans les textes latins sous les noms de dominus dugane, dominus doane, dominus duganerius, provisor dugane, chaytus dugane, alcaitus dugane, en catalan alcayt de la duana. C'est le mot arabe caid ou alcaid.

Le directeur de Tunis réunissait quelquefois au gouvernement de la douane urbaine la surintendance de toutes les douanes du royaume. Il est du moins qualifié dans quelques pièces d'inspecteur (nazir) des douanes d'Afrique. Le mot arabe nazir ou nadir paraît désigner, comme le mot moscerif, le même fonctionnaire que le directeur ou alcaid de la douane. Le traité de 1278 entre le roi de Majorque et le roi de Tunis fut conclu à Tunis dans la maison du moxerif, c'est-à-dire vraisemblablement au palais même de la douane.

L'alcaïd de la douane était le directeur et le protecteur de toutes les affaires des chrétiens dans leurs rapports avec les indigènes; il suppléait même quelquefois les consuls dans les

propres affaires de la nation. Aussi le traducteur chrétien d'une pièce arabe de 1200 rend-il le titre de ses fonctions par ces mots rector omnium christianorum qui veniunt in tota provincia de Africa.

En dehors des questions de douanes et de tarifs, et indépendamment de la police générale des ports, il avait une autorité judiciaire. Il était le juge désigné de tous les procès dans lesquels les Sarrasins devaient se défendre vis-à-vis des chrétiens. Dans les cas de méfaits et de condamnation d'un musulman, il devait en poursuivre et en obtenir la réparation pour le chrétien. Quelques traités déclarent en outre, ce qui vraisemblablement était passé en pratique générale, qu'au cas de procès entre chrétiens de nationalité différente, le préposé en chef de la douane, comme juge plus impartial, vidait le débat. Il avait encore autorité pour faire exécuter un titre dressé par-devant les témoins de la douane entre chrétiens de nationalité différente. A défaut du consul, il pouvait aussi connaître d'affaires dans lesquelles un Sarrasin était demandeur contre un chrétien.

Lors du décès d'un chrétien, s'il n'y avait ni consul ni marchands de sa nation, le directeur prenait ses biens sous sa sauvegarde et les remettait ensuite à qui de droit. S'il se présentait une circonstance, un cas de crime ou un fait de contrebande qui nécessitât une perquisition, soit dans un navire, soit dans un fondouc chrétien, le directeur n'avait pas le droit d'y procéder ou d'y faire procéder en son nom par aucun fonctionnaire de la douane, sarrasin ou chrétien, à moins que le consul ne fût absent. En temps ordinaire, il devait faire prévenir le consul, qui déléguait un employé pour assister l'inspecteur arabe dans ses investigations. Tels sont du moins les règlements des traités catalans, et tout porte à croire que les autres nations suivaient le même usage, bien que leurs traités particuliers ne le mentionnent pas.

2. Fonctionnaires et employés arabes.

Parmi les témoins officiels (testes) présents à la conclusion du traité de 1433 entre la république de Gênes et le roi de Tunis, figurent plusieurs testes et officiales dugane, c'est-à-dire les hauts employés de la douane : « Testes autem Saraceni, «< qui... pro testibus subscripserunt, sunt Aben Tals, Aben « Maroan et Aben Canfod, testes et officiales dugane Tunicis. » Ces testes ou testimonii, dont la présence aux ventes publiques engageait la responsabilité de la douane, semblent être des inspecteurs. C'étaient des fonctionnaires considérables et estimés. L'un d'eux, Sidi Abou-Abd-Allah Ben-Abou-Ishac, testimonius dugane, prit part à la discussion même et à la confirmation du traité génois de 1391, conclu par Gentile de Grimaldi avec le directeur et le scriba de la douane royale.

Il y avait un testis particulièrement désigné pour chaque nation chrétienne. Il semble que le messeruffus, dont il est question dans un document vénitien de 1300, fût aussi un inspecteur ou testis attaché à la douane de Tunis.

Le scriba dugane était probablement le chef des écritures, le même que le segretario della dogana. Il avait sans doute sous ses ordres les autres écrivains ou teneurs de livres arabes et chrétiens, chargés d'écrire les comptes de tous les marchands qui avaient affaire à la douane. On pourrait l'appeler le chef de la comptabilité. Le scriba dugane de Tunis, Sidi Mohammed, fut l'un des négociateurs du traité de 1391.

Les mosctaghil de la douane, nom remplacé dans les textes chrétiens par les mots génériques d'officialis, musiriffus, étaient des agents ou officiers royaux d'un rang assez élevé, préposés spécialement à la vente des denrées ou marchandises du domaine royal. Ils devaient faire aussi en grande partie les achats des choses nécessaires au sultan et à sa maison. On leur recommandait de ne pas se prévaloir de leur

caractère et de traiter dans les conditions ordinaires des marchés avec tous les chrétiens. Vers l'an 1200, le roi de Tunis remit l'examen d'un cas assez grave de piraterie commis par les Pisans au mosctaghil de la douane de Tunis, que le texte chrétien de la lettre du sultan qualifie de bailius noster.

Le messeruffus arabe avec qui le facteur de la maison Soranzo, de Venise, eut à débattre, vers 1300, le paiement de certains achats faits pour le compte du roi de Tunis, paraît être le même fonctionnaire que le mosctaghil de la douane. Et nous remarquons que la désignation de mosctaghil employée dans les traités pisans de 1313 et 1353 est remplacée dans l'article correspondant du traité de 1397 par le mot de musiriffus, le même sans doute que messeruffus.

Au-dessous de ces fonctionnaires se trouvaient des courtiers ou courtiers-interprètes, sensarii, sensali, misseti, les mêmes peut-être que les amin dont il est question dans le traité florentin de 1445; puis des facteurs, des porteurs, peseurs, mesureurs, surveillants, gardiens et autres agents et hommes de peine, que les traités désignent généralement sous le nom de factores duane, servientes et canovarii duane.

3. Interprètes.

Les interprètes ou drogmans de la douane, turcimanni, torcimani, torzimani, interpretes, tursumani, formaient une corporation nombreuse et fort estimée. Ils n'étaient pas tous du même rang, et ils devaient avoir entre eux une certaine hiérarchie. Les principaux servaient souvent à l'interprétation ou version officielle des traités. Mais le témoignage de tout drogman de la douane faisait foi, quelle que fût sa classe, et son intervention régulière dans un marché engageait la douane elle-même, qui devenait caution de la dette. Il est probable qu'ils étaient tous assermentés. On les choisissait avec soin, et leur position était fort recherchée.

Les traités rappellent souvent que les interprètes doivent rester en société et mettre tous leurs profits en commun, dans les ventes et les achats; qu'ils ne doivent recevoir ni cadeaux ni pourboires; que le droit d'interprète ne peut être exigé qu'une fois par chaque marché; que nul marchand, ni sarrasin ni chrétien, ne doit avoir un drogman particulier; qu'aucun drogman ne peut refuser son ministère au marchand qui le requiert. On comprend la sagesse de ces prescriptions.

Si un marchand ne devait pas avoir d'interprète spécial, il 'y avait cependant des drogmans particuliers pour chacune des nations chrétiennes. Aussi avons-nous vu en 1207 un Arabe prier le podestat de Pise de s'intéresser auprès du caïd de la douane de Bougie à sa nomination de drogman pour la nation pisane à la douane de cette ville, attendu que le drogman, de même que le courtier pour les Pisans, devait être nommé par le caïd et agréé par les Pisans.

Nous parlerons plus loin du droit qui leur était dû sur les marchés conclus par leur intermédiaire. On l'appelait la torcimania ou le mursuruf.

4. Agents chrétiens.

Le traité aragonais de 1314, en disant que nul agent de la gabelle, ni sarrasin ni chrétien, ne devra se permettre de visiter un navire ou un fondouc chrétien à l'insu du consul, indique déjà que les employés de la douane arabe n'étaient pas tous de nationalité musulmane.

Les chrétiens ayant été admis à affermer quelques parties des gabelles, il leur était nécessaire d'avoir à la douane quelques préposés de leur nation pour faciliter et surveiller la perception. En outre, la plupart des traités stipulent qu'il y aura à la douane un employé chrétien (scriba, scribanus, scriptor), choisi par les chrétiens de chaque colonie, chargé spécialement de tenir les écritures des marchands de sa nation

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