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neur de l'Afrique romaine, portait le titre de dekar. C'est Theophylacte Simocatta qui nous le dit. En dialecte chelha, la racine dokar signifie frapper; mais, avant d'admettre qu'elle ait donné naissance au mot dekar, il faudrait avoir des indications plus précises et plus claires que celles fournies par l'historien de l'empereur Maurice.

Daus le Pœnulus de Plaute se trouve un monologue de 16 vers dont on suppose que les dix premiers sont en langue phénicienne et les six autres en langue libyque ou berbère. Nous osons déclarer, sans rien énoncer à l'égard des vers présumés phéniciens, que les derniers méritent autant de considération que le dialogue turc du Bourgeois Gentilhomme et le beau discours arabe de Panurge.

Il ne faut pas chercher en berbère la signification du mot Atlas; nous savons par Strabon que cette dénomination n'était usitée que chez les Grecs. On lit dans cet auteur: « En avançant au» delà de ces colonnes (les colonnes d'Hercule) et laissant l'Afri» que à gauche, on rencontre une montagne que les Grecs appel» lent Atlas et les Barbares Dyrin.» -(oros estîn hoper oi men Hellénès Atlanta kalousîn, oi Barbaroi dé Durin). — Les traducteurs, voyant que ce dernier nom était à l'accusatif, lui ont supposé une forme nominative, à la grecque, et l'ont tous rendu par Dyris, terme qui ne se trouve dans aucun écrivain de l'antiquité. Nous lisons dans l'Histoire naturelle de Pline (liv. v): « Ab eo amne (quem vocant Fut) ad Dyrin, hoc enim Atlanti >> nomen esse eorum (scil. in digenarum) linguâ convenit, ducenta » millia. » Ici, les traducteurs ont encore écrit Dyris, et avec aussi peu de raison qu'auparavant. Connaissant mieux leur métier et leur sujet, ils eussent conservé la forme Dyrin. Nous lisons dans Solin: « Hæc de Atlantide quem Mauri Adderim >> nominant. » Pourquoi le traducteur met-il Adderis ? Où a-il trouvé cette forme? Martianus Capella écrit: « Hunc (scil. >> montem Atlantem) incolæ Adirim vocant. » Le traducteur, égaré par la même fausse analogie, met Adiris. Il paraît certain que Dyrin ou Adderin est le même mot qu'Idraren, pluriel régulier d'adrar (montagne en langue berbère). De nos jours en

core, les habitants de l'Atlas marocain donnent le nom d'Idraren à toute cette chaîne de montagnes. Un mot vraiment berbère se trouve enfin chez les anciens ! Ce fait reconnu, on peut conclure que, déjà du temps d'Hérodote, on parlait berbère dans toute la région montagneuse qui entoure les provinces méridionales de l'empire marocain.

L'anonyme de Ravenne nous apprend que la Mauritanie tingitane était appelée Abrida; puis il ajoute, mais à tort, que ce fut là où Bélisaire défit les Vandales. Un peu plus loin, il dit : « Mau>> ritania ghaditana quæ et barbaro modo Abrida dicitur. » En Berbère, le mot abrid, au féminin tabrida, signifie route, et il proest digne de remarque que, sur le Molouiá, frontière de la vince que l'anonyme vient de nommer, s'élevait une ville nommée Tubrida. Il est assez singulier que le traducteur français de la géographie d'Idrîci ait écrit ce nom Tabrenda, bien qu'il eût entre les mains l'Edrisi. de Hartmann et la Géographia Nubiensis des Maronites, ouvrages dans lesquels ce mot est orthegraphié correctement.

Quant au mot magalia (tentes), au singulier magalé, il appartient à la langue phénicienne.

M. Movers, dans ses Phoenizier (t. 11, 2° part., p. 409), cite plusieurs noms que les Latins semblent avoir empruntés aux indigènes de l'Afrique; dans le nombre nous pouvons signaler: cera (cire), qui se dit en berbère tekir, avec l'article déterminatif du genre féminin; le pois chiche (cicer, punicum cicer), se nomme en chelha ikiker; la lentille, en latin lens, lentis, s'appelle en berbère tiniltit ou telentit; le chou (crambé, libys caulos), s'appelle en zouaoua akrenbit, mais ce mot paraît être emprunté à la langue grecque; le mot hortus (jardin) se représente en chelha par purti et en zenatia par eggur, tigguert, tuggurt, mots dans lesquels on reconnaît le nom latin ager; mais il est assez probable que ces termes, ainsi qu'ourti, sont des emprunts faits au latin 1.

Nous sommes de l'avis de M. Quatremère au sujet du mot alghom

En chelha, le mot tayoka, forme féminine de yoka, est employé pour désigner une paire de bœufs attelés à la charrue. Ce terme ressemble beaucoup à son équivalent latin jugum ; mais les Anglais possèdent le mot yoke, les Allemands le motioch, le Arabes le mot zoudj, et il paraît même que la racine primitive youga

existé en sanscrit.

En chelha, navire se dit tennaut, terme qui rappelle les mots latins navis, nauta.

La géographie de Ptolémée, les ouvrages de Pline, de Méla, d'Ammien Marcellin, les itinéraires d'Antonin et de Peutinger, la liste des évêchés d'Afrique, nous font connaître beaucoup de noms de lieux qui ne peuvent s'expliquer ni par le latin, ni par le grec. Bien qu'un petit nombre de ces mots offre une signification en langue berbère, il serait imprudent, dans l'état actuel de nos connaissances, d'entreprendre une analyse étymologique de tant de noms barbares.

Il en est de même à l'égard des noms propres d'hommes. Les historiens de l'empire romain, ainsi que Procope, nous en ont conservé un certain nombre; mais c'est Corippus qui nous en fournit le plus. Dans son poème latin, le Johannide, composé vers le milieu du sixième siècle de J.-C. et imprimé pour la première fois en 1820, on trouve les noms d'environ cent cinquante chefs et guerriers appartenant à la race libyenne ou numide. L'auteur s'écrie en rapportant ces mots barbares :

Quis mihi tot populos gentesque et proelia vates
Ordinet arte nova?. . . .

Temperet insuetis nutantia carmina verbis :

Nam fera barbaricæ latrant sua nomina linguæ.

Dans la plupart des langues on rencontre des obstacles souvent

(chameau), en chelba, aram; ce savant le considère comme berbère, tandis que M. Movers, daus son Phoenizier (t. 11, 2° partie, p. 365), n'y voit qu'une altération du mot arabe djemel. Nous conviendrions volontiers qu'alfana vienne d'equus, que wig dérive de perruque, (en anglais periwig, par aphérèse, wig), mais nous doutons fort . qu'aram provienne de djemel.

insurmontables quand on essaie de trouver l'étymologie de noms propres. En chelha et en touareg, les noms des hommes n'ont plus aucune signification. Beaucoup de chefs berbères ont porté des noms qui ne s'expliquent plus à l'aide de leur langue. Aussi, nous n'oserions entamer la discussion étymologique des noms libyens avant de pouvoir indiquer d'une manière certaine la signification de Bologguin, de Makcen, de Soggout, de Tachefin, de Tafraguin, et d'autres noms purement berbères.

L'on peut cependant se permettre de faire quelques observations à ce sujet :

1° Parmi les noms conservés par Corippus on en trouve une trentaine qui se terminent en an, en, ou in, syllabes formatives du participe actif en berbère :

2o Il s'y présente aussi à peu près autant de noms qui se terminent en es ou as, pronom possessif de la troisième personne du singulier, en berbère;

3o Nous y trouvons aussi quelques noms qui prennent la terminaison asen, pronom possessif de la troisième personne du pluriel, en berbère. Tels sont :

Hisdreasen,

Ielidassen,

Macurasen,"

Manonasen,

Manzoracen.

Les lecteurs d'Ibn-Khaldoun ne manqueront pas de faire un rapprochement entre ces derniers noms et celui de Yaghmoracen, fondateur de la dynastie abd-el-ouadite. On sait que ce chef avait mérité par sa bravoure le titre d'étalon de la tribu (fahl el caum, comme le disaient les Arabes), aussi, en berbère, le nommait-on Yaghmoracen (admissarius eorum), C'est ainsi qu'en arabe africain, le mot lallahom, nom propre de femme, signifie la maîtresse d'eux.

Les noms de ces trois catégories ont des formes parfaitement berbères; de plus, ils se réduisent à des racines trilitères, quand on les dépouille des syllabes accessoires, et ils rentrent ainsi

dans la classe de mots berbères. Vouloir trouver, dès-à-présent, la signification de ces racines, ce serait entreprendre l'impossible; nous ne connaissons encore qu'une très-faible portion du vocabulaire général de la langue berbère; même, si nous en possédions tous les mots, toutes les racines, nous hésiterions d'appliquer nos connaissances à une série de mots qui, bien qu'ils semblent faire partie de cette langue, ont peut-être cessé d'être employés depuis plus de treize siècles.

Je ne saurais terminer ma tâche, fruit d'un travail assidu de quatorze années, sans témoigner ici ma profonde reconnaissance au Ministère de la Guerre, dont l'administration intelligente a su, au milieu des plus graves préoccupations, encourager les travaux et les recherches relatives à l'histoire et à la géographie de notre belle colonie algérienne. Sans lui, cet important ouvrage aurait encore dormi longtemps sur les rayons poudreux de nos bibliothèques. Je me plais donc à le remercier des encouragements qu'il a toujours accordés à ce genre d'études et à lui exprimer ma reconnaissance de toutes les marques de bienveillance dont il m'a favorisé.

DE SLANE.

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