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Les Fâtimides en Berbérie. mâd.

L'invasion hilâlienne.

Les Çanhája: Benî Zîrî et Benî HamLes trois périodes de ce chapitre d'histoire. Les Fâtimides. Caractère de leur activité architecturale. Les Canhaja. Prospérité de l'Ifriqya à l'époque de Benî Zîri. Çanhâja Benî Hammâd. La Qal'a et Bougie.

Les

Les Fâlimides en Berbérie. La puissance des Aghlabides de Kairouan et celle des Rostemides de Tâhert s'écroulèrent dès que la conquête fâtimite les atteignit. Quelques renseignements suffiront pour faire connaître les nouveaux venus.

Les Fâtimides sont les descendants de Mahomet par Fàtima, sa fille, qui fut épouse de 'Ali, le quatrième Khalife. Aux yeux de leurs partisans, les Chi'ites, seuls les Fâtimides comptent comme pontifes légitimes et leur personne est presque divine. Leur succession régulière est assurée jusqu'à la fin du monde, mais leur pouvoir subira bien des éclipses. Tout Khalife étranger à la sainte lignée est un usurpateur. Tels avaient été les Omeiyades de Damas; tels étaient encore les 'Abbassides de Baghdad. Pendant que ces mains indignes tiennent le gouvernement temporel et spirituel de l'Islâm, les vrais imâms doivent rester cachés ; mais des missionnaires, aveuglément dévoués à leur cause, mènent pour eux une active propagande et préparent des temps

meilleurs. Ainsi, vers la fin du 1x siècle, un Fâtimide ou soidisant tel, fuyant la persécution, était venu en Maghreb extrême où le petit prince Khârejite du Tafilelt le retenait prisonnier, cependant que, dans une autre partie de la Berbérie, un missionnaire recrutait des partisans pour ce maître providentiel, ce Mahdi qu'il n'avait jamais vu. Avec les montagnards de la Petite Kabylie il constitua une armée, et cette armée vint aisément à bout des garnisons aghlabites et des troupes qu'on envoya contre elle. Un an après, le Mahdî, délivré de sa prison, entrait dans Raqqâda, précédé par le missionnaire, qui marchait à pied devant le cheval de son maître.

Cependant, l'Ifrîqya n'était qu'une première étape, une base d'opérations pour ce descendant du Prophète, qu'attirait le prestige de l'Orient. A peine maître du pays berbère, il envoyait une armée pour s'emparer de l'Egypte. Ces espoirs ne se réaliseront que soixante ans plus tard. Entre l'année 908, qui voit l'installation du Mahdî 'Obaïd Allah dans Kairouan et dans Raqqâda, et l'année 972, où le Khalife El-Mo'izz entre dans la ville nouvelle du Caire, la dynastie devait connaître des heures critiques. La Berbérie elle-même était difficile à tenir. Les Fâtimides y firent toujours un peu figure d'étrangers; leur doctrine apparaissait comme une importation orientale; la rudesse des montagnards Kabyles, leurs premiers auxiliaires, était peu faite pour leur attirer la sympathie des citadins d'Ifrîqya. De même que les Aghlabides qu'ils avaient remplacés, ils ne résidèrent pas dans Kairouan. Ils habitèrent d'abord Raqqâda, que les émirs vaincus venaient de quitter, plus tard ils se rapprochèrent de la vieille cité de 'Oqba, et fondèrent Çabra, qu'on appelait aussi Mançoûriya, d'après le surnom d'El-Mançoûr, porté par l'un des Khalifes. Mais leur vraie capitale fut El-Mahdiya, sur la côte orientale de la Tunisie. El-Mahdîya, la ville du Mahdî, fut proprement leur création, le point de départ de leurs expéditions navales et leur refuge contre les soulèvements des Berbères de l'Est. Ils y reçurent l'assaut d'un agitateur, qui avait ressuscité contre eux le Khârejisme, la vieille hérésie nationale.

Pendant que, dans l'Est, des mouvements populaires les mettaient à deux doigts de leur perte, dans l'Ouest, ils devaient résister aux ambitions des Omeiyades de Cordoue, qui agissaient contre eux par leurs clients berbères. Les Fâtimides avaient aussi les leurs. Durant tout le x siècle, la Berbérie est divisée entre

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deux partis; c'est un champ clos où les deux Khalifats rivaux luttent d'influence; et leur rivalité s'y superpose à d'obscures querelles de tribus, héritées des ancêtres. Aux Zenâta, représentants des Omeiyades, s'opposent les Çanhâja, soutiens des Fâtimides. Ces derniers eurent généralement l'avantage, et ils refoulèrent les Zenâta en Maghreb. Leur domaine, dont la frontière coïncidait à peu près avec les limites occidentales du département d'Alger, était une sorte de marche de la Berbérie fâtimite.

Benî Zîrî et Bent Hammâd.

Les Çanhâja. En reconnaissance des services qu'ils avaient rendus, cette Berbérie fâtimite tout entière devint l'apanage du chef des Çanhâja, quand les Khalifes émigrèrent d'Ifrîqya en Egypte. Les Çanhâja Benî Zîrî, installés dans le palais de Mançoûriya, qu'avaient occupé leurs patrons, furent chargés de gouverner le royaume, tout en maintenant leurs positions devant les Zenâta du Maghreb. Leur rôle était double et double leur domaine, avec ses deux capitales d'Achîr, donjon du territoire héréditaire, et Kairouan, centre de l'administration.

Ce domaine était trop grand; il se brisa. Les parents, auxquels les nouveaux maîtres de l'Ifrîqya avaient confié la tâche de continuer la lutte contre les Zenâta, se déclarèrent indépendants dans les provinces qu'ils défendaient. Dès lors la Berbérie fâtimite compta deux royaumes çanhâjiens à l'Est, le royaume des Benî Zîrî de Kairouan, à l'Ouest, le royaume des Benî Ham. mâd de la Qal'a. L'histoire de ces deux dynasties va tenir tout le x1° siècle; mais un grand fait y détermine deux périodes, un fait qui domine toute l'histoire de la Berbérie du moyen âge et qui aura pour le développement de l'art que nous étudions des conséquences incalculables.

J'ai dit que le Chî'isme, la doctrine des Fâtimides, n'avait jamais été très populaire en Berbérie. Kairouan restait très attachée à l'enseignement des docteurs dont elle était fière, et qui se réclamaient de l'imâm Mâlek. La majorité du peuple y était ardemment mâlekite. Ses maîtres eux-mêmes, les Çanhâja Benî Zîrî, bien qu'ils gardassent envers leurs suzerains du Caire une attitude déférente, étaient médiocrement prévenus en faveur de leurs croyances. Des circonstances accessoires aggravèrent ce divorce théologique; il aboutit à une rupture éclatante du vassal avec son suzerain. Vers 1050, le Zîrîde El-Mo'izz rejeta

l'obédience fâtimite, et ne reconnut plus comme Khalife que le souverain 'abbåsside de Baghdâd. Cependant le maître du Caire ne disposait pas des moyens nécessaires pour faire rentrer dans le devoir le serviteur qui l'avait renié. Il chargea de sa vengeance des tribus arabes, des nomades faméliques qui, cantonnées dans la Haute-Egypte, constituaient un danger pour ses propres Etats; et il leur octroya en fief l'Ifrîqya rebelle. On ne pouvait imaginer, pour ce beau pays et pour ses maîtres, plus terrible châtiment.

L'invasion hilâlienne.

L'entrée en Berbérie des Arabes de la tribu des Benî Hilâl et de quelques autres groupes, cette seconde invasion arabe, très différente de la première, n'en modifia essentiellement ni l'état politique, ni la vie religieuse; peutêtre même n'introduisit-elle pas dans le pays un nouvel élément ethnique bien considérable. Elle n'en est pas moins la grande coupure dans cette période d'histoire, qui va de la défaite des Byzantins à l'arrivée des Turcs. Nous verrons s'en développer les effets au cours de notre étude.

L'Ifrîqya fut naturellement la première à porter le poids de l'invasion hilâlienne. Moins de dix ans après l'apparition des premières bandes, les Arabes étaient maîtres des plaines et ils y avaient paralysé presque toute vie économique; Kairouan était isolée du reste du monde et le souverain Zîrîde l'avait abandonnée pour Mahdîya. La plupart des villes ne le reconnaissaient plus ; elles s'étaient données à des aventuriers, qui, en échange d'une protection précaire, leur imposaient la tyrannie. Quelques-ims d'ailleurs de ces condottieri faisaient figure de princes, tels les Benî Khorassân, sous lesquels Tunis préludait à son rôle de capitale.

A la fin du XIe siècle, le fléau avait gagné le royaume des Beni Hammâd. Leur Qal'a, la citadelle perchée sur les hauteurs qui dominent le Hodhna vers le Nord, ne pouvait subsister comme centre de commerce et chef-lieu politique quand les nomades en infestaient toutes les avenues. De même que les Benî Zîrî avaient émigré de Kairouan à Mahdîya, les Benî Hammâd quittèrent la Qal'a pour Bougie. Là, ces terriens s'efforcèrent de tourner leur activité vers la mer. Mais l'heure était mal choisie pour chercher des profits dans la piraterie et le commerce maritime. En 1091, les Normands étaient maîtres de la Sicile, jus

qu u'alors terre musulmane. Ils n'allaient pas tarder à acquérir la maîtrise dans la Méditerranée occidentale; ils devaient même entreprendre la conquête des ports de la côte berbère. En 1148, leur action méthodique se terminait par la prise de Mahdîya, d'où s'enfuyait le dernier prince Zîrîde.

Les trois périodes de ce chapitre d'histoire. Pendant les 250 ans d'histoire que je viens d'esquisser, on pourrait en somme distinguer trois périodes: la première comprendrait les soixantequatre ans de gouvernement fàtimite; la seconde, d'une durée de quatre-vingt-cinq ans, s'étendrait du départ du Khalife fâtimide pour le Caire jusqu'à l'invasion hilâlienne; la troisième serait occupée par la décadence des dynasties Çanhâja; elle nous montrerait l'exode de ces royautés déchues, de l'intérieur du pays vers la côte et se terminerait à la prise de Mahdîya. Elle compterait environ quatre-vingt-dix ans. Les œuvres représentant ces trois périodes sont médiocrement abondantes et très inégalement réparties. Cette indigence relative de nos documents s'explique, soit par la situation des princes, souvent peu favorable à l'activité artistique, soit par la multiplicité des révolutions qui en ont fait disparaître les traces.

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Les Fâtimides. Caractère de leur activité architecturale. Les Fâtimides, dont le gouvernement et les fondations en Egypte ont fait l'objet d'importantes études, nous sont mal connus pendant la période ifrîqyenne de leur histoire. Nous manquons de moyens d'information à leur sujet et les informateurs sont suspects. Dans l'orthodoxe Ifrîqya, on ne s'est guère soucié de conserver le souvenir de ces hérétiques, ni d'entretenir les monuments qu'ils avaient laissés. Le nom même des Kolâma, leurs premiers auxiliaires de la Petite-Kabylie, est devenu une injure dans leur propre pays. Les chroniqueurs nous parlent des persécutions par lesquelles plusieurs successeurs du Mahdî s'efforcèrent d'imposer leur abominable doctrine et ils nous donnent les preuves d'une fiscalité qui ne dut pas leur gagner les cœurs.

Toute proportion gardée, et en tenant compte de la durée plus réduite de leur gouvernement, on croit pouvoir affirmer que leur temps fut moins favorable à l'art que l'époque aghlabite. Sans faire profession d'ascétisme, les Fâtimides paraissent avoir eu des allures beaucoup plus simples que leurs prédécesseurs,

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