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Blanchet a retrouvé des fragments de plâtres sculptés analogues aux plâtres de Sedrâta 1.

Le musée de Philippeville en conserve également un, que l'on 'm'a dit provenir du pays entre Constantine et la mer. Si le renseignement est exact, cet art saharien de Sedrâta, qui fut pratiqué aux abords de l'Aurès, l'était de même en plein Tell, à proximité de la côte méditerranéenne. Certes on ne peut rien conclure d'absolu de semblables indices; mais il est cependant permis de remarquer que les traces de son existence ont été relevées sur les confins du territoire aghlabite. On peut en inférer qu'il étendait son domaine à l'Ouest du pays où devait triompher l'art de Kairouan, soit qu'il rayonnât du centre lointain où les Khârejites de Tiaret s'étaient transportés, soit que son existence fût indépendante de Sedrâta et antérieure à sa fondation.

Tel est l'art de la seconde capitale des hérétiques berbères. Quelles que soient l'époque de son apparition et l'ampleur de son développement, on voit qu'il se rapproche de l'art aghlabite par plusieurs traits, notamment par l'emploi de l'arc en fer à cheval et de l'arc lobé. La niche en coquille supportant la coupole ne nous surprendrait pas à Kairouan; les rosaces à pétales évidés sont en somme communes aux deux styles. Cependant des ressemblances plus nettes encore apparentent le décor de Sedrâta au décor des monastères coptes. La flore de Sedrâta vient de l'art chrétien d'Egypte ou dérive d'un même fond, fond ancien et dont l'aire de dispersion en Afrique pouvait être très étendue. Enfin nous y avons relevé des éléments qui attestaient l'influence des édifices égyptiens de la fin du 1x ou du x° siècle, peut-être même celle des palais de Mésopotamie tels les salles en T, les piliers cantonnés de colonnettes, les corniches en dents de scie et les arcatures à lobes superposées. Ainsi se seraient mélangés, pour former cet art des hérétiques berbères, des apports orienlaux récents à des survivances d'un art proprement africain.

1 Recueil... de la Société archéol. de Constantine, 1899, p. 291.

CONCLUSION

Pour caractériser l'art de Sedrâta, qu'il avait contribué à exhumer, Paul Blanchet a parlé d'art roman1. Il note « la ressemblance frappante qu'offrent frappante qu'offrent ces sculptures berbères, oubliées au Sahara depuis neuf siècles, avec les fragments de même époque conservés à Brescia, à Milan, à Vérone, ou ceux qui proviennent de Saint-Samson-sur-Risle et de l'Abbaye de Jouarre ». Le rapprochement

entre les œuvres romanes et
les œuvres aghlabites serait
plus recevable encore. Certes,
on est frappé de l'aspect « ro-
man» que présentent les sura-
baques de la Grande Mosquée
de Kairouan ou la façade des
Trois portes; ces décors sculp-
tés évoquent le souvenir de
telle église de Saintonge ou
du Poitou, qui devait naître
un siècle plus tard. Il n'y a
pas lieu d'en être surpris.
Blanchet du reste en indique
la cause l'art de l'Europe
occidentale et l'art de l'an-
cienne Afrique romaine pui- Fig. 53.
sent aux mêmes sources; « de
la décomposition de l'art ro-
main, dit-il, serait né, en
Afrique comme en Italie et en
Gaule, un art roman »>.

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Chapiteau à l'Eglise SaintMartin d'Ainay de Lyon, provenant de l'ile Barbe, VIII-IX siècle. Musée du Trocadéro, A 58. On comparera le décor de la partie supérieure aux pampres de la niche, fig. 38, à droite, et du panneau, fig. 40, J, la couronne du bas au décor du sommier, fig. 28.

Cependant la décomposition de l'art romain n'explique que dans une faible mesure le style musulman du IXe siècle. Ce style a hérité des acquisitions qui, en partie venues d'Orient, renouvelèrent aux Ive et ve siècles le vieux répertoire classique; il a

1 P. Blanchet, Comptes rendus de l'Académie des Inscriptions et B. Lettres, 4e série, XXVI, 1898, pp. 520-521.

reçu les carrés, les rosaces, les treillis, les étoiles, les chevrons de l'époque chrétienne. La symbolique chrétienne avait donné la première place à certains éléments végétaux comme la vigne, et, dans notre art musulman, cet élément a presque absorbé tous les autres. Pour tout dire, l'art des monuments aghlabites apparaît pour une bonne part comme le prolongement de l'art chrétien local.

Les conditions historiques dans lesquelles ces monuments ont vu le jour expliquent assez cette transmission de formules. J'ai indiqué le rôle des clients, affranchis d'origine non-musulmane, très probablement chrétienne et africaine, dans l'entourage immédiat des émirs, parmi les agents qui surveillaient leurs constructions; on peut admettre comme presque certain l'emploi d'une main-d'œuvre locale de maçons, de charpentiers, de sculpteurs et de mosaïstes. Au service des nouveaux maîtres du pays, les quelques ateliers qui avaient survécu à la décadence de la province d'Afrique et à l'écroulement de la puissance byzantine, continuèrent à exercer leur métier, selon les procédés et d'après les modèles hérités des ancêtres. Ainsi, semble-t-il, est né ce décor ifrîqyen du IXe siècle, à coup sûr très différent des styles de Samarra et dont la parenté avec le style ancien de Baghdad celui du mihrâb de la Mosquée Khaçaki bien que plus admissible, ne s'impose pas du tout à l'esprit.

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Les traditions locales s'introduisaient aussi par une autre voie. La province d'Afrique était pleine de ruines qu'il était facile d'adapter ou d'imiter. Quand les anciens édifices n'étaient pas utilisables, on ne pouvait mieux faire que de s'en inspirer dans les constructions qui concouraient au même but. Ce fut le cas notamment pour les travaux d'utilité publique et pour les ouvrages militaires, c'est-à-dire pour les fondations qui devaient assurer la vie des Musulmans comme elles avaient, pendant plusieurs siècles, assuré celle des Chrétiens. Ainsi le ribât de Sousse nous est apparu sous l'aspect extérieur d'un fort byzantin. Cependant la salle de prières à mihrâb, qui s'étend au premier étage, nous avertit d'un changement.

Tous les modèles chrétiens ne s'adaptaient pas aux besoins de la société et du culte nouveaux. L'Afrique était devenue terre d'Islâm et province 'abbâssite. Les nécessités de la défense du pays conquis, ses destinées politiques, le renom intellectuel et la vie commerciale de ses centres y avaient amené d'importants

éléments orientaux. Des types consacrés s'imposaient aux bâtisseurs de mosquées et ces types s'étaient élaborés ailleurs, en Syrie et en Egypte. Les émirs orientaux qui régnaient à Kairouan avaient transporté dans leurs châteaux, dont certains avaient des noms de palais mésopotamiens, les habitudes de la vie orientale. Des liens de vassalité assez lâches les unissaient aux Khalifes 'abbassides; mais Baghdâd, Samarra et Raqqa exerçaient sur eux un incomparable prestige. Des procédés constructifs observés dans les monuments existants ou attestés par les descriptions anciennes nous ont révélé que l'Ifrîqya du 1x siècle devait déjà beaucoup à l'Egypte, à la Syrie et à la Mésopotamie.

De ces influences diverses, dont le départ nous est encore bien malaisé, un art nouveau est né, art composite et déjà assez fortement individualisé, art à demi-barbare et qui cependant s'impose à notre admiration. La première œuvre arabe d'Occident, la Grande Mosquée de Kairouan, compte parmi les plus belles créations de l'Islâm. Elle nous séduit par sa majesté un peu rude et par sa sobre splendeur; elle nous étonne, mais ne nous déconcerte pas, parce que nous la sentons imprégnée de traditions dont beaucoup sont aussi les nôtres. Quelque peu romaine encore, ou, si l'on veut, romane, elle est plus près de nous que tel édifice musulman plus récent et plus évolué.

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