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mier cheïkh de cette famille, laissa deux fils, Sâad et Amzeian, qui ont successivement occupé le pouvoir vers les premiers temps de notre séjour à Bougie. Le kaïd actuel des Djebabra est fils de Sâad.

La famille religieuse la plus influente de la vallée, fut d'abord celle des Oulad Amokran d'Amadan, dont nous avons eu à parler plus haut. Vers le xvIIe siècle, un autre marabout s'établit à Chellata, près d'Akbou; c'était Si Ali Cherif, issu du cherif marocain Mouley Abd es-Selam ben Machiche. Il épousa la fille du marabout des Illoula, Sidi Moussa ou-Ali, et leurs descendants sont encore jusqu'à ce jour à la tête de la zaouïa de Chellata, qui jouit d'une immense réputation, tant en Kabilie qu'en pays arabe. Cette famille a fourni des jurisconsultes distingués, qui se sont livrés à l'étude des lettres. On leur doit de nombreux ouvrages sur les lois et les sciences. Ses membres entretinrent des relations amicales avec les Turcs, mais ne se soumirent jamais à leur domination. Nous aurons à parler, plus loin, des nombreux services que le chef actuel de la famille, Si Mohammed Saïd ben Ali Cherif, a rendus à la France depuis 1847, époque de sa soumission (1).

(1) C'est à l'un des membres de cette famille, Si Mohammed ou-Ali, que remonte une tradition assez curieuse, qui s'est conservée dans le pays. A l'époque où il était encore peu connu, il alla au marché des Beni Our'lis pour faire quelques achats. Une discussion s'éleva entre lui et son vendeur. Celui-ci, irritable comme tous les Kabiles, s'emporta jusqu'à frapper le marabout des Illoula. Mohammed ou-Ali, honteux de cet affront subi en public, jura, en rentrant chez lui, de ne plus sortir de sa tribu. Cette règle, rigoureusement suivie pendant toute sa vie, fit dire aux populations qu'il avait été prévenu par Dieu que tous ceux de sa famille qui franchiraient les limites de la tribu, seraient frappés de mort. Un jour, son fils, Si Saïd, ne tenant pas compte de la tradition qui menaçait de mort les

Enfin, vient la famille religieuse des Oulad Si Cherif Amzeian ben el-Mihoub, résidant à Imoula, sur la rive droite de la vallée, que les Turcs traitèrent toujours avec considération, en raison de son influence sur les tribus dites de l'Harrach (1).

Avant la conquête française, les tribus de la vallée étaient presque constamment en guerre les unes contre les autres, et vivaient dans l'anarchie la plus complète. Elles vidaient la plupart de leurs différents par les armes, sauf les cas fort rares où l'influence des marabouts les plus vénérés parvenait à contenir la turbulence sauvage de ces esprits toujours en ébullition. Cependant, quand leur indépendance était menacée, toutes ces querelles se calmaient un instant; les parties se rapprochaient; l'amour de la liberté, excité encore davantage. par des prédications fanatiques, leur faisait faire des prodiges. Les Djebabra, qui auraient voulu devenir les autocrates du pays, avaient un goum d'une centaine de cavaliers, sans cesse en course dans la vallée, depuis

membres de sa famille qui sortiraient de la tribu, traversa l'oued Sahel pour aller voir un terrain qu'il avait sur l'autre rive. Il était à peine sorti de l'eau, que son mulet s'abattit; le cherif le releva d'un coup de bride; le mulet avança quelques pas et s'abattit de nouveau; Si Saïd le releva encore; enfin, le mulet s'abattit une troisième fois, et, quoique l'on fit, on ne put parvenir à le relever. Si Saïd, repentant alors d'avoir enfreint l'ordre de Dieu, vit, dans ces trois chutes successives, l'annonce de sa mort; il tomberait trois fois malade, et à la troisième il mourrait. Cette prédiction se réalisa de point en point, dit la tradition, dans l'année même où elle avait été faite.

(1) Ces marabouts font remonter leur origine au prophète; ils possèdent plusieurs diplômes établissant leur arbre généalogique et les faveurs que leur accordèrent les pachas d'Alger. Une branche de cette famille s'établit, au XVIe siècle, chez les Oulad Salem du Babor, où elle fonda une zaouïa.

Akbou jusqu'à la plaine de Bougie, épiant et dévalisant tous ceux qu'ils rencontraient. Les marabouts de Chellata luttèrent pendant sept ans contre eux, pour empêcher leurs incursions. Les tribus guerroyaient entre elles d'une rive à l'autre; les plaines de Tiklat et de Tabouda étaient alors le terrain de la poudre, le théâtre de fréquentes rencontres entre les Djebabra et leurs implacables ennemis, les Fenaïa et les Beni Our'lis. Aucune d'elles, assurément, n'aurait eu la folie de labourer ce champ maudit de la discorde, où l'on ne pouvait semer que la haine et recueillir que la mort. Cet état de luttes menaçantes entre tribus, ne fit qu'augmenter d'intensité après la chute d'Alger, et on verra plus loin combien notre prétendu traité d'alliance avec les Oulad ou-Rabah, cheïkhs des Djebabra, qui nous étaient présentés comme les princes influents de la vallée, souleva de difficultés en froissant la susceptibilité et la fierté de leurs rivaux.

De loin en loin, une petite colonne composée de vingt tentes de soldats tures (ce qui représentait un effectif d'environ 340 janissaires), et quelques centaines de cavaliers auxiliaires, quittaient jadis le camp du bey ou de son khalifa, établi à Sidi Oumbarek (Medjana), pour se rendre dans l'oued Sahel. Cette colonne passait ordinairement par le Guergour, les R'boula, Djenan el-Beylik, les Sanhadja, et campait enfin dans la plaine de Tabouda ou auprès de Tiklat, sur le bord de la rivière. Aidée de l'influence des familles puissantes, telles que les Oulad Amokran d'Amadan, les Oulad Ali Cherif de Chellata, les Oulad Si Cherif Amzeian d'Imoula, et les Oulad ouRahah, la colonne turque obtenait le passage sur le territoire des tribus et parvenait à lever un impôt bien mi

nime, du reste, sur un petit nombre de villages. Mais les dispositions pacifiques des Kabiles n'étaient pas toujours les mêmes, surtout quand les Turcs se présentaient après une mauvaise récolte. Dans ce cas, ils manifestaient leur refus d'une manière assez bizarre: du haut de leurs rochers, ils faisaient rouler un chien garotté au milieu du camp turc, en criant: «Voilà le repas de l'hospitalité que nous vous offrons! A ce signal, la prudence commandait aux Turcs de plier bagages et de s'éloigner sans

murmures.

Vers 1825, le kaïd qui gouvernait Bougie fut massacré par les Kabiles venus en foule pour piller la ville, et toutes les tribus, se sentant coupables, se déclarèrent alors en insurrection ouverte. Yahia Agha, qui a laissé en Algérie une réputation extraordinaire de bravoure, de justice et de sage politique, fut envoyé par le pacha pour rétablir l'ordre. Sa colonne descendit le cours de l'oued Sahel et campa à Timedetit, au pied des Beni Mellikeuch. Ben Ali Cherif lui fournit des mulets de transport et lui prêta l'appui de son influence religieuse (1). Arrivé au col d'ElFelaï, Yahia Agha, dont l'audace était chevaleresque, laissa reposer ses troupes, et prenant une simple escorte de cinquante cavaliers et un guide, il se rendit au village d'Ir'il-Alouanen, habité par le cheikh Saad ou-Rabah, chef de la révolte, qui s'apprêtait en ce moment à opposer aux Turcs une énergique résistance. Quel ne fut pas l'étonnement du chef Kabile, de se trouver tout-à-coup en

(1) Ben Ali Cherif lui imposa, comme condition, de brûler les villages des Souhalia, des Beni Abbas, qui, en maintes circonstances, avaient ravagé son territoire. Yahïa Agha tint sa promesse, et le Pacha, pour récom penser encore davantage le marabout, lui accorda, en fiefs, de vastes terrains de culture chez les R'erazla des environs de Setif.

présence de Yahïa Agha, qui lui demanda gracieusement l'hospitalité, lui annonçant que le pacha d'Alger l'avait chargé de lui apporter l'aman et de lui faire, en outre, cadeau d'un cheval richement caparaçonné! Såad ou-Rabah, vaincu par cette confiance généreuse, lui tendit la main et la paix fut conclue sans effusion de sang.

Moins heureux chez les Mezzaïa, l'officier turc fut repoussé avec pertes, en attaquant la fraction de Madala. Afin de mettre Bougie à l'abri d'une nouvelle irruption des Kabiles, il fit réparer les fortifications de la place et boucher les nombreuses brèches qui existaient dans son enceinte. Des jaloux prétendirent que Yahïa Agha avait alors l'intention de se créer un centre d'action, pour se déclarer ensuite indépendant. Victime des intrigues de ses ennemis, il fut rappelé à Alger avant d'avoir achevé son œuvre de restauration.

D'après le recensement quinquennal de l'année 1866, la population des tribus du cercle de Bougie se compose de:

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sur lesquels il y a 13,000 hommes armés de fusils.

L'ordre religieux qui a le plus d'adeptes, est celui des Khouan de Ben Abd er-Rhaman, du Jurjura.

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