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le mois de ramadan 765 (juin 1364 de J. C.), et qu'il désirait m'avoir auprès de lui. Je demandai aussitôt au sultan Ibn el-Ahmer la permission d'aller joindre ce prince; mais en considération de l'amitié que je portais à Ibn el-Khatib, je lui cachai la conduite de ce vizir. Il consentit avec un vif regret à mon départ, et, quand je lui fis mes adieux, il me pourvut de tout ce qui était nécessaire pour Il me donna aussi une lettre de congé (ou passe-port Em pow), qu'il avait fait dresser par le vizir Ibn el-Khatib1.

mon voyage.

dresser,مرسوم التشييع

L'émir Abou Abd-Allah Mohammed, seigneur de Bougie, s'était rendu au sultan Abou Eïnan, en l'an 1352. Son cousin, l'émir Abou 'l-Abbas, seigneur de Constantine, tomba au pouvoir du même sultan, en 1357. Le premier fut conduit à Fez, où il resta sous la surveillance du gouvernement mérinide, et le second fut enfermé dans la citadelle de Ceuta, où on le retint prisonnier jusqu'à l'époque où le sultan Abou Salem débarqua en Afrique, avec l'intention de s'emparer du trône du Maghreb. Ce prince lui rendit alors la liberté et l'emmena avec lui à Fez, d'où il ne tarda pas à l'envoyer en Ifrîkiya avec l'émir Abou Abd-Allah. Ibn Khaldoun rapporte ici toutes ces circonstances avec de longs détails que je supprime; le lecteur pourra les retrouver dans l'Histoire des Berbers, tomes III et IV de la traduction.

1 Ce document est trop long pour être reproduit ici; il est rédigé en prose rimée et écrit dans un style très-recherché. Le sultan y fait un grand éloge d'Ibn Khaldoun, et ordonne à tous les chefs, cheikhs de tribus et autres serviteurs de l'État, de lui prêter aide et assistance, et de

lui fournir le logement et tout ce dont il aura besoin dans son voyage. Cette pièce porte la date du 19 djomada premier 766 (13 février 1365 de J. C.). Après la date, le sultan avait tracé de sa propre main cet c'est-à-dire, « ceci est au

صح

هذا : alama

thentique. »

De mon voyage d'Espagne à Bougie, où je deviens hadjeb avec une autorité absolue.

Ce fut principalement par mes démarches auprès des intimes du sultan Abou Salem, et auprès des gens de plume admis à la cour, que les émirs hafsides obtinrent l'autorisation de rentrer dans leur pays. Abou Abd-Allah me donna en partant une pièce écrite de sa main, par laquelle il s'engagea à me prendre pour hadjeb aussitôt qu'il rentrerait en possession de Bougie. Dans nos royaumes de la Mauritanie, la hidjaba, ou office de hadjeb, consiste à diriger, seul et sans contrôle, l'administration de l'État, et à servir d'intermédiaire entre le sultan et ses grands officiers. Je fis accompagner l'émir Abou Abd-Allah par mon frère cadet, Yahya, que je chargeai de remplir, par intérim, les devoirs de cette charge.

Ensuite eurent lieu mon voyage en Espagne, mon séjour dans ce pays, et le refroidissement d'Ibn el-Khatîb à mon égard. J'appris alors qu'Abou Abd-Allah avait enlevé Bougie à son oncle (le sultan Abou Ishac), au mois de ramadan 765 (juin 1364 de J. C.), et je reçus de cet émir une lettre par laquelle il me pressait d'aller le joindre. Je pris sur-ie-champ la résolution de partir; mais le sultan Ibn el-Ahmer (Mohammed V), ne se doutant pas de la mésintelligence qui régnait entre son vizir et moi, s'opposa à mon projet. J'insistai toutefois d'une manière si tenace, qu'il y donna son consentement et me combla de marques de sa bienveillance. Vers le milieu de l'an 766 (février-mars 1365 de J. C.), je m'embarquai au port d'Almeria, et, après quatre jours de navigation, j'arrivai à Bougie, où le sultan Abou Abd-Allah avait fait de grands préparatifs pour me recevoir. Tous les fonctionnaires de l'État vinrent à cheval au-devant de moi; les habitants de la ville se précipitèrent de tous les côtés. pour me toucher et me baiser la main; c'était vraiment un jour de fête ! Quand j'entrai chez le sultan, il se répandit en souhaits pour mon bonheur, me combla de remerciments, et me revêtit d'une robe d'honneur. Le lendemain une députation, composée des principaux officiers de l'empire, se présenta à ma porte pour me compli

menter de la part du souverain. Je pris alors les rênes du gouvernement, et je m'appliquai avec zèle à organiser l'administration et à bien conduire les affaires de l'État. Le sultan m'ayant désigné pour remplir les fonctions de prédicateur à la grande mosquée de la casaba (citadelle), je m'y rendais régulièrement tous les matins, après avoir expédié les affaires publiques, et j'y passais le reste de la journée à enseigner la jurisprudence.

amassé

Il survint alors une guerre entre le sultan, mon maître, et son cousin, l'émir Abou 'l-Abbas, seigneur de Constantine, guerre allumée par des conflits qui avaient pour cause l'incertitude de la ligne frontière qui séparait les deux États. Les Douaouida, Arabes nomades cantonnés dans cette partie du pays, entretenaient le feu de la discorde, et chaque année les troupes des deux sultans en venaient aux mains. L'an 766 (1364, 1365), les deux armées, commandées par leurs souverains respectifs, se rencontrèrent dans le Ferdjîoua1, et le sultan Abou Abd-Allah, ayant essuyé une défaite, rentra à Bougie, après avoir dépensé en subsides aux Arabes l'argent que j'avais pour son son service. Comme le nerf de la guerre lui faisait défaut, il m'envoya contre les tribus berbères qui, retranchées dans leurs montagnes, avaient refusé, pendant quelques années, d'acquitter les impôts. Ayant envahi et dévasté leur pays, je les obligeai à donner des otages pour assurer le payement entier des contributions. Cet argent nous fut très-utile. En l'an 767, le sultan Abou 'l-Abbas envahit le territoire de Bougie, après avoir entamé une correspondance avec les habitants de la ville. Comme la sévérité d'Abou Abd-Allah y avait indisposé les esprits, ils répondirent au sultan en se déclarant prêts à reconnaître son autorité; et leur souverain, qui venait d'en sortir pour repousser son adversaire, et qui avait établi son camp sur le mont Lebzou, s'y laissa surprendre et perdit la vie. Pendant qu'Abou 'l-Abbas marchait sur la ville, dans l'espoir

1

Le caïdat du Ferdjîoua est situé au nord-est de Sétif et à l'ouest de Constan

tine.

2

* Probablement la montagne qui domine le défilé d'Akbou ou Tîklat, dans la vallée de Bougie.

que les habitants tiendraient leur promesse, une partie d'entre eux vint me trouver à la casaba, et m'invita à proclamer un des enfants d'Abou Abd-Allah. Ne voulant pas me prêter à cette proposition, je sortis de la ville et me rendis auprès du sultan Abou 'l-Abbas, dont je reçus un excellent accueil. Je le mis en possession de Bougie, et les affaires reprirent aussitôt leur train ordinaire.

Peu de temps après, je m'aperçus qu'on travaillait à me desservir auprès du sultan, en me représentant comme un homme très-dangereux, et je me décidai à demander mon congé. Comme ce prince s'était engagé à me laisser partir quand je le voudrais, il y donna son consentement avec quelque hésitation, et je me rendis chez Yacoub Ibn Ali, chef des Arabes Douaouïda, lequel se tenait alors dans le Maghreb. Le sultan changea aussitôt de sentiments à mon égard; il fit emprisonner mon frère à Bône, et fouiller nos maisons, dans le vain espoir d'y trouver des trésors. Je quittai alors les tribus dont Yacoub était le chef, et me dirigeai du côté de Biskera, où je comptais être bien accueilli par mon ancien ami Ahmed ibn Youçof Ibn Mozni, dont j'avais aussi connu le père. Mon attente ne fut pas trompée; ce cheïkh me reçut avec plaisir, et m'aida de son argent et de son influence.

Je passe au service du sultan Abou-Hammou, seigneur de Tlemcen.

Le sultan Abou Hammou, ayant pris la résolution de marcher contre Bougie', m'écrivit d'aller le joindre, car il avait appris mon départ de cette ville, l'arrestation de mon frère et de ma famille. par les ordres d'Abou 'l-Abbas, et la confiscation de mes biens. Comme je voyais les affaires s'embrouiller, je n'acceptai pas son invitation, et, lui ayant adressé mes excuses, je passai encore quelque temps au

'Quand la nouvelle de la prise de Bougie et de la mort du sultan Abou Abd-Allah parvint aux oreilles de son gendre, Abou Hammou l'Abd-el-Ouadîte, sultan de Tlemcen, ce prince en fut tellement courroucé Prolégomènes.

qu'il marcha contre Abou 'l-Abbas et le força de s'enfermer dans la ville conquise; mais une suite de trahisons et de revers le firent renoncer à son entreprise, et il rentra à Tlemcen.

G

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milieu des tribus commandées par Yacoub Ibn Ali. M'étant ensuite rendu à Biskera, je descendis chez Ahmed Ibn Youçof Ibn Mozni, l'émir de cette ville.

Le sultan Abou Hammou, étant rentré à Tlemcen, essaya de gagner les Arabes rîahides, dont les Douaouïda faisaient partie, afin de pouvoir envahir le territoire de Bougie avec leur concours et avec l'appui de ses propres troupes. Connaissant les rapports que j'avais eus récemment avec ces nomades', et me jugeant digne de sa confiance, il me pria d'aller les réunir sous mes ordres et les amener à son secours. Dans une lettre dont je donnerai la copie, et qui renfermait un billet écrit de sa main, il m'informa qu'il m'avait choisi pour remplir auprès de lui les fonctions de hadjeb et d'écrivain de l'alama. Voici le contenu du billet :

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Que Dieu soit loué de ses faveurs et remercié de ses bienfaits! Nous faisons savoir à l'honorable légiste Abou Zeïd Abd er-Rahman Ibn Khaldoun, que Dieu le tienne en sa garde! qu'il est invité à se rendre auprès de notre personne pour occuper la haute station et la position élevée pour lesquelles nous l'avons choisi, savoir : de tenir la plume de notre khalifat et d'être mis au rang de nos amis. Signé le serviteur de Dieu, en qui il met sa confiance, Mouça, fils de Youçof. Que la grâce de Dieu soit sur lui 2! »

Le secrétaire du prince avait inscrit sur ce billet la date du 27 redjeb 769 (20 mars 1368 de J. C.).

Voici la copie de la lettre :

Que Dieu vous exalte, docte légiste, Abou Zeid, et, qu'il vous tienne toujours en sa sainte garde! Étant bien assuré de l'amour

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الرحمن بن خلدون حفظه الله على انك

Dans le texte arabe, après les mots

Le texte de l'Autobiographie a beau

1

il faut sans doute insérer, لقرب عهدی تصل إلى مقامنا الكريم بما اخصصناكم به

من الرتبة المنيعة والمنزلة الرفيعة وهو قلم خلافتنا والانتظام في سلك اوليائنا

بهم

coup souffert de la négligence des copistes.

2 Voici le texte de ce billet :

الحمد لله على ما أنعم والشكر لله على ما اعلمناكم بذلك عبد الله المتوكل على الله

موسى بن يوسف لطف الله به

اوهب ليعلم الفقيه المكرم ابو زيـد عـبـد

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