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processions générales faites en l'église Notre-Dame. » On peut présumer qu'à Gênes et à Venise la joie ne fut pas aussi grande (1). Ce succès retentit de toutes parts et jeta dans l'épouvante les villes de la Barbarie. Les populations de la côte furent surtout effrayées; aussi plusieurs cités du littoral s'empressèrent-elles de demander la paix. Les habitants d'Alger dépêchèrent à Bougie des envoyés, qui signèrent une capitulation entre les mains du général espagnol. Dellys, Mostaganem et Tlemsen, n'étant pas en état de se défendre, devinrent tributaires de l'Espagne.

Maître de la ville de Bougie, Pierre de Navarre s'occupa immédiatement à la fortifier. Il mit garnison dans l'ancien château Vergelete (ou Abd el-Kader), fit construire le fort Impérial (Moussa ou Barral), et jeta les fondements d'une nouvelle kasba sur le bord de la mer.

D'après Marmol et autres écrivains espagnols, un prince maure, nommé Muley Abd Allah, dépossédé par son oncle Abd el-Aziz, sultan de Bougie, et que celui-ci avait constamment tenu enfermé, s'était tout-à-coup trouvé libre par l'entrée des chrétiens dans la ville. Abd el-Aziz l'avait fait aveugler avec un bassin de cuivre ardent, et, au moment de la prise de Bougie, on le délia et il s'enfuit. Empressé de se venger, il vint, quelques jours plus tard, offrir au général espagnol, avec le secours de son expérience, les renseignements qu'il avait sur le pays et les intelligences qu'il y entretenait. Le jour de Pâques, il se présenta devant la ville avec huit ou dix chevaux et autant d'hommes à pied, en la compagnie d'un cheïkh de dix-huit ans, qui était de ses amis. Il portait un éten

(1) Élie de la Primaudaie. Les Italiens étaient encore en relations commerciales avec Bougie, à l'exclusion des Espagnols.

dard blanc pour sa sûreté et fut fort bien reçu par le comte, qui, ayant été informé de son aventure et sachant. qu'on ne lui avait pas crevé les yeux, le mit entre les mains des chirurgiens de la flotte, qui lui coupèrent la chair des paupières que l'ardeur du feu lui avait collées sur les yeux; de sorte qu'il recouvra aussitôt la vue. Pour n'être pas ingrat d'un si grand bienfait, il donna avis que son oncle et les habitants étaient cachés entre des montagnes, et s'offrit de servir de guide pour les surprendre. Aussitôt le comte, tout joyeux, envoya deux de ses gens avec deux Maures pour reconnaître les lieux; ce qu'ayant fait, ils rapportèrent qu'ils n'étaient qu'à sept lieues de là, et que c'étaient de spacieuses prairies entre des montagnes où l'on pouvait aborder par le chemin qu'ils avaient vu.

Le 13 avril 1510, sous la conduite de ce prince, Pierre de Navarre partit de nuit avec quinze cents soldats, et, au point du jour, il arriva dans ces prairies, sans avoir rencontré personne (1). Ceux qui étaient à l'avant-garde (le colonel Diego de Vera y Samaniego), ayant pris des arbres pour des tentes d'Arabes, donnèrent l'alarme à la colonne; de sorte que le comte, voyant leur erreur, fit aussitôt crier Saint-Jacques! et courir à toute bride droit aux tentes, qui étaient à près de demi-lieue de là. Les Maures, qui avaient eu l'alarme, commençaient déjà à prendre la fuite; mais on les suivit jusqu'au haut de la montagne, où l'on en prit et tua plusieurs dans la pour

(1) L'arrivée du jeune prince et la date qui précède, démontrent qu'avant le mois de mars les Espagnols étaient déjà maîtres de Bougie. Le chroniqueur indigène se tromperait donc, en racontant que le siége durait en core au mois de mai.

suite. Incontinent, on mit le feu au camp, après avoir rassemblé tous les troupeaux et le butin. On prit neuf cents chameaux, autant de vaches, quantité de chevaux, de mulets, de moutons et de brebis, beaucoup d'or, d'argent et d'étoffes de soie, et tout l'équipage du roi et ses pierreries. Le comte se retira avec ce butin en si bon ordre, qu'il ne reçut aucun échec des Maures, qui le harcelaient de toutes parts, et en tua plusieurs; il ne perdit qu'un soldat qui avait quitté son rang. Comme il fut près de la ville, le nouvel évêque fut le recevoir avec tout son clergé, en chantant le Te Deum, et l'on fit de grandes réjouissances, quoique les troupes fussent fatiguées, car, outre qu'elles avaient passé deux rivières fort profondes, dont l'une, Huet el-Quibir, enflée extraordinairement des neiges qui fondaient alors, la plaine où ils avaient trouvé les Maures était environnée de ronces et de chardons, en façon de piéges, qui incommodèrent fort les soldats. Les Maures qu'on fit prisonniers disaient qu'ils croyaient cet obstacle suffisant pour arrêter les chrétiens (1).

Marmol, qui écrit au point de vue espagnol, exagère considérablement quand il nous dit que, dans cette périlleuse expédition, l'armée ne perdit qu'un seul homme sorti des rangs; exagération de tout bulletin de bataille; nous aurons l'occasion de signaler la même manie chez les écrivains indigènes.

Nous allons transcrire ici un document inédit, recueilli

(1) Marmol. D'après les détails qui précèdent, nous voyons que cette expédition remonta la vallée de la Soummam, et qu'elle effectua sa razia dans les plaines qui s'étendent à hauteur du Marché du Sebt des Djebabra.

dans les archives d'Espagne, et dont nous devons la communication à l'obligeance de notre confrère, M. Oppetit:

MAI, 1510.- Lettre du roi Ferdinand le Catholique à Don Pedro Navarro, son capitaine général en Afrique.

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Ferdinand, dans cette longue lettre, ne dément pas les principes d'économie qu'on lui connaît. Il informe d'abord minutieusement le comte de toutes les mesures qu'il a prises pour lui faire expédier de l'argent et des approvisionnements en farine et en biscuit. - Puis, il lui donne ensuite des instructions relativement au traité à faire avec Muley Abdallah, roi de Bougie.

(Ce sont ces instructions qui donnent de l'importance à cette dépêche; elles montrent quelle était l'opinion de Ferdinand, sur la manière de s'établir solidement en Afrique.)

Après avoir développé son système d'occupation, exigé certain tribut, comme gage de fidélité et de vasselage, le roi insiste pour que ses conquêtes en Afrique ne coûtent rien à son trésor:

« Il faut, continue-t-il, que les choses s'arrangent en Afrique de manière à ce que nous puissions, désormais, nous y soutenir largement par les propres res» sources du pays, parce que, nous soutenir toujours > comme nous le faisons à présent, en tirant tout d'ici, » serait impossible, et que, dans peu, nous perdrions le >> fruit de tous nos efforts actuels. Ainsi, il faut viser à » ce que les choses s'arrangent de manière que, pour > toujours, nos possessions se puissent conserver et > maintenir avec les ressources du pays, et qu'à l'avenir » il ne soit plus nécessaire de faire ici aucune dépense,

> si ce n'est celle qui pourrait être nécessitée par des se> cours en troupes ou en vaisseaux, suivant les cas qui › se présenteraient. »

Quant au traité à faire avec le roi Muley Abdallah, « il > me paraît, dit le roi Ferdinand, que, pour nous main» tenir en Afrique, si Dieu, notre Seigneur, le permet, » il faut poser en principe que nous devons occuper les

villes d'Oran, de Bugia et de Tripol, et que, dans ces > villes, il ne devra y avoir aucun Maure, afin qu'à l'a> venir elles ne soient peuplées que de chrétiens, parce

que, autrement, il ne serait pas possible de les con> server longtemps, si l'Afrique étant déjà tout entière > aux Maures, ceux-ci habitaient aussi ces villes; et pour » ces causes, comme déjà le titre de Bugia est inscrit, > comme à nous appartenant, dans le Mémorial de l'É

glise romaine, et accolé à nos autres titres royaux, il > nous parait convenable que ledit roi Muley ne prenne > pas le titre de roi de Bugia, mais bien qu'il se nomme, » à son choix, roi de quelque autre terre, lieu ou pro> vince....... ◊

Cette lettre intéressante se termine par la faveur que Ferdinand accorde au roi de Bugia de demeurer provisoirement dans le bas faubourg de la ville, avec environ cent habitants Maures, jusqu'à ce qu'il ait pu fixer sa ré sidence ailleurs.

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Il y avait déjà plus d'un an que Pierre de Navarre était à Bougie, lorsque la peste vint à se déclarer parmi la garnison, qui, au dire de Marmol, s'élevait alors jusqu'à 15,000 hommes. Les troupes étant entassées dans un espace très restreint, l'épidémie fit de grands ravages, elle emportait plus de cent hommes par jour. Cette cir

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