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Plusieurs fois les Mestouna avaient demandé des troupes au roi de Tunis et assiégé le Cachetil, sans jamais parvenir à le forcer.

En 1306, une forte expédition commandée par le grand scheik de Tunis, l'émir Abou-Yahya-Zakaria elLighyani, arrière-petit-fils de Yahya Ier, et devenu plus tard sultan lui-même, ne fut pas plus heureuse que les précédentes. L'armée arabe renfermait un corps assez nombreux de la milice chrétienne, que l'idée d'avoir à combattre d'autres chrétiens au Cachetil de Gerba n'empêcha pas de remplir loyalement son devoir. Après plusieurs mois d'un siège opiniâtre, et qui aurait fini peut-être par triompher de la résistance des assiégés, El-Lighyani se retira en apprenant l'approche de Roger Doria, deuxième du nom, qui venait en personne défendre sa seigneurie, aidé par le roi de Sicile. Peu d'années après, les troupes de Charles Doria eurent à repousser de nouveau les Tunisiens et à châtier les gens de la Mestouna qui les avaient rappelés. Doria profita dans cette campagne du concours des deux rois Frédéric d'Aragon et Robert d'Anjou, alors en paix par suite, vraisemblablement, des accords. de 1309.

1310-1311.

Muntaner devient capitaine de Gerba et de Kerkeni au nom du roi de Sicile, seigneur usufruitier des îles.

Mais la tranquillité des Francs de Gerba ne dura pas plus que la bonne intelligence des rois de Naples et de Sicile qui l'avait amenée. Conrad Lança, tuteur de Roger III, ne put suffire à la défense de l'île devant la

révolte des Ouled-Moawia et des Ouled-Mestouna réunis momentanément contre lui. Il s'adressa sans succès à Saurine d'Entença, fort gênée par les charges de la succession de l'amiral. Il ne put obtenir davantage ni du pape, suzerain de Gerba, ni du roi de Naples, suzerain du jeune Roger à cause de ses terres de Calabre. 1 prit alors le parti d'engager la seigneurie au roi de Sicile, qui consentit à faire les frais d'une nouvelle campagne en hommes et en argent. Le roi mit pour condition que ses troupes occuperaient les deux forteresses de Gerba et de Kerkeni, et l'île entière de Gerba, si on parvenait à la soumettre, le tout comme sa pleine et entière propriété, jusqu'au remboursement intégral de ses avances, ce qui fut accepté.

Un premier armement, composé de chevaliers catalans et siciliens, ayant été complètement battu, et son chef, Pélerin de Patti, fait prisonnier, toutes les îles du golfe se soulevèrent, les garnisons se renfermèrent dans les forts du Cachetil et de Kerkeni, où elles furent bientôt assiégées, et il fallut songer à conquérir de nouveau le pays entier.

Raymond Muntaner se trouvait alors en Sicile; Frédéric, confiant dans les talents du capitaine qui venait de faire ses preuves en Romanie, lui remit le commandement d'un nouveau corps d'opération avec les pouvoirs les plus étendus. Il ordonna aux châtelains du Cachetil et du fort de Kerkeni, qui devaient lui obéir en vertu de son traité avec le régent, de remettre les places à son délégué et de lui prêter hommage comme le remplaçant entièrement dans sa seigneurie. Muntaner, qui entre à ce propos dans des longueurs fort excu

sables, fait observer que le roi ne se retint pas même le recours en appel des jugements qu'il prononcerait.

Ainsi pourvu et largement autorisé, Muntaner se rendit à Gerba et s'y conduisit, comme on devait s'y attendre, en habile homme et en bon soldat. Dès son débarquement, il sut détacher les Moawia du parti de l'insurrection, et il organisa chez les Ben-Simoumen, restés fidèles, un corps de deux cents cavaliers, auxquels il donna pour paye un besant par jour, avec une ration de farine, d'avoine, de légumes et de fromage. Suivi de ces auxiliaires, il se mit à traquer sans relâche les Mestouna; il les refoula dans un coin de l'île; il les y tint si resserrés, que le défaut de vivres contraignit ces malheureux à faire du pain avec de la sciure de palmier; bientôt, cette dernière ressource leur manquant, ils s'enfuirent en hâte par le gué qui de l'île communique à la terre ferme.

Là ils parvinrent à se réorganiser, et, de nombreux renforts leur étant arrivés des tribus de l'intérieur, Alef, leur chef, les ramena dans l'île. Soit que le régent ait voulu par sa présence limiter l'autorité dont le lieutenant était momentanément investi, soit que le sentiment du danger que courait la seigneurie ait seul déterminé sa résolution, Conrad Lanza arriva alors de Sicile avec des forces assez considérables. Muntaner, sans murmurer, se subordonna à l'autorité du prince; il prit le commandement de l'avant-garde de l'armée libératrice et se mit à la poursuite des révoltés avec une nouvelle ardeur. Il atteignit Alef, concentré sur un point avec tout son monde, le mit entièrement en déroute, enleva ses tentes, et donna l'ordre de massacrer tous

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les hommes pris les armes à la main, au-dessus de l'âge de douze ans. Les femmes et les enfants, seuls épargnés, s'élevèrent, nous dit le chevaleresque chroniqueur, à douze mille. Ils furent distribués aux soldats de l'armée de Conrad, qui les amenèrent en Sicile comme la meilleure part du butin.

Muntaner, rendu à son commandement et à toute son autorité par cette terrible exécution, chercha à réparer les maux de la guerre, Il s'attacha à repeupler l'île de gens de la Moawia et de leurs amis; il encouragea partout les travaux de l'industrie et de l'agriculture, <<< si « bien, assure-t-il, que le seigneur roi de Sicile retira <«< chaque année de l'île de Gerba plus de revenus qu'il << n'en avait jamais eu auparavant. »

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1311-1313. Muntaner seigneur de Gerba pendant trois ans, sous la suzeraineté du roi de Sicile, à qui passe la suzeraineté définitive de l'île.

Frédéric, pour récompenser ces services, concéda à Raymond Muntaner, par un nouveau diplôme et pour la durée de trois ans, la possession seigneuriale des îles de Gerba et de Kerkeni, avec la faculté de pourvoir comme il l'entendrait à la garde et à l'entretien des forteresses. Muntaner, voulant passer le temps de son commandement en Afrique avec sa famille, alla chercher sa femme à Valence; à son retour, il toucha Majorque et y rendit ses devoirs au roi don Sanche, qui venait de succéder à son père Jacques Ier (juin 1311); puis il revint à Gerba, où ses vassaux arabes lui payèrent un don de joyeuse entrée de deux mille besants. Il demeura ensuite trois ans au milieu d'eux avec les siens «< en bonne paix, tous étant joyeux et satisfaits ». Un

AFRIQUE SEPTENTRIONALE.

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peu fatigué, il rentra ensuite en Espagne, où il continua à servir loyalement les princes d'Aragon.

Après Muntaner la tranquillité de l'île ne semble pas avoir été sérieusement troublée d'abord, bien que les gouverneurs n'aient eu ni les talents ni la prudence de leur prédécesseur; mais les droits de la famille Doria, acquis peut-être par les rois de Sicile dès la nomination de Raymond à la seigneurie triennale de l'île, furent certainement exercés alors dans leur plénitude par ces princes. Il est vraisemblable que les droits du haut domaine des îles, attribués toujours à la famille de l'amiral dans les divers arrangements faits avec la couronne de Sicile, tombèrent en péremption vers ce temps par l'impuissance où se trouvèrent Saurine et Conrad Lanza de remplir leurs engagements. Après 1313 il n'est plus question de la tutelle de Conrad Lanza, et l'on ne voit nulle allusion à des réserves faites pour Bérenger fils de Roger Doria et de Saurine d'Entença. Toutes les nominations des gouverneurs ont lieu désormais au nom du roi de Sicile, qui jouit pleinement des droits souverains sur les îles du golfe, et qui les délègue à sa convenance, avec ou sans participation des prérogatives féodales. L'île de Gerba est expressément rangée en 1314, sans aucune restriction, parmi les pays formant les possessions de la couronne de Sicile qui devaient observer les trêves conclues entre le roi Frédéric III et Robert d'Anjou, roi de Naples.

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D'un nouveau tribut qui aurait été payé par les rois de Tunis aux rois de Sicile pendant l'occupation de Gerba.

C'est à cette époque, ou peu auparavant, suivant les

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