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dans le navire mis à sa disposition, il alla descendre sur la côte de la province de Maroc. Ayant alors reconnu qu'il ne devait pas compter sur l'appui d'Amer-Ibn-Mohammed, vu que ce chef était alors étroitement bloqué par les troupes de Soleiman-IbaDawoud, il se remit en mer avec l'intention de rentrer au port d'où il était parti; mais, en passant devant Tanger, il prit une résolution désespérée, et se fit débarquer au pied du mont Safiha, dans le pays des Ghomara. A peine s'y fut-il montré, que toute la population accourut pour le soutenir et elle jura de le défendre jusqu'à la mort.

S'étant alors emparé de Ceuta et de Tanger, il rencontra dans cette dernière ville l'ex-seigneur de Constantine, Abou-'l-Abbas, qui s'y était rendu en sortant de la prison de Ceuta. Nous avons déjà parlé des événements qui procurèrent la liberté à ce prince hafside. Accueilli par Abou-Salem comme un ami, Abou-'lAbbas ne cessa de jouir de sa haute bienveillance, jusqu'à ce que le destin le retirât de l'exil pour le mettre en possession du royaume paternel. Le prince mérinide trouva aussi à Tanger ElHacen-Ibn-Youçof de la tribu des Ourtadjen, Abou-'l-HacenAli-Ibn-es-Saoud, secrétaire du bureau de la guerre et Abou-']Cacem-et-Tilimçani le chérif. Ces trois personnages avaient encouru la disgrâce de Mansour-Ibn-Soleiman qui, les ayant soupçonnés d'entretenir des intelligences avec El-Hacen-Ibn-Omar, alors assiégé dans la Ville-Neuve, venait de les renvoyer du camp avec l'ordre de passer en Espagne. Ils entrèrent tous au service d'Abou-Salem, El-Hacen-Ibn-Youçof comme vizir; Ibnes-Saoud comme écrivain du paraphe et le chérif Et-Tilimçani comme intime du palais et compagnon de promenade.

Bientôt après la soumission de Ceuta et de Tanger, les forteresses que les Mérinides possédaient en Espagne reconnurent l'autorité d'Abou-Salem, et Tahyaten-Ibn-Omar, gouverneur de Gibraltar, lui amena les troupes qui formaient la garnison de cette ville.

Le bruit de ces événements se répandit rapidement et l'armée du nouveau sultan augmenta tous les jours. Mansour-Ibn-Soleiman tenait encore la Ville-Neuve assiégée quand il eut connais

sance du danger et, pour l'avertir, il plaça ses frères, Eiça et Talha, à la tête d'un corps de troupes et les envoya contre les insurgés. Ces chefs occupèrent Casr-Ketama, livrèrent une bataille à Abou-Salem et le repoussèrent dans la montagne [des Ghomara]. Alors, le vizir El-Hacen-Ibn-Omar, qui se tenait toujours derrière ses remparts, s'empressa de faire porter à ce prince l'assurance de son dévouement et la promesse de lui remettre la Ville-Neuve, siége de l'empire; et Masoud-Ibn-Rahhou-IbnMaça, craignant d'avoir encouru la haine de Mansour et d'Ali, fils de Mansour, suivit les conseils de quelques partisans d'AbouSalem et s'enfuit pour aller le joindre. Mansour se vit bientôt abandonné de la plupart de son monde et, découragé tout-à-fait par la retraite des chefs Mérinides qui l'avaient soutenu, il courut se réfugier dans Badis, ville située sur le littoral du Maghreb. Les troupes qu'il avait laissées au camp se mirent alors en ordre de marche, par escadrons, et passèrent sous les drapeaux d'Abou-Salem, en l'invitant à se porter sur la capitale. Aussitôt qu'Abou-Salem parut sous les murs de la Ville-Neuve, El-Hacen-Ibn-Omar déposa son fantôme de sultan et le lui envoya; sortant ensuite au-devant du prince triomphateur, il lui prêta le serment de fidelité et l'introduisit dans la forteresse. Cet événement eut lieu le vendredi, 15 Châban 760 (milieu de juillet 1359.)

Devenu ainsi souverain du Maghreb, Abou-Salem vit accourir au pied du trône une foule de députations, chargées de lui présenter les hommages de ses états. Pour éloigner El-Hacen-IbnOmar dont il redoutait la présence, il lui fournit un corps de troupes et le fit partir pour Maroc en qualité de gouverneur. Masoud-Ibn-Rahhou-Ibn-Macaï et El-Hacen-Ibn-Youçof-el-Ourtadjeni reçurent le titre de vizir, et le savant légiste, Abou-AbdAllah-Mohammed-Ibn-Ahmed-Ibn-Merzouc, prédicateur de la cour sous le règne du père d'Abou-Salem, fut admis au nombre des familiers du palais. L'auteur de cet ouvrage devint à la fois secrétaire particulier du sultan et secrétaire des commandements: ayant remarqué que les affaires de Mansour-Ibn-Soleiman tombaient en désarroi et convaincu que l'autorité suprême passerait

entre les mains d'Abou-Salem, j'avais

abandonné le camp de

Kodia-t-el-Araïs pour aller trouver ce prince. Il m'accueillit avec une bienveillance extrême, me traita comme si j'étais son propre fils et me nomma son secrétaire intime.

Pendant que l'autorité du sultan se consolidait en Maghreb, les partisans qu'il avait à Badis arrêtèrent Mansour-Ibn-Soleiman ainsi qu'Ali, fils de Mansour, et les amenèrent enchaînés à la capitale. Abou Salem les fit comparaître devant lui pour leur adresser des reproches et ensuite il les envoya au supplice. Ils moururent vers la fin de Chaban (juillet), criblés de coups de lance. D'après son ordre, on conduisit en Espagne, pour rester sous bonne garde dans la forteresse de Ronda, ses frères, ses cousins, tous les autres princes du sang, ainsi que les membres les plus influents des branches collatérales de la famille royale. Son neveu, Mohammed, fils d'Abou-Abd-er-Rahman, parvint à s'échapper et, après avoir passé quelque temps à Grenade, il se rendit à la cour du roi chrétien où il continua à séjourper jusqu'à ce qu'il montât sur le trône du Maghreb. Nous raconterons son histoire plus tard. Abou-Salem était depuis quelque temps en possession du pouvoir quand on fit embarquer les détenus de Ronda, sous le prétexte de les envoyer en Orient et, lorsque le navire se fac éloigné de la côte, on les jeta tous à la mer, conformément à l'ordre que ce monarque avait donné. S'étant ainsi débarrassé de tous ses rivaux, il resta seul maître de l'empire. La volonté de Dieu domine les événements !

Au prince hafside, Abou-l-Abbas, le sultan prodigua les égards et les honneurs : il fit disposer pour sa réception la maison d'Amer-Ibn-Feth-Allah, ancien vizir d'Abou-'l-Hacen; il lui assigna aux audiences publiques une place immédiatement à côté de la sienne, et lui promit de le faire monter sur le trône de Tunis. Aussi, quand il se fut emparé de Tlemcen, il envoya son protégé en lirikïa.

Notre auteur avait alors vingt-huit ans.

RIDOUAN, MINISTRE DU ROI DE GRENADE, EST ASSASSINÉ. SON SOUVERAIN, IBN-EL-AHMER, EST DÉTRÔNE ET SE PRESENTE

LA COUR DU SULTAN ABOU-SALEM.

En l'an 755 (1354), Mohammed, fils du sultan Abou-'l-Haddjadj, occupa le trône de l'Andalousie devenu vacant par la mort de son père, et Ridouan, affranchi d'Abou-'l-Haddjadj, s'attribua la haute direction des affaires. Ismail, fils cadet du feu sultan, avait été désigné comme héritier du royaume, par suite de la tendre affection que ce monarque lui portait ainsi qu'à sa mère; mais, maintenant que l'on eut fait passer la souveraineté à un autre, il se vit relégué dans le fond d'un palais. Il avait épousé sa cousine, sœur-germaine de Mohammed, fils d'Ismail, fils du raïs Abou-Saîd; aussi, fit-il inviter secrètement son beau-frère à travailler pour le placer sur le trône. Mohammed y consentit et, profitant de l'absence du sultan qui était allé à une de ses maisons de campagne, il rassembla la lie de la populace, dans la nuit du 27 Ramadan (12 août 1359), escalada les murs de l'Albamra, enfonça la porte de la maison habitée par le chambellan Ridouan et tua ce ministre sous les yeux de ses femmes et de ses filles. Ayant alors fait monter Ismail à cheval, il le conduisit au palais impérial et le proclama sultan. Pendant que les remparts de l'Alhamra retentissaient du bruit des tambours, le sultan s'enfuit de sa maison de plaisance et se réfugia dans Guadix.

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Au point du jour, les grands de l'empire et les autres classes de la population se présentèrent devant Ismaîl et lui prêtèrent le serment de fidélité. Le raïs Mohammed s'arrogea alors toute l'au

Le 28, selon Ibn-el-Khatib, ms ar. de la Bib. imp. numéro 758.

torité et, quelques mois plus tard, il tua son cousin, le nouveau sultan, et se plaça lui-même sur le trône.

Le sultan Abou-Salem ressentit un mécontentement extrême en apprenant l'assassinat de Ridouan et la déposition d'AbouAbd-Allah[-Mohammed-Ibn-el-Ahmer], prince auprès duquel il avait trouvé une génereuse hospitalité, et il ordonna à son familier, le chérif Abou-'l-Cacem, de partir sur le champ et de lui amener le monarque déchu. Cet envoyé passa en Espagne, obtint des ministres du gouvernement grenadin la permission de conduire en Maghreb le réfugié de Guadix et, leur ayant adressé une sommation formelle au nom de son maître, il procura la mise en liberté d'Abou-Abd-Allah-Ibn-el-Khatib, vizir et secrétaire d'état qu'ils avaient emprisonné, lors de cette révolution, parce qu'il était le lieutenant du chambellan Ridouan et l'un des plus fermes soutiens du souverain qu'ils avaient trahi. Il alla ensuite à Guadix pour y prendre l'ex-sultan et se rendit avec lui en Afrique, où ils débarquèrent dans le mois de Dou-'l-Câda de la même année (octobre 1359)2.

Quand le monarque andalousien arriva dans le voisinage de Fez, Abou-Salem monta à cheval pour aller à sa rencontre ; ensuite, il le conduisit dans la salle d'audience, que l'on avait décorée pour cette occasion et qui se trouvait remplie d'une foule de cheikhs et de grands officiers de l'empire. Le vizır Ibn-el

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Ibn-el-Khatib s'était distingué comme di lomate, comme poète et comme historien. Il était un des amis de notre auteur, qui rapporte, plus loin, les circonstances qui amenèrent la mort de cet homme vraiment remarquable. El-Maccari, l'auteur d'une histoire d'Espagne dont le texte arabe s'imprime maintenant, consacre toute la seconde partie de son grand ouvrage à la biographie d'Ibnel-Khatib. Les manuscrits de cet ouvrage ne sont pas rares ; il s'en trouve à Paris, à Londres, à Constantine et à Alger.

2 Selon Ibn-el-Khatib, le sultan débarqua en Afrique le lendemain du jour du Sacrifice, c'est-à-dire le 11 Dou-'l-Hidðja, un mois plus tard que la date indiquée ici par Ibn Khaldoun.

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