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RELATIONS ET COMMERCE

DE

L'AFRIQUE SEPTENTRIONALE

AVEC LES NATIONS CHRÉTIENNES.

AU MOYEN AGE.

Le Magreb et ses délimitations.

Les Arabes ont donné le nom de Magreb à cette large portion du continent africain, seule connue des anciens, qui fait face à l'Europe et qui comprend toute la côte méditerranéenne depuis Tripoli jusqu'au Maroc. Les navigateurs et les marchands chrétiens du moyen âge appelaient ce pays de son vrai nom, Berbérie, c'est-àdire pays des Berbères, ses premiers indigènes. Dans les temps modernes, le régime politique qu'y établirent les Turcs fit prévaloir la forme de Barbarie, en ne la justifiant que trop dans sa nouvelle acception; et ces contrées inhospitalières devinrent pour l'Europe civilisée les Côtes de Barbarie ou les États Barbaresques.

Le nom de Magreb, qui signifie couchant, s'explique par la situation occidentale de la côte d'Afrique relative

ment à l'Égypte et aux autres pays où fut le premier siège de la puissance et de la civilisation arabes. Son acception géographique a d'ailleurs beaucoup varié. Assez étendue quelquefois pour comprendre l'Espagne musulmane tout entière avec l'Afrique du Nord, elle est fort réduite aujourd'hui, et fixée dans le mot Algarves, à l'extrémité méridionale du Portugal.

Aux temps de l'empire romain, le pays avait formé cinq grandes provinces : l'Afrique proprement dite, comprenant trois subdivisions : l'Afrique proconsulaire ou pays de Carthage, avec la Byzacène, qui renfermait toute la région des emporia ou marchés à grains, du golfe de Gabès au golfe d'Hamamet, et la Tripolitaine; - puis à l'ouest, la Numidie, avec Constantine pour capitale, et les trois Mauritanies : la Sitifienne, chef-lieu Sétif; la Césaréenne, chef-lieu Cherchell, et la troisième Mauritanie ou Mauritanie Tingitane, chef-lieu Tanger.

Sans nous astreindre à une précision géographique peu nécessaire à notre objet, nous appellerons Magreb occidental ou Magreb-el-Aksa, tout le pays de l'ancienne Tingitane, formant aujourd'hui l'empire de Maroc, depuis le cap Noun jusqu'à la rive droite de la Moulouïa, qui devrait être à nous, parce qu'elle est notre limite naturelle et historique vers l'ouest; Magrėb central ou Magreb-el-Aouçath, l'Algérie actuelle, répondant aux deux Mauritanies Césaréenne et Sitifienne et à la Numidie ou province de Constantine; enfin Magreb oriental, les deux anciennes régences de Tunis et de Tripoli. Les écrivains arabes ont généralement conservé à la première partie du Magreb oriental le nom romain d'Afrique, Ifrikiah; et il est à remarquer que

la régence de Tunis est encore désignée sous le nom traditionnel de royaume d'Afrique dans le traité conclu par la France avec le bey Hussein-Pacha, le 8 août 1830.

Les notions qui vont suivre ne forment qu'un exposé bien insuffisant de l'histoire de l'Afrique septentrionale et des relations que les nations européennes ont entretenues avec ce pays jusqu'à l'époque de la conquête turque. Nous chercherons du moins, en les présentant sous une forme historique et suivie, à faire connaître les faits et les institutions qui se rattachent à la négociation et à l'exécution des traités de commerce, parce que le commerce a été, en dehors de la sphère religieuse, l'objet principal de ces relations.

Avant d'arriver à l'époque où les communications pacifiques s'établissent et se régularisent entre les chrétiens et les musulmans occidentaux ou Maugrebins, nous remonterons rapidement aux événements qui amenèrent les Arabes dans le bassin de la Méditerranée. Nous aurons à montrer ainsi, sous ses deux, aspects, leur attitude et leur politique vis-à-vis des nations chrétiennes équitable à l'égard de celles qui acceptèrent le joug de la conquête, impitoyable et inaccessible à celles qui résistèrent, tant qu'ils eurent l'espoir de les subjuguer. Durant les trois siècles de leur prépondérance sur mer, les Arabes ravagent les côtes et les îles de l'Europe chrétienne; puis, quand leur puissance maritime décline sur la Méditerranée et en Afrique, ils recherchent et entretiennent des relations pacifiques avec les peuples de l'Italie, de la Gaule et de la Marche. d'Espagne, qu'ils avaient si longtemps combattus sans pouvoir les soumettre.

Mobiles des invasions arabes.

Deux mobiles déterminèrent les invasions arabes : l'ambition des grandes conquêtes, mêlée à une soif insatiable de pillage, et la pensée religieuse de propager l'islamisme pour gagner les récompenses célestes. La bravoure de son peuple dépassa peut-être ce que la confiance de Mahomet avait rêvé pour lui.

Sortis au septième siècle de la presqu'île de l'Hedjaz et parvenus promptement au bord de la Méditerranée les Arabes, en s'aidant des indigènes, perfectionnèrent la marine byzantine et eurent bientôt des flottes qui continuèrent leurs conquêtes. L'ancien monde sembla un moment menacé d'un universel asservissement. Les débuts des Arabes sur mer furent des triomphes. Les empereurs purent préserver Constantinople et les provinces voisines, grâce à leur marine plus qu'à leurs armées, mais les îles et les régions méridionales furent subjuguées ou dévastées. Après la Syrie et l'Égypte, les Arabes occupèrent le nord de l'Afrique (692-708), conquirent l'Espagne et envahirent la Gaule. Arrêtés enfin dans les plaines de Poitiers par les Francs unis aux Aquitains, ils sont obligés de rétrograder; ils poursuivent ailleurs leurs succès, et soumettent toutes les grandes îles depuis Candie jusqu'aux Baléares, d'où leurs flottes dominent en réalité la Méditerranée en tière.

Gouvernement équitable des Arabes dans les pays subjugués.

Violente et aveugle dans l'action, implacable contre

toute résistance, la conquête arabe était intelligente et équitable dans les pays qu'elle voulait conserver.

En Provence, en Italie, dans les îles orientales et sur les côtes de l'Asie Mineure, contrées où les Arabes se sont bornés à occuper quelques positions militaires, sans fonder un gouvernement, l'histoire de leurs incursions et de leur séjour, du huitième au onzième siècle, n'est qu'une série de spoliations, de massacres et de ruines. Ailleurs ils se sont montrés tolérants et protecteurs. En Septimanie, seule partie de la Gaule où ils aient eu une domination étendue et durable, les habitants, sous l'obligation de payer le tribut imposé à toutes les nations vaincues et non converties, conservèrent leurs usages et leurs comtes particuliers. La loi fut la même en Égypte, en Afrique et en Espagne. Les chrétiens du pays, en se soumettant à la capitation, garderent leurs biens, leurs lois et leur religion. Un voyageur arabe, assez éloigné de ces temps, mais bien à même d'en parler par son esprit élevé et son instruction, EtTidjani, rappelle ainsi quel fut le sort des indigènes de l'Afrique septentrionale et l'esprit général de l'invasion arabe dans les pays conquis : « Tous ceux, mais ceuxlà seuls, qui ne se convertirent pas à l'islamisme ou qui, conservant leur foi, ne voulurent pas s'obliger à payer la capitation, durent prendre la fuite devant les armées musulmanes. »

Le christianisme n'est pas proscrit par eux.

La conversion des peuples n'était pas, en effet, le but suprême des fondateurs et des apôtres de l'islamisme.

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