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force des armes1, afin de vaincre l'esprit d'opposition, qui forme un des caractères de la race humaine. Or, pour combattre, il faut avoir des partisans animés tous d'un même esprit de corps, ainsi que nous l'avons dit vers le commencement de ce chapitre. Ceci est une règle dont le lecteur verra l'application dans ce qui va suivre. Que Dieu nous soit en aide!

P. 235. L'esprit de corps ne se montre que chez les gens qui tiennent ensemble par les liens du sang ou par quelque chose d'analogue.

Les liens du sang ont une force que presque tous les hommes reconnaissent par un sentiment naturel. Leur influence porte à ce qu'on se préoccupe de l'état de ses parents et de ses proches, toutes les fois qu'ils subissent une injustice ou qu'ils risquent de perdre la vie. Le mal qu'on fait à un de nos parents, les outrages dont on l'accable, nous paraissent autant d'atteintes portées à nous-mêmes; de sorte que nous voudrions le protéger en nous interposant entre lui et le danger. Depuis qu'il y a eu des hommes, ce sentiment a toujours existé dans leurs cœurs. Quand deux personnes se prêtent un secours mutuel et qu'elles sont assez proches parentes pour être unies de cœur et de sentiment, c'est l'influence des liens du sang qui se manifeste dans leur conduite. Les liens du sang sont parfaitement suffisants pour produire ce résultat. Si deux individus ne sont pas liés par une parenté très-étroite, ils pourront en oublier les devoirs jusqu'à un certain point; mais, comme ils savent que leur parenté est généralement connue, ils se prêtent un secours mutuel, chacun d'eux voulant éviter le déshonneur auquel il se croirait exposé s'il agissait mal envers quelqu'un qui, au vu et au su de tout le monde, était son parent plus ou moins proche. Les clients et les affidés d'un grand personnage peuvent se ranger dans la catégorie de ses parents; le patron et le client sont toujours prêts à se protéger l'un l'autre, par suite de ce sentiment d'indignation qu'on éprouve lorsqu'on voit maltraiter

'Notre auteur n'avait pas pensé au fondateur de la religion chrétienne.

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* Littéral. « ils ont amené cela à eux seuls et par leur évidence. D

sont presque

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son voisin, son parent ou son ami. En effet, les liens de la clientèle aussi forts que ceux du sang. Ces observations aideront à faire comprendre ce que le Prophète a voulu exprimer par ces mots : Apprenez assez de vos généalogies pour savoir qui sont vos proches parents. » Elles nous donnent à entendre que la véritable parenté consiste en cette union des cœurs qui fait valoir les liens du sang P. 236. et qui porte l'homme à prendre la défense de celui qui invoque son secours; autrement la parenté n'a qu'une valeur imaginaire et n'offre rien de réel. Pour être utile elle doit lier les affections et unir les cœurs1. Si cette union est évidente, elle porte les âmes vers l'ardente sympathie qui leur est naturelle. La parenté dont l'existence n'est constatée que par un ancien souvenir n'offre aucun avantage, elle perd même l'importance que l'opinion lui assigne; celui qui s'en préoccupe se donne une peine gratuite et se livre à un acte de désœuvrement blâmé par la loi. Ce que nous venons de dire fera comprendre le sens de cette maxime : « Connaître sa généalogie ne profite pas; l'ignorer ne nuit pas. » Elle signifie que les rapports de parenté, lorsqu'ils ont cessé d'être parfaitement manifestes et qu'ils deviennent un sujet d'étude et de recherches, perdent jusqu'à la valeur que l'opinion publique y attache; aussitôt qu'ils cessent de réveiller ces sentiments de sympathie et de dévouement auxquels on est porté par esprit de corps, ils deviennent tout à fait inutiles.

La pureté de race ne se retrouve que chez les Arabes nomades et les autres peuples à demi sauvages qui habitent les déserts.

la

La pureté de race existe chez les peuples nomades parce qu'ils subissent la pénurie et les privations, et qu'ils habitent des régions stériles et ingrates, genre de vie que le sort leur a imposé et que nécessité leur a fait adopter. Pour se procurer les moyens d'existence, ils se consacrent aux soins de leurs chameaux; leur seule occupation est de leur trouver des pâturages et de les faire multiplier. Ils ont dû adopter la vie sauvage du désert, parce que cette région, ainsi Littéral. « son utilité n'est que dans cette union et cette incorporation.»

que nous l'avons dit, est la seule qui offre à ces animaux des arbrisseaux propres à leur nourriture et des endroits sablonneux où ils puissent mettre bas leurs petits. Bien que le désert soit un lieu de pénurie et de faim, ces peuples finissent par s'y habituer, et ils y P. 237. élèvent une nouvelle génération pour laquelle la faculté de supporter le jeûne et les privations est devenue une seconde nature. Aucun individu appartenant à une autre race n'a envie de partager leur sort ni d'adopter leur manière de vivre; bien plus, ces nomades changeraient eux-mêmes d'état et de position s'ils en trouvaient l'occasion'. Leur isolement est donc un sûr garant contre la corruption du sang qui résulte des alliances contractées avec des étrangers. Chez eux, la race se conserve dans sa pureté, ainsi que cela se voit chez les tribus descendues de Moder: les Coréich par exemple, les Kinana, les Thakîf, les Beni Aced, les Hodeïl, et leurs voisins de la tribu des Khozaâ. En effet, ces peuples mènent une vie de privations et habitent un pays où l'on ne trouve ni céréales ni bestiaux. Une grande distance sépare leur territoire des contrées fertiles de la Syrie et de l'Irac; ils n'approchent pas des pays qui produisent le blé et les assaisonnements qui relèvent le goût des mets; aussi leur race est demeurée pure et sans soupçon de mélange.

Les Arabes établis sur les hauts plateaux, régions qui offrent de riches pâturages aux troupeaux et qui fournissent tout ce qui peut rendre la vie agréable, ont laissé corrompre la pureté de leur race par des mariages avec des familles étrangères. Tels sont les Lakhm, les Djodam, les Ghassan, les Taï, les Codhaâ, les Aiyad et les autres tribus descendues de Himyer et de Kehlan. On se rappelle les controverses qui ont eu lieu relativement à la noblesse de leurs grandes familles et qui ont été amenées par leurs mariages avec des étrangers et par le peu de soin qu'ils ont mis à garder le souvenir de leurs généalogies. Ce que nous avons dit ne s'applique qu'aux Arabes (du désert). Le khalife Omar disait : « Apprenez vos généalogies, et ne

1

تركه équivalent a لما تركه Les mots

nous avons déjà fait observer que notre

auteur emploie souvent la particule d'une manière pléonastique.

ما

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pas que

soyez pas comme les Nabatéens de la Babylonie (Es-Souad); quand on demande à l'un d'eux d'où il sort, il répond: de tel ou tel village. Mais les Arabes établis dans des pays fertiles et possédant de gras pâturages se trouvaient en contact avec d'autres peuples, ce qui amena un mélange de race et de sang. Aussi, dès les premiers temps de l'islamisme, on commençait à désigner les tribus par le nom des pays qu'elles occupaient. On disait, par exemple, le djond (co- P. 238. lonie militaire) de Kinnisrîn, le djond de Damas, le djond d'El-Aouassem. Le même usage s'introduisit en Espagne. Ce n'est les Arabes eussent renoncé à l'habitude de se désigner par le nom de la tribu dont ils faisaient partie; ils ne prenaient qu'un surnom de plus, afin de donner à leurs émirs le moyen de les distinguer plus facilement. Ils se mêlèrent ensuite avec les habitants des villes, gens dont la plupart étaient de race étrangère, et de cette manière ils perdirent tout à fait la pureté de leur sang. Dès lors, les rapports de famille s'affaiblirent chez eux au point de laisser perdre l'esprit national, seul avantage qui existe dans les liens de la parenté. Les tribus ellesmêmes s'éteignirent ensuite, et, avec leur anéantissement, disparut tout esprit de corps. Dans le désert, au contraire, les choses restèrent comme elles étaient. Dieu est l'héritier de la terre et de tout ce qu'elle porte.

Comment les noms patronymiques des tribus perdent leur exactitude.

Un homme appartenant à une tribu a pu entrer dans une autre parce qu'il a une inclination pour elle ou qu'il s'y attache en qualité d'affidé ou de client. Il peut se réfugier dans une tribu afin d'éviter le châtiment dû à un délit qu'il aurait commis dans la sienne. Ayant alors adopté le patronymique commun de ses nouveaux hôtes, il compte comme un membre de la tribu. Il a sa part dans les priviléges et les charges que cette alliance entraîne, surtout en ce qui regarde le droit de protection, l'application du talion et le payement du prix du sang. Jouissant des avantages que procure la parenté, il est, pour ainsi dire, le parent de ses protecteurs. Peu importe dans

Prolégomènes.

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quelle tribu un homme est né, il n'appartient, en réalité, qu'à celle dont il partage le sort et dont il consent à observer les règlements. Une fois incorporé dans la tribu, il tâche de faire oublier qu'il avait appartenu à une autre, et il y réussit au bout de quelque temps, lorsque les personnes auxquelles son origine était connue ont cessé de vivre. Sa véritable origine est alors un secret connu de très-peu de personnes. C'est ainsi que les patronymiques n'ont jamais cessé de se transporter d'une famille à une autre, tant avant qu'après l'islamisme; P. 239. chez les Arabes et chez les peuples étrangers, on a toujours vu des individus s'affilier à des tribus qui n'étaient pas les leurs. Que le lecteur se rappelle les discussions qui eurent lieu au sujet des Monderites et d'autres familles; il y reconnaîtra un exemple de ce que nous venons de dire1. En voici un autre : le khalife Omar, ayant nommé Arfadja Ibn Herthema au commandement de la tribu de Bedjila, les personnes dont elle se composait le prièrent de révoquer cette nomination « Arfadja, disaient-ils, n'était, chez nous, qu'un simple nezíf, c'est-à-dire un intrus, un membre parasite; donnez-nous Djerir pour être notre chef. » Arfadja, étant interrogé par Omar, répondit en ces termes : « Ils ont raison, commandant des croyants, je suis de la tribu d'Azd; mais, ayant tué un de mes parents, j'ai dû m'enfuir chez ces gens et m'attacher à eux. » Voyez comment Arfadja s'affilia aux Bedjilites; il s'assimila à eux, adopta leur patronymique et prit tellement pied chez ce peuple qu'il était sur le point d'être nommé leur chef. Si un petit nombre d'entre eux n'avaient pas eu connaissance de son origine, ou s'ils ne se l'étaient pas rappelée, le souvenir de ce fait se serait perdu avec le temps, et Arfadja aurait bien et dûment passé pour un Bedjilite. Le lecteur qui fera attention à cette anecdote en comprendra la portée. C'est par de tels moyens cachés que Dieu agit sur ses créatures. De nombreux faits de cette nature se produisent encore de nos jours, et il en a été de même dans tous les siècles passés.

Dans le texte arabe, il faut lire Us

في نسب ال المنذر وغيرهم يتبين شيء من

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