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40 La fraction des Eulma provient d'un groupe d'individus de la grande tribu de ce nom qui habite les plaines des environs de Setif, auxquels les beys donnèrent des terres à Behîra Touïla.

Au moment où ces quatre fractions, sous le nom collectif d'habitants de Behira Touïla, eurent pris possession de leur nouveau territoire, les Haracta, que ce voisinage allait priver d'une certaine étendue de terres de parcours, essayèrent de les expulser. La lutte fut assez énergique, et l'intérêt commun cimenta le lien d'union entre les quatre nouvelles fractions, dont la diversité d'origine berbère et arabe aurait pu être une cause de mésintelligence.

Les habitants de Behîra Touïla, protégés par les beys, étaient en quelque sorte les pasteurs du gouvernement. C'est à eux que l'on confiait la garde des troupeaux de chameaux, de moutons et de bœufs du beylik. A ce titre, l'impôt qu'ils avaient à payer était presque nul, et lorsque les tribus makhzen prenaient les armes, ils fournissaient aussi leur contingent de cavaliers. Après la prise de Constantine, ils restèrent fidèles au dernier bey el-Hadj Ahmed et le suivirent aux Haracta; mais celui-ci, étant forcé par le mouvement de nos colonnes, de s'éloigner vers le Sud, ils jugèrent prudent de se soumettre à la France et de rentrer sur leur territoire.

LES ZEMOUL

I

Lorsque le voyageur, se rendant de Constantine à Batna, a traversé la riche vallée du Bou Merzoug et arrive à la hauteur du 50 kilomètre de la route, il aperçoit, devant lui, une vaste plaine encadrée par deux montagnes. C'est le territoire de l'ancienne tribu makhzen des Zemoul, situé entre le djebel Guerioun et une autre montagne dont le point culminant, à cause de sa forme particulière, est appelée par les indigènes le Nif en-Necer, le nez ou le bec de l'aigle.

La tradition locale prétend que les deux montagnes étaient autrefois en guerre et ne cessaient de se tirer des coups de canon. Dieu, pour mettre fin à cette lutte, envoya du Sahara une autre montagne, nommée Sidi Halilif, qui vint se placer entre les combattants et les força ainsi à vivre en paix. La preuve que la montagne de Sidi Halilif vient du Sahara, disent les tolba du pays, c'est qu'à son sommet on trouve du der'mous, plante qui ne croît que dans cette contrée.

On raconte aussi qu'au sommet du Nif en-Necer existe une caverne avec une source, où s'étaient jadis établis cinquante tolba qui passaient leur existence à lire le Koran. Un soldat turc, qui avait commis une faute, alla leur demander asile. Le bey, ayant eu connaissance de l'endroit où s'était retiré le transfuge, envoya un détachement de troupes pour s'en saisir. A son approche,

tous les tolba et le soldat turc lui-même, par la volonté de Dieu, furent transformés en oiseaux et prirent leur vol. Ils allèrent se poser sur une pointe de rocher inaccessible, qui porte encore le nom de Sidi Eugab.

Au milieu de la plaine des Zemoul, jadis dénudée et consacrée à la culture des céréales et au parcours des bestiaux, s'élève aujourd'hui le petit village routier de Melila.

Cette tribu occupe une superficie territoriale d'environ. 4,000 hectares (1), limitée, au nord, par les azels Gourzi et Medelsou; à l'Est, par la tribu des Berrania; au Sud, par les Oulad Ali Tahammamt et les Haracta Mader; enfin, à l'Est, par les Segnïa.

Vers la partie méridionale de son territoire s'étendent les deux lacs salés de Mezouri et de Tinsilt, entre lesquels existe une large chaussée sur laquelle passe la route de Constantine à Batna. Les lacs occupent une surface de plus de 6,000 hectares. De celui appelé Tinsilt, on extrail, en été, du sel marin qui forme une croûte de dix à douze centimètres d'épaisseur. Il s'y forme également du sulfate de soude: pendant l'hiver 1860-61, un industriel européen a pu en extraire un millier de quintaux métriques.

Si la plaine est dépourvue de végétation arborescente, il en est autrement sur les contreforts des montagnes environnantes. Au Nif en-Necer, aux Tarbent, Gountas et el-Hanout, existent des massifs de chênes-verts, genévriers et autres essences, qui ne demandent qu'à être respectées pour devenir des bois bien fournis.

(1) 2,400 hectares ont été concédés.

On rencontre, aux Zemoul, quelques ruines éparses de peu d'importance; cependant, sur la rive gauche de l'oued Kercha, entre le Guerioun et le djebel el-Hanout, on voit les vestiges d'une grande ville romaine que les indigènes nomment Tatoubt; c'est de ces ruines que furent extraites et apportées à Constantine les colonnes. employées à soutenir le vaisseau de la mosquée de Souqel-R'zel, transformée par nous en église catholique.

Sur le territoire des Zemoul, au pied du Guerioun, se trouve une source d'un débit considérable, nommée AïnFesguïa, dont les eaux sont destinées à approvisionner prochainement la ville de Constantine. Les nombreux vestiges antiques que l'on aperçoit autour de cette source, démontrent que déjà, à l'époque romaine, elle avait été aménagée avec soin. Ahmed Bey el-Colli, en 1756, utilisa les ruines des anciens établissements romains en créant, sur ce point, quelques vastes gourbis pour abriter ses chevaux. Son successeur, Salah Bey, donna une plus grande impulsion à ces premiers travaux, en y faisant construire de vastes écuries en maçonnerie. Il préposa, à la garde des écuries, ces mêmes familles de Semara ou Semaran, que nous verrons s'établir d'abord sur les rives de l'oued Roumel, à Aïn Semara. Il réserva alors, pour ses chevaux et ceux des gardes, les prairies qui s'étendent le long de la rive gauche de l'oued Fesguïa.

En 1804, lorsque le bey Osman se porta dans l'oued Zouhr à la poursuite du cherif Bou Dali, les Segnïa en profitèrent pour se révolter et venir dévaster, de fond en comble, l'établissement de Fesguïa. Tchaker-Bey, en 1818, força les Segnïa à le reconstruire à leurs frais. Cet établissement existe encore de nos jours; il a été réparé

par les soins de l'administration française, et il sert actuellement d'écurie aux étalons de l'État pendant l'époque de la monte.

N'oublions pas de rappeler ici que, d'après la tradition locale, une population juive habitait autrefois les environs de Aïn Fesguïa. On montre encore l'emplacement de son cimetière. D'après les uns, ces Juifs furent forcés de se convertir à l'islamisme, tandis que d'autres pensent qu'ils abandonnèrent le pays.

La population des Zemoul se compose actuellement de 5,000 individus environ, divisés en plusieurs douars, provenant d'origines diverses, mais dont la majeure partie a fini par adopter le nom de Oulad Seliman.

Avant de faire l'historique de la tribu des Zemoul, qui constituait le makhzen ou la force armée des beys de Constantine, il n'est pas sans utilité de définir le rôle qu'elle remplissait sous le gouvernement qui nous a précédé; il était à peu près le même dans les trois provinces de l'Algérie, nous n'avons donc qu'à répéter ce qui a déjà été dit sur leur institution:

» Makhzen, dans le sens précis du mot, signific gouvernement: le makhzeni est l'homme du gouvernement l'agent faisant partie de la colonne chargée du recouvrement de l'impôt annuel; il était considéré à la fois comme agent du fisc et comme soldat.

> Leur fondation, en Algérie, remonte à Kheir edDin Pacha, qui voulait, par leur établissement, se former une base solide et permanente de troupes auxiliaires, ayant à la fois l'influence politique du commandement et celle, toute militaire et stratégique, de la force, en même temps que créer, par les priviléges dont cette force était

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