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et l'eau des montagnes s'y mélangeait avec l'eau épurée des bassins, soit qu'elle s'emmagasinât dans le grand, soit qu'elle restât dans le citerneau pour y être puisée, ou qu'elle s'écoulât vers la ville.

Les bassins de Kairouan ont été réaménagés et, il y a peu de temps encore, contenaient de l'eau. Le bassin de Raqqâda1 est maintenant à sec. Il était alimenté par un aqueduc qui y amenait l'eau des pentes voisines et celle de l'Oued Zeroûd après les pluies. Comme ceux de Kairouan, il présente des murs de blocage revêtus d'enduit et épaulés de contreforts arrondis. Il en diffère par sa forme générale, qui est celle d'un quadrilatère trapézoïde dont le plus grand côté n'a pas moins de 160 m. et qui s'étale sur 1900 m. carrés. Les 180 contreforts sont disposés de part et d'autre des murs, en sorte que chacun d'eux est placé dans l'intervalle de deux contreforts de la paroi opposée. Vers le centre, un massif de blocage entourait un puits et était peut-être surmonté d'une pile analogue à celle du bassin de Kairouan. Les auteurs de l'Enquête sur les installations hydrauliques romaines en Tunisie ont relevé un grand nombre de réservoirs du même genre. Les uns, dans les environs de Raqqâda ou de Qaçr el-Qadîm, sont pour la plupart carrés et de dimensions réduites, de 2 à 12 mètres de côté. Les murs sont en blocage et consolidés par des contreforts extérieurs en demi-cercle ou rectangulaires. En dehors de la banlieue kairouanaise, on en a signalé d'autres dans l'arrière-pays du Sahel de Sousse à Sfax, notamment sur les routes qui rayonnent de Kairouan vers Sousse ou vers Gafça 2. Beaucoup sont circulaires et munis de contreforts arrondis. Ils présentent souvent le groupement déjà décrit : bassin de décantation, grand réservoir et citerneau voûté. L'un d'eux, la Fisqiya Henchir Maghfoûra, est polygonal et apparaît très semblable au bassin de décantation de Kairouan.

On les a naturellement attribués aux Romains. Cependant, une question se pose à leur sujet, analogue à celle que suggèrent plusieurs forteresses considérées comme byzantines. En présence de ces ouvrages anonymes et sans date, si pareils à des ouvrages datés et attestés par des inscriptions ou par des textes comme

1 Cf. Enquête sur les installations hydrauliques, dirigée par P. Gauckler, I, 265-266.

2 Cf. Enquête..., I, pp. 42-43, 44-45, 46-47, 77, 114, 265-266, II, 23, 59, 133.

œuvres musulmanes, n'est-il pas légitime d'en restituer tout ou partie aux gouverneurs arabes, aux émirs aghlabides et à leurs agents, qui utilisèrent pour leurs fondations la main-d'œuvre recrutée dans le pays?

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Avant de clore cette étude des monuments de l'époque aghlabite, il paraît utile de présenter quelques remarques sur les matériaux et les procédés de construction qui y sont mis en œuvre. Les uns et les autres sont d'une assez grande variété. Les bâtisseurs du 1x siècle ont employé le pisé, la brique crue, la brique cuite et la pierre de taille.

Pisé et briques crues. Le pisé (tâbîya), mélange de terre et de chaux pilonné entre deux panneaux de bois, paraît avoir été d'un usage courant dans les constructions civiles et militaires. On l'emploie seul, ou en combinaison avec la brique crue (toûb), qui n'est que de la terre dans laquelle a été incorporée de la paille hachée, comprimée dans un calibre et séchée au soleil. Des textes nombreux nous permettent d'affirmer que, presque partout où les Musulmans ne trouvèrent pas des fortifications préexistantes adaptées aux besoins de leur stratégie, ils bâtirent d'abord les murs des villes en pisé et en briques crues et que cette pratique se poursuivit jusqu'au x et au XIe siècle. A Sort, en Tripolitaine, à Qastiliya, dans le Djerîd, à Sfax, à Tunis malgré l'abondance de pierres taillées qu'offrait Carthage, à Tobna, à Msila, à Belezma et ailleurs, les géographes mentionnent des remparts de pisé et de toûb, ou de pisé seul. Nous lisons dans El-Bekrî que le mur primitif de Kairouan, construit en 144/761, était en briques crues et mesurait 10 coudées de large. La base devait être en pisé. Elle apparaît

1 Bekrî, 24, tr. 57.

encore au niveau du sol, notamment, à l'angle Sud-Est de la ville. La brique crue et le pisé sont essentiellement les matériaux de la seule ruine qui marque l'emplacement de 'Abbâssiya, la résidence aghlabite. Trois ans avant la chute de la dynastie, le dernier des Aghlabides faisait reconstruire le mur de Raqqâda en briques crues et en pisé. Un texte d'histoire religieuse met en scène un saint personnage kairouanais du 1x siècle, dont le métier était de fabriquer des briques crues auxquelles il incorporait de la paille hachée '.

Les fouilles de 'Abbâssiya nous ont révélé l'aspect et le mode d'emploi de ces matériaux. Le pisé entre dans la composition

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Fig. 25. 'Abbassiya.

Appareil des murs de briques crues.

de la terrasse sur laquelle les bâtiments étaient établis. Fréquemment ils constituaient la base des murs de briques crues ou bien ces briques formaient parement et s'appuyaient sur un mur de pisé placé en arrière.

Les briques, qui constituent aussi des murs entiers Ou tapissent l'excavation des silos, sont très exactement calibrées. Elles mesurent 42 cm. de long, 21 cm. de large et 10 cm. et demi d'épaisseur. Deux de ces dimensions sont donc respectivement la moitié et le quart de la première; et l'on est tenté de voir dans celle-ci la coudée en usage chez les maçons ifrîqyens.

1 Aboù 'l-Arab, Classes des savants de l'Ifriqya, éd. Ben Cheneb, p. 114, tr. p. 195.

L'identification de cette coudée de o m. 42 est corroborée par le texte d'El-Bekri relatif au minaret de la Grande Mosquée de Kairouan que nous avons précédemment rapporté. Cette coudée se rapprocherait plutôt de la coudée romaine (o,443) que de la coudée perse (0,52).

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Les murs de 'Abbâssiya ont 70 cm. de large; chaque assise étant formée d'une rangée de boutisses (0,42) et d'une rangée de carreaux (0,21), avec 7 cm. pour le joint de mortier.

Il est difficile de décider si l'emploi de la brique crue et du pisé est un apport de l'Orient ou une survivance locale. La Mésopotamie les a employés depuis l'antiquité la plus haute et nous y trouvons encore la brique crue, dans les fondations 'abbassites de Samarra et de Raqqa; cependant l'Afrique romaine ne les a pas ignorés, et l'on sait d'autre part que le toûb est d'un usage très général et vraisemblablement ancien dans tout le Sud de la Berbérie.

Semblable incertitude concerne l'origine de

la brique cuite, habituelle dans certains édifices romains, comme les thermes, et, d'autre part, constituant, en Mésopotamie, de grands édifices, comme ces minarets à rampes en hélice, prototypes probables de celui de 'Abbâssiya. Par une singulière fortune, la brique cuite (ajoûr) dite aghalbi (l'aghlabite) est encore connue des ouvriers kairouanais; et c'est bien elle qu'on trouve, en assez faible quantité d'ailleurs, dans le

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tell de 'Abbassiya. Son épaisseur est assez constamment de 45 mm.

Comme longueur et largeur elle varie de 210 mm. x 115 mm. à 250 mm. x 150 mm.

Moellons et pierres de taille. Les moellons, réunis par un excellent mortier, figurent dans les travaux hydrauliques ou dans certains murs de ville. Ils se combinent avec la pierre taillée employée comme parement ou comme chaînage. Le rempart de Sfax offre des chaînages verticaux de pierres de taille alternativement posées horizontalement et en délit (fig. 26).

L'emploi de pierres en délit, interrompant les assises de distance en distance, se remarque au ribât de Monastir et dans les parties hautes des nefs de Kairouan. Le procédé est connu dans l'Afrique romaine. On le trouve notamment au capitole de Dougga et dans certaines constructions agricoles de la Province. L'appareil de pierres de taille

présente souvent une très notable régularité. Sans doute des matériaux empruntés aux édifices antiques ont été incorporés à la construction; mais on y remarque aussi des pierres bien dressées généralement plus petites, de facture musulmane. Le minaret de Kairouan a une base de 2 m. 80, dont les assises d'appareil antique mesurent de 24 à 40 cm. de haut. Au-dessus, tout l'édifice se compose d'assises de 12 à 13 cm. Les arcs de l'escalier sont appareillés avec soin.

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Fig. 27 bis. Monastir. Plafonds en dalles de pierres sur doubleaux.

Enfin il convient de signaler, au ribât de Monastir, un mode de voûtage que Choisy a relevé dans la Syrie byzantine, patrie des belles architectures de pierre. Un couloir d'entrée maintenant en ruine de la vieille forteresse était couvert par des dalles posées horizontalement au-dessus d'arcs doubleaux.

Bois. A ces matériaux, il faut ajouter le bois, qui s'incorpore dans les murs de Sfax sous forme de longrines noyées dans

1 Choisy, Histoire de l'architecture, I, 517-518, II, 56-57.

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